— Le cambrioleur est revenu ? demanda-t-il pour ajouter, se répondant à lui-même : Non ce n’est pas le scénario de notre première visite. Rien n’est cassé…
— Tu as raison, fit Aldo occupé à frictionner les mains de la jeune fille. Cette fois, nous avons affaire à un fantôme…
— Tu veux rire ?
— Pas la moindre envie.
Il expliqua comment il avait trouvé Mlle Autié assise dans le jardin sous la pluie tandis que la maison était livrée à un tintamarre inexplicable. Et naturellement épouvantée.
— Bizarre ! émit Adalbert. C’est cet après-midi qu’elle t’a fait passer son appel au secours. Elle savait donc que ça allait se produire ?
Plus calme à présent la jeune fille laissait couler ses larmes en silence. Pourtant elle dit :
— C’est parce que c’est arrivé la nuit dernière et aussi celle d’avant… D’habitude le phénomène n’avait lieu qu’une fois l’an, à date fixe…
— Et c’était…
— Le 15 octobre. Au début j’ai cru mourir de peur. Ensuite, les nuits suivantes rien ne s’est passé et j’avais fini par me demander si je n’avais pas rêvé mais quand cela s’est reproduit, l’année d’après, je suis allée me réfugier dans l’atelier…
— Quel atelier ?
— Celui de mon grand-père, où il faisait de la sculpture. Il est derrière la maison, je vous montrerai. Et chaque 15 octobre j’allais y passer la nuit.
— Depuis combien de temps ?
— Cinq ans. C’est la date anniversaire de sa mort. J’ai pensé alors que c’était lui qui revenait mais je n’ai rien dit à personne parce que j’avais encore plus peur qu’on me prenne pour une folle. En outre, ce n’était jamais aussi violent que depuis trois nuits… Oh, je vous en supplie, aidez-moi !
Et, secouée de nouveaux sanglots, elle se réfugia dans les bras qu’Aldo referma spontanément autour d’elle, bouleversé par la détresse réelle de Caroline. Il entreprit de la consoler en lui assurant qu’il prendrait soin d’elle, et sans y penser, il caressait doucement ses cheveux blonds, sensible à leur senteur de lilas frais.
Adalbert contempla un instant le tableau, haussa un sourcil réprobateur et partit faire le tour de la maison. Il revint presque immédiatement :
— Viens voir ! dit-il sobrement.
Aldo lâcha Caroline qu’il étaya de son mieux avec des coussins et rejoignit son ami à la porte de la chambre de la jeune fille. Là aussi des objets étaient répandus à terre, la fenêtre ouverte claquait mais le plus étonnant était le lit. Non défait d’ailleurs : le portrait de la « belle grand-mère » Florinde Autié y reposait sur l’oreiller encore habillé de sa housse en toile de Jouy. Horrifié Morosini se frotta les yeux : il lui avait semblé que la femme arborait un sourire satisfait qui la rendait encore plus antipathique.
— Qu’en dis-tu ? demanda Adalbert en allant refermer la fenêtre.
— Que si je n’avais vu la cafetière me manquer d’un cheveu et les chenets se promener, j’aurais cru à une mauvaise plaisanterie dont l’auteur aurait fui par cette fenêtre mais à présent je m’interroge. Notre expédition au cimetière Notre-Dame a eu lieu avant hier et c’est cette affreuse bonne femme qui trône dans le lit de Caroline. Alors le fantôme pourrait aussi bien être elle que son époux…
— Possible ! Cela dit, que faisons-nous ?
— C’est simple : ou bien nous finissons la nuit ici ou bien nous emmenons Mlle Autié. Il est impossible de la laisser seule dans cette baraque hantée : elle deviendrait cinglée.
Tandis qu’Adalbert raccrochait Florinde à son clou, Aldo retournait vers Caroline qu’il trouva endormie et resta là un moment à la contempler. Elle était si jeune, si fragile aussi ! Avec son petit nez rougi, les traces de larmes et les cernes creusés par la fatigue – toutes choses qui ne parvenaient pas à l’enlaidir ! –, elle réveillait chez Morosini le chevalier toujours prêt à rompre des lances pour la cause d’une jolie femme. Celle-ci était particulièrement touchante. Quand Adalbert revint, il mit un doigt sur ses lèvres et chuchota :
— Étant donné que nous n’avons aucun véhicule pour l’emmener, mieux vaut la laisser dormir. Je vais rester…
— Ben voyons !
