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— À vous entendre, on dirait que je m’apprête à déserter devant l’ennemi.

— C’est juste ce que je pense ! En outre… si vous partez, Tante Amélie voudra rentrer rue Alfred de Vigny et moi avec elle !

— De ce fait, votre roman avec Aristide Ponant-Saint-Germain s’en trouvera étouffé dans l’œuf.

— Cessez donc de proférer des âneries ! Je veux en savoir davantage sur lui et surtout sur son association de dévots de la Reine. Ne me demandez pas pourquoi mais mon nez me souffle que ces fanatiques – d’après ce que j’en sais c’est le terme convenable pour cette joyeuse bande ! – pourraient nous être utiles.

— C’est ce que votre nez vous a dit ?

— Si vous vous livrez à la moindre considération sur sa longueur, je ne vous adresse plus la parole !

— Allons donc, Angelina, sourit Aldo en reprenant son bras pour se remettre en marche. Vous êtes loin de Cyrano de Bergerac, aussi ne mettez pas flamberge au vent. Cela dit, ajouta-t-il en reprenant son sérieux, faites attention à vous ! Ces gens-là ne sont sans doute que de doux dingues mais tout fanatisme — et vous avez prononcé le mot ! – peut comporter des éléments dangereux. Alors, tenez-moi au courant !

– Donc vous restez ! exulta-t-elle. Je me vois mal téléphonant ou télégraphiant chez vous les derniers développements.

— Sans doute mais vous avez Adalbert, cet autre moi-même. Et, tenez, lui aussi songe à aller consulter le professeur sous prétexte qu’un parallèle pourrait exister entre Marie-Antoinette et Néfertiti…

— Mais c’est idiot et il ne faut surtout pas le prendre pour un imbécile !… De toute façon, dit-elle en plissant le nez, le commissaire Lemercier ne vous a pas encore autorisé à partir !

Peu désireux d’entamer une nouvelle polémique, Aldo préféra lui laisser le mot de la fin.

De retour à l’hôtel, le portier lui remit deux lettres. L’une, timbrée de Venise, portait sur sa longue enveloppe de vélin bleuté la grande écriture élégante de Lisa. L’autre, sans indication postale, était un billet plié à l’ancienne mode et fermé par un cachet de cire verte gravé d’une rose. Romantique à souhait.

— C’est un jeune garçon qui l’a apporté il y a environ une heure, expliqua l’homme aux clefs, répondant au regard interrogateur de son client.

Ce fut naturellement celui-là qu’Aldo ouvrit en premier. La teneur du texte en était brève :

« Venez ce soir, ou alors demain vers onze heures si ce n’est pas possible, mais venez seul ! J’ai besoin d’aide. Caroline Autié. »

Rien d’autre ! Pas la moindre formule de politesse ni la plus petite indication sur l’état d’esprit de la jeune fille quand elle avait écrit ces deux phrases peu engageantes ! C’était une simple convocation, presque un ordre, et Morosini détestait qu’on lui donne des ordres. Surtout venant d’une créature qui n’avait pas hésité à l’envoyer en prison ! En outre, il devait venir seul. Pourquoi ?

Cela pouvait ressembler à un piège. Ce qui n’était pas de nature à le faire reculer, bien au contraire, son goût de l’aventure joint à sa curiosité l’aurait plutôt poussé à aller au rendez-vous. D’autant que cette ravissante et fragile Caroline était de celles qui savaient inciter un homme d’honneur à se faire leur champion…

Afin d’échapper à l’attraction de l’étrange billet, Aldo décacheta la lettre de sa femme avec l’espoir qu’elle lui annoncerait son arrivée. Ce serait la meilleure des nouvelles. La belle Lisa à ses côtés, Aldo se sentirait de taille à affronter sans broncher toutes les séductions… fût-ce celle de Pauline. Il avait trop souffert de la séparation qu’elle lui avait imposée dans son amour blessé lorsqu’elle l’avait cru épris de la comtesse Abrasimoff{8} pour risquer de renouveler une expérience qui, cette fois, serait sans appel.

