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Comme toute noble dame anglaise, lady Mendl possédait une Rolls pourvue d’une glace de séparation avec le conducteur. À peine la puissante voiture eut-elle franchi les grilles de l’ancienne demeure du capitaine des chasses royales qu’Aldo ouvrit le feu :

— Quand vous êtes venue nous rejoindre au début du repas, vous vous efforciez – non sans talent d’ailleurs ! – de donner le change mais vous sembliez soucieuse. Et vous l’êtes encore.

— Vous avez de bons yeux, mon cher prince !

— Me feriez-vous assez confiance pour partager avec moi ? Vous êtes depuis longtemps une amie d’Adalbert et vous n’ignorez pas à quel point nous sommes liés.

— Aussi ai-je saisi la balle au bond quand vous m’avez demandé de vous raccompagner. Sans cela je serais venue vous voir à l’hôtel…

— Il s’est passé quelque chose tandis que vous étiez dans la chambre de lady Crawford ?

— Oui. Quand Mr Baldwin l’eut déposée, elle semblait aux prises avec un cauchemar dont elle ne parvenait pas à sortir. Il fallait la calmer. Dans ce but j’ai envoyé ce jeune homme chercher sa femme de chambre et nous l’avons déshabillée puis couchée. Je me suis demandé un moment s’il ne fallait pas appeler un médecin, quand le choc subi a paru s’atténuer. Peut-être sous l’impact de la fatigue. J’ai prié alors cette fille de lui faire une tasse de camomille et je suis allée dans la salle de bains afin d’explorer l’armoire à pharmacie. Bien fournie, croyez-moi, et digne d’une clinique louche, parce que j’ai trouvé certaine drogue qui n’aurait pas dû s’y trouver. Mais ce n’est pas tout ! En fouillant parmi ces boîtes et ces flacons, j’en ai trouvé une cachée sous des compresses et des bandes de pansements dont, en principe on n’a pas fréquemment l’usage. C’était une sorte de coffret laqué blanc sur lequel on avait écrit « poison ». Un mot capable de refouler toutes les curiosités… sauf la mienne. Je l’ai pris, je l’ai ouvert. Dedans, il y avait des bijoux…

— Quoi ?

— Oh, vous avez bien entendu ! Je précise un nœud de corsage en diamants et émeraudes – que je daterais du XVIII e siècle ! – et une boucle d’oreille.

— Une ?

— Oui. Une sublime « larme » d’un blanc légèrement bleuté… qui devrait vous en rappeler une autre.

CHAPITRE XI

LE RENDEZ-VOUS

Comme s’il cherchait à s’en persuader, Aldo répéta :

— Un nœud de corsage… et une boucle d’oreille… qui ne peut être qu’une des deux larmes, et dans une boîte à pharmacie ? Mais ça n’a pas de sens ?

— Ah ! Vous trouvez ?

— C’est la boîte, qui n’a pas de sens ! Cette femme possède le collier de diamants à pendeloques dont Marie-Antoinette avait hérité de Marie-Josèphe de Saxe. Elle le portait l’autre soir et nous l’avons tous vu. Il doit être quelque part dans sa chambre puisque à ce qu’il paraît elle refuse de s’en séparer même pour le mettre dans un coffre. Alors pourquoi dissimuler ce que vous venez de découvrir ?

— La réponse coule de source : pour que le mari n’en sache rien ! Je ne vous cache pas que, depuis un instant, mes idées sur le couple Crawford ont singulièrement évolué ! Pourtant, je les connais depuis longtemps… ou plutôt je croyais les connaître. La passion de Quentin pour Marie-Antoinette ne fait aucun doute. Il y a déjà dépensé des fortunes. En outre, si l’exposition « Magie d’une reine » qui était son idée a rencontré très vite un écho favorable, il a généreusement prêté la majeure partie de sa collection, à l’exception du collier de Léonora.

— Quand on espère une belle pêche, il faut appâter sérieusement. Il a fort bien pu organiser cette exposition dans l’espoir d’une récolte mirobolante. Qui ne va plus tarder maintenant puisque le délai imparti s’achève ce soir. En effet, il est plus de minuit !

— Je serais assez d’accord jusque-là mais ma découverte de tout à l’heure change la physionomie de l’affaire. Léonora n’aime pas la Reine mais elle est folle de bijoux ! Qui nous dit qu’elle ne manipule pas son époux et que ce n’est pas elle le chef de la bande ?

— Vous venez de constater l’état de ses nerfs ? Il faut les avoir solides pour monter un truc pareil ! En outre, je ne la crois pas très intelligente. Enfin, ce que nous venons de voir a démontré l’emprise que son mari possède sur elle. Il peut l’endormir et lui faire dire ce qu’il veut…

— Si vous voulez savoir le fond de ma pensée, l’emprise en question est moins puissante qu’il ne le croit. Elle lui a échappé tout à l’heure et il s’est affolé : la crise de terreur – car c’en était une ! – n’était pas prévue au programme…

Admirant dans son for intérieur la clarté d’esprit de cette femme, Aldo rendit les armes :

— Vous avez peut-être raison mais dans l’état actuel des choses nous n’avons aucun moyen de le savoir. Il est certain que votre découverte nous donne une arme. Que proposez-vous à présent ?

— Faire comme si de rien n’était et garder pour vous ce que je viens de vous dire tant que la petite Autié ne nous sera pas restituée.

— Elle n’était peut-être pas loin de nous. La maison de Crawford est vaste, ancienne aussi : elle ne doit pas manquer d’endroits où cacher un être humain. Sans compter le jardin…

— J’y pense aussi ! soupira lady Mendl. Tant que sa vie sera en danger nous aurons les mains liées… Mais vous voici rendu, mon cher prince, ajouta-t-elle tandis que la voiture s’arrêtait silencieusement devant l’entrée illuminée du Palace. Je vous souhaite une bonne nuit de repos. C’est la seule chose intelligente à faire dans l’immédiat.

En rentrant chez lui, Aldo trouva Adalbert répandu dans un fauteuil en train de fumer un cigare, les pieds voisinant sur une table basse avec un vase de pivoines blanches :

— Alors ? C’était comment, ce dîner ?

— Inhabituel, voire insensé d’un certain côté mais bourré d’enseignements ! Elsie Mendl a trouvé l’une des larmes de diamant et un autre bijou de la Reine dans une boîte à pharmacie…

Suffoqué, Adalbert posa ses pieds à terre et son cigare dans un cendrier :

— Comment en est-elle arrivée à fouiller la pharmacie ?

— Je vais te le raconter. Et toi ?

— Disons que je n’ai pas perdu mon temps mais c’est une broutille à côté de ce que tu rapportes.

À travers la relation précise mais non dépourvue de poésie d’Aldo l’étrange soirée prenait une couleur extravagante. Tout en parlant, Morosini observait son ami pariant avec lui-même ce qu’il allait dire quand il aurait fini… Ce qui ne manqua pas !

— Dis-moi, mon bon, fit Adalbert la mine gourmande. Tu n’aurais pas eu l’idée de noter, dans un coin de ton esprit, les us et coutumes et autres moyens d’accès à cette passionnante maison ? Il me semble que j’aurais plaisir à la visiter… en détail !

Aldo se mit à rire :

— J’aurais parié mon palais familial contre une poignée de cerises que tu me proposerais d’aller y exercer tes talents. On verra plus tard ! À toi maintenant ! Tu as trouvé quelque chose ?

— Un fatras de papiers, de cartes, de livres, de notes, de mégots et le début – prometteur, il y en a déjà six cent trente-deux pages ! – d’une histoire exhaustive de Marie-Antoinette visant à lui offrir une auréole de sainteté. Le tout assaisonné de poussière et de brins de tabac. Et puis tout de même il y avait ça, ajouta-t-il en tirant un feuillet de sa poche. Ce n’est pas l’original. J’ai pris la peine et le temps de le recopier parce qu’il pourrait le chercher.