Aldo lui jeta un regard noir :
— Fais-moi grâce de tes sous-entendus malsains ! Si tu veux t’en charger, tu peux. Je reviendrai au matin avec un taxi…
— C’est toi qu’elle a appelé au secours. Pas moi. Alors, assume ! En attendant, je voudrais visiter l’atelier du grand-père. Il doit être quelque part derrière la maison…
— Allons voir !
Ils sortirent pour constater avec plaisir que la pluie avait cessé et contournèrent la bâtisse. Il y avait sur l’arrière une friche assez vaste que traversait un sentier. Tous deux s’attendaient à une sorte de hangar mais il s’agissait en réalité d’un petit pavillon à trois fenêtres qui avait l’air d’une réduction de la maison principale. Un chemin y menait et il était fermé. Aldo savait qu’une porte close n’avait jamais posé de problème insurmontable aux doigts agiles de son ami, cependant celui-ci se contenta de passer la main sur le chambranle de la porte pour y trouver ce qu’il cherchait.
— À moins qu’il ne renferme un trésor, commenta-t-il, c’est le cas le plus fréquent pour un atelier.
Et la porte s’ouvrit.
À l’intérieur, il y avait le matériel nécessaire pour pratiquer la sculpture : une sellette supportant un bloc de glaise sèche où s’ébauchait une forme dont il était impossible de déterminer la nature : cela pouvait aussi bien être un champignon qu’une future tête et sans doute la mort avait-elle empêché l’artiste de s’exprimer davantage. Un artiste qui, à leur surprise, n’était pas dépourvu de talent. Il y avait entre autres une main à l’index levé posée sur un coffre auprès d’une tête de jeune homme, plusieurs bas-reliefs inspirés de l’art romain, un faune jouant de la flûte et, surtout, sur une colonne tronquée, un buste plus grand que nature de la défunte épouse. Quelque peu idéalisée sans doute : elle semblait moins acariâtre que sur la toile peinte. Et puis les épaules nues qui avaient dû être longuement caressées étaient polies jusqu’à la luisance ainsi d’ailleurs que les seins lourds entre lesquels le pendentif était reproduit au triple de ses dimensions réelles. Sur son support l’œuvre placée au fond de la pièce dominait le reste, encadrée par deux candélabres portant des vestiges de cierges. Il n’était pas difficile de deviner qu’elle était l’idole à laquelle le sculpteur rendait certainement un culte. Florinde, en effet, ressemblait à quelque déesse barbare. Une sorte de tiare conique la grandissait encore :
— Elle n’était pas belle, murmura Adalbert, mais elle devait avoir un corps superbe et cet homme a dû être son esclave…
— Ce ne sont pas toujours les femmes les plus jolies qui attirent l’amour et le désir d’un homme, fit Aldo. Ce que je comprends moins c’est pourquoi Caroline se réfugiait à deux pas de cette chose aux dates fatidiques, ajouta-t-il en désignant un divan avec trois coussins et une couverture de fourrure…
— Pas assez riche pour s’offrir un hôtel ! Et c’est sans doute la raison pour laquelle, ce soir, tu l’as trouvée dans le jardin. Ce que je me demande, en revanche, c’est ce que l’adorateur de cette femme a pu faire de ce foutu joyau et pourquoi il n’a pas accédé à son désir de le lui laisser dans la tombe ?
— Je suis d’accord avec toi, même si je peux deviner. Le bijou, outre sa beauté, devait garder pour lui l’odeur de sa peau.
— Ce qui veut dire qu’il a dû le cacher quelque part… à moins que depuis sa mort quelqu’un n’ait réussi à le voler. En tout cas, c’est dommage que Lemercier n’ait eu aucune raison de fouiller la maison et ses dépendances. J’aurais aimé voir sa tête devant ce chef-d’œuvre… dont je ne m’explique pas pourquoi Caroline ne s’en est pas débarrassée ainsi que de l’affreux portrait ?