Avant de sortir la lettre de son enveloppe, il l’appuya contre ses lèvres et pria :

— Dis-moi que tu viens, Lisa ! Dis-moi que tu n’en peux plus d’être loin de mes bras ! Apporte-moi tes yeux, tes lèvres, ton corps… J’en ai tellement besoin !

L’épais papier lui restituait le parfum de la jeune femme, cette senteur de fleurs, d’herbe coupée, de forêt et de lande sauvage qu’il aimait tant. Les yeux fermés il s’en grisa durant un long moment avant de se décider à déplier la lettre, à la lire…

— Oh non ! gémit-il.

Lisa lui annonçait bien quelle partait… mais pour l’Autriche : « Les premières chaleurs nous sont tombées dessus comme une couverture mouillée, écrivait-elle. Venise suffoque et ce n’est pas bon pour les enfants. En particulier pour notre petit Marco auquel le docteur Licci a découvert une légère faiblesse des voies respiratoires. Peu inquiétante sans doute mais, Antonio et Amelia une fois installés à Rudolfskrone, je l’emmènerai à Zurich pour une consultation chez le professeur Glanzer. Alors seulement je serai rassurée… Ensuite nous verrons ! Tu le vois, mon chéri, le sort est contre moi. En effet, j’ai songé un instant à te rejoindre à Paris mais ce ne serait pas raisonnable et tu n’aurais guère lieu de t’en réjouir parce que l’inquiétude me rendrait invivable. J’espère, d’ailleurs, que tu ne t’éterniseras pas dans un endroit si malsain. Votre exposition tourne au cauchemar et Grand-Mère que j’ai eue au téléphone hier regrette d’avoir contribué à t’y engager… »

Suivait une liste de recommandations qu’Aldo parcourut d’un œil agacé. Le côté mère poule de Lisa s’y étalait avec trop de complaisance. Où était l’amante passionnée avec qui il avait partagé tant de nuits – et pas mal de jours ! – dont le souvenir le brûlait ? Il semblait que l’arrivée du jeune Marco eût réveillé chez sa mère le côté suisse sain, logique, aseptisé, qu’Aldo ne lui avait jamais connu. Il en venait à regretter l’ère de Mina Van Zelden. Au moins celle-là ne manquait pas d’humour ! Sans oublier qu’elle était une collaboratrice hors pair !

Lisa achevait sa lettre en pressant son époux de la rejoindre soit à Zurich où elle comptait rester quelques jours auprès de son père, soit à Ischl où l’air balsamique du Salzkammergut « ferait le plus grand bien à ses bronches de fumeur »…

— Qu’est-ce qui lui prend ? ragea-t-il en froissant la lettre qu’il se retint de jeter au panier. Si ça continue, elle m’enroulera des cache-nez dès qu’il y aura un peu de vent et m’obligera à porter l’hiver des charentaises, des bonnets de nuit et des caleçons longs. En pilou de préférence. En attendant de me promener dans une petite voiture !

Il était tellement furieux qu’il éprouva le besoin d’une oreille compatissante et s’en alla frapper chez Mme de Sommières. Il la trouva sur le point de déguster sa première coupe de champagne vespérale.

— Tu viens me tenir compagnie ? C’est gentil. Plan-Crépin a subitement jugé urgent d’aller au salut à Notre-Dame… Puis considérant son neveu d’un œil plus attentif : Que se passe-t-il ? Tu as l’air tout hérissé ?

— Ça ! fit-il d’un ton dramatique en lui tendant l’épître qu’il avait tout de même pris soin de défroisser mais qui en gardait des traces.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle en reposant sa coupe pour chercher au milieu de ses sautoirs son petit face-à-main serti d’émeraudes. Cela ressemble à une lettre qui a eu des malheurs ?

— C’en est une !… De Lisa en plus ! Mais lisez plutôt !

Aldo se mit à observer la physionomie de la vieille dame et ne put manquer de remarquer les coins de sa bouche qui se relevaient peu à peu.

— On dirait que vous la trouvez drôle ?

Elle releva sur lui ses yeux pétillants de malice :