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Au moment même où, à Zurich, Aldo pénétrait dans la chambre forte de Kledermann, Michel Berthier et Gaspard Ledru décidaient de retourner chez Mlle Autié. Ni l’un ni l’autre n’arrivait à digérer ce qu’ils considéraient comme un affront personnel. Berthier surtout était vexé : Morosini lui avait confié la garde de la jeune fille et on la leur avait soufflée sous le nez sans qu’ils bougent seulement une oreille, sans qu’ils se doutent le moins du monde de ce qui se passait. Ils voulaient revoir la maison en détail. Ce qu’ils ne s’étaient pas donné le temps de faire quand ils avaient découvert le rapt de Caroline. Ils savaient bien que les flics avaient « investigué » mais ils ne tenaient pas en haute estime les limiers de ceux que Ledru appelait poétiquement « les chaussettes à clous » !

Il était onze heures du soir quand leur petite voiture les déposa près de l’église. Ils firent le reste du chemin à pied, traversant un quartier tellement calme qu’il ressemblait à une planète morte. Pas une ombre fugitive, pas un chat ! Ils s’en félicitèrent : c’était pour eux un gage de tranquillité…

Arrivés devant la grille, celle-ci répondit sans se faire prier aux sollicitations du couteau suisse de Ledru et cela sans le moindre bruit :

— Elle a été graissée récemment, chuchota-t-il. C’est bizarre, non ?

— Tout est bizarre dans cette baraque…

Précautionneusement, ils s’avancèrent sur les graviers de l’allée pour ne pas les faire crier. Ils étaient à mi-parcours quand ils s’aperçurent que le salon était éclairé et que la porte d’entrée, simplement poussée, montrait une fine ligne brillante. Berthier leva la main pour agrandir l’espace mais à cet instant un courant d’air fit claquer le vantail et d’un même mouvement l’équipe obliqua vers la première fenêtre. Les rideaux en étaient tirés mais il devait être possible de voir par les interstices d’où filtrait un rai de lumière. Quelqu’un d’ailleurs vint à la porte et la ferma complètement. En même temps, des pas se firent entendre qui ramenèrent bientôt dans leur champ de vision un homme jeune qui revint s’asseoir dans une bergère vétuste à côté du foyer sans feu afin d’y achever la lecture d’une sorte de cahier de papier jauni qui avait l’air de l’intéresser prodigieusement. D’où il le sortait, c’était inutile de se le demander : juste en face des deux observateurs, une plaque était détachée d’une plinthe découvrant une cachette. Vide selon toute apparence.

Pendant un instant ils purent observer l’occupant de la bergère qui leur parut posséder un assez beau profil en dépit de la paire de lunettes qui en chaussait le nez. Ils virent aussi qu’il était vêtu d’une façon décontractée, d’un pantalon et d’une chemise blanche. En outre il se comportait comme s’il était chez lui : une tasse à café vide était posée près de lui sur un guéridon.

Pensant que ce devait être un membre de la famille, les deux compères échangèrent un coup d’œil, hésitant sur ce qu’il convenait de faire : ressortir, sonner et se présenter sous un prétexte qui restait à trouver ou bien faire irruption comme de vulgaires bandits et s’emparer de force de cette liasse de papiers qui semblait si passionnante ? Ils n’avaient pas encore décidé quand l’inconnu choisit pour eux : il se leva, referma la cachette d’un coup de pied, se dirigea vers la porte menant aux chambres et éteignit derrière lui :

— Tu crois qu’il va coucher là ? demanda Ledru.

— Ça m’en a tout l’air…

— Qu’est-ce qu’on fait ?

