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Unique satisfaction dans ce constat déprimant, il était libre de se déplacer : aucune entrave ne lui avait été imposée et s’il apprécia ce détail à sa juste valeur, il n’en conclut pas moins qu’il devait y avoir à l’extérieur d’autres moyens de le retenir dans ce trou.

De la position assise, il voulut passer à la station debout mais une douleur accompagnée d’un vertige le renvoya sur son matelas. En même temps lui revenait la mémoire de ce qui s’était passé. Il se revit sortant de la camionnette, tendant le sac de cuir à une main gantée, se remettant sur ses pieds dans la lumière aveuglante puis le coup sur la base du crâne qui l’avait mis KO.

Ce n’était pas la première fois que cela lui arrivait et son expérience passée lui disait qu’on n’avait pas frappé lourdement, mais cela n’expliquait pas le brouillard dans lequel il errait. Un coup d’œil sur sa personne le renseigna : on lui avait enlevé sa veste de smoking, sa cravate, ouvert sa chemise dont la manche était roulée au-dessus du coude. Il vit alors sur son avant-bras la trace d’une piqûre. On l’avait drogué mais à quoi ? Il n’en savait trop rien. Son odorat ne distinguait aucune odeur.

Afin de s’éclaircir les idées, il réussit à se lever en s’accrochant au lit et à faire trois pas lui permettant d’atteindre la cruche qu’il traîna sur le sol pour l’amener près de la couche où il se laissa retomber. Le grincement du sommier métallique lui vrilla le crâne mais, en fouillant ses poches de pantalon, il trouva son mouchoir dont il trempa un coin dans l’eau pour se rafraîchir le visage et le sommet de la tête. Ce qui lui fit du bien.

Ensuite il prit la cruche à deux mains pour se désaltérer. Il se sentait la gorge sèche avec, dans la bouche, un goût bizarre que l’eau lui permit de faire disparaître. Tout de suite il se sentit mieux mais, avant d’entreprendre l’examen détaillé de sa prison, il explora ses poches, trouva sa montre de gousset plate – pas question de porter un bracelet-montre avec une tenue de soirée ! – et vit qu’elle indiquait trois heures, ce qui lui rappela qu’il avait faim mais peut-être n’entrait-il pas dans le plan de ses ravisseurs de le nourrir ?… Il trouva aussi la petite loupe de joaillier qui ne le quittait jamais où qu’il aille et en quelque tenue que ce soit. Il y avait aussi le mince portefeuille avec trois ou quatre billets de banque. Malheureusement ce dont il avait le plus besoin manquait à l’appel ! Son étui à cigarettes et son briquet. En or tous les deux et à ses armes ! Il en éprouva une vive contrariété. Passe encore d’être affamé mais si, en plus, il n’avait plus rien à fumer, il allait être vraiment malheureux !

Il se leva, constata que l’équilibre était bon cette fois et effectua deux ou trois tours des lieux plus un brin de gymnastique afin de s’assurer de l’élasticité de ses muscles. C’est alors que le cri se fit entendre une seconde fois et le figea sur place, l’oreille tendue. Il aurait juré que c’était une femme qui l’avait poussé. Et en effet presque aussitôt il entendit :

— Non ! Non !… Pas ça !… Par pitié, Sylvain !…

Aussitôt suivi d’un gémissement de douleur et plusieurs mots prononcés par une voix masculine mais qu’il ne comprit pas. Sa réaction fut immédiate : courant à la porte il frappa dessus à coups de poing :

— Laissez cette femme tranquille ! hurla-t-il. Quel genre de sauvage êtes-vous ?

Mais il n’obtint que le silence. Il lui sembla seulement entendre des sanglots dont l’écho allait en décroissant : il en déduisit que l’on devait emmener la femme et personne ne répondit à son appel.

Cependant, ils étaient pleins d’enseignements, ces cris, parce qu’il aurait mis la main au feu que Caroline les avait poussés. De même il savait à présent qui était leur ravisseur à tous deux : Sylvain Delaunay ! Le fameux cousin style Arlésienne ! L’homme invisible qui écrivait de Buenos Aires des lettres qui devaient venir en gros de Versailles ! Le soi-disant fiancé ! Ce qu’Aldo refusait de croire après ce qu’il venait d’entendre. Ou alors ce garçon avait une curieuse façon de faire sa cour !… Pauvre petite Caroline !

Il pensa que la meilleure manière de lui venir en aide était de se sortir de là lui-même et il entreprit l’examen minutieux de son local mais plus par acquit de conscience que dans l’espoir réel de trouver une issue : les murs étaient faits de parpaings qui céderaient peut-être à une pioche mais pas à ses mains nues. La porte, de gros bois rugueux, semblait épaisse et, comme il l’avait constaté auparavant, était armée de serrures neuves. Si l’on arrivait à y mettre le feu, elle prendrait certainement un temps fou à brûler en dégageant une fumée asphyxiante. D’ailleurs Aldo n’avait plus de briquet ! Enfin, l’imposte. Si, en repliant le lit, en le roulant dessous et en y grimpant, il devait être possible de l’atteindre et de s’y glisser, il aurait fallu scier les barreaux en croix ! Décourageant !

Il revint s’asseoir sur son lit et, les coudes aux genoux, se prit la tête à deux mains dans l’espoir d’en extraire une idée qui ne vint pas. Restait à attendre que quelqu’un se montre, ce qui n’était pas sûr. On était capable de l’oublier au fond de ce trou, ce qui n’aurait rien d’étonnant venant de gens qui ne semblaient guère se soucier des termes d’un accord. Apparemment, on entendait garder tout : Caroline, les bijoux et lui par-dessus le marché. Certainement pas pour lui offrir une vieillesse heureuse…

Il en était là de ses cogitations quand il perçut de l’agitation derrière la porte, des bruits de ferraille. Quelqu’un entra. Et Aldo remonta le temps en direction du Moyen Âge : l’arrivant était revêtu d’un froc monacal noir, ceinturé par une corde mais, au lieu du capuchon, c’était une cagoule qui lui couvrait sa tête. À part ce détail, il était grand et d’une impressionnante largeur d’épaules. Mais le côté médiéval disparut quand Aldo vit que d’une main il braquait un revolver sur lui et tenait de l’autre une paire de menottes :

— Enfilez ça !

Aldo s’exécuta tout en évaluant mentalement quelles pourraient être ses chances à la boxe avec ce type. En attendant, l’arme disparut au bénéfice d’un bandeau que l’on appliqua avec soin sur ses yeux. L’un guidant l’autre on parcourut une cinquantaine de pas avant d’opérer un quart de tour. L’homme dit :

— On va descendre un escalier. Attention, c’est glissant !

Aldo comprit vite que sans la poigne vigoureuse de son guide, ses élégants vernis noirs lui eussent valu une chute sans doute spectaculaire. En arrivant, en effet, il avait compté vingt-cinq marches avant d’atteindre le sol que l’on aurait pu attendre en terre battue comme en haut. Or il était dallé et glissant lui aussi à cause de l’humidité ambiante qui charriait une désagréable odeur de moisi. Encore quelques pas et l’on s’arrêta. Le bandeau s’envola… et le Moyen Âge refit surface : devant Aldo il y avait une table couverte d’un tapis vert foncé derrière laquelle trois hommes étaient assis.

Trois copies de son guide, leur costume étant exactement le même. Des bougies de deux chandeliers en fer forgé éclairaient le spectacle devant lequel Aldo s’offrit le luxe d’un sourire ironique :

— Eh bien ! Quelle mise en scène ! Vous êtes quoi ? L’Inquisition