— On peut attendre qu’il dorme et puis entrer discrètement pour voir s’il n’a pas oublié quelque chose dans ce petit endroit si bien caché que personne ne la trouvé…

— … et si par hasard il avait le sommeil dur, on pourrait peut-être récupérer les papiers ? Quitte à l’assommer avec délicatesse au cas où il aurait la mauvaise idée de se réveiller. Après tout, il est seul et on est deux…

— Ça me paraît jouable…

Ils en étaient à ce stade de leurs cogitations quand un bruit interrompit leurs chuchotements : celui d’une fenêtre récalcitrante que l’on ouvre. D’un seul mouvement ils se glissèrent le long de la maison, et ce fut en tournant le coin qu’ils distinguèrent une silhouette noire courant en direction de l’atelier. N’hésitant plus ils se mirent à sa poursuite mais arrivèrent juste à temps pour la voir sauter le mur après avoir escaladé le toit avec une incroyable agilité. Berthier, sportif et bien entraîné, s’élança à la suite mais quand il atteignit le faîte du mur il ne vit plus que le feu arrière rouge d’une voiture qui fonçait dans la nuit…

Lâchant une furieuse invocation au souvenir du général Cambronne, le journaliste rejoignit son camarade au moment où celui-ci enjambait la fenêtre laissée ouverte par le fugitif :

— J’ai entendu démarrer une bagnole, dit Ledru.

— C’était la sienne, grogna Berthier. Quand elle est passée sous le réverbère qui est au bout de la rue j’ai aperçu une caisse basse peinte en rouge avec une capote noire… Tiens comme l’Amilcar de l’égyptologue à cette différence près qu’elle faisait moins de bruit…

— … et que ce n’était pas Vidal… machin qui était au volant puisqu’on on a eu le temps de voir sa tête à ce type…

— Juste ! Mais rien ne dit que l’égyptologue n’était pas à l’intérieur, attendant l’autre ? Elle a démarré étrangement vite cette charrette !

— J’y crois pas ! Tu sais bien avec qui Vidal fait équipe depuis des années.

— Oui, mais Morosini est parti pour Zurich hier soir et il ne doit pas être le seul copain de l’archéologue. Quoi qu’il en soit, assez discuté ! Essayons de voir s’il n’y a pas encore une babiole à grappiller ! Et d’abord, si on peut rouvrir le machin du salon…

On n’eut guère de peine à repérer le morceau de plinthe mobile et, à leur surprise, moins encore à l’ouvrir : il suffisait de tirer vers soi. La plaque de bois fonctionnait avec un simple ressort et se refermait d’elle-même si on lâchait. Pour la maintenir ouverte il fallait poser un objet dessus. Un livre, par exemple comme précédemment…

À première vue elle était vide mais on ne voyait rien de ses profondeurs et Berthier se mit à plat ventre pour y glisser non seulement sa main mais aussi un bras qu’elle avala presque en entier.

— Je sens quelque chose ! dit-il.

La seconde suivante, il ramenait à la lumière une feuille de papier jauni semblable à celles que lisait l’inconnu et qui, peut-être, avait glissé au fond, échappant à ses pareilles. Elle portait plusieurs lignes d’une écriture un peu maladroite dont l’encre pâle annonçait l’ancienneté : « … alors je suis sorti de derrière mon mur après m’être assuré que j’étais trop loin du corps de garde pour que l’on me remarque et il n’y avait personne dans la cour où je me suis précipité en évitant de faire du bruit jusqu’à la fenêtre éclairée de l’aide de camp. Je l’ai vu, alors, qui se battait avec l’homme que j’avais vu entrer et qui pensait sans doute le trouver au lit dans un état de moindre défense. Pour ce que j’en ai pu distinguer, l’issue du combat était incertaine car tous deux me semblaient de force sensiblement égale. Mais comme je voyais aussi très bien la cassette posée sur la table je ne me suis pas attardé à savoir qui allait gagner ou perdre parce que c’était ma chance à moi Léonard Autié. Je n’ai eu qu’à tendre le bras pour la saisir, tandis qu’ils continuaient à s’assommer, j’ai pris ma course… »

Le texte s’arrêtait là.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Ledru

— Qu’une page s’est échappée de la liasse que tenait notre ami… et qu’il risque de venir la rechercher…

— Oui, mais quand ? On va pas l’attendre ? Outre qu’une planque est aussi fatigante que peu rémunératrice, nous avons autre chose à faire, toi et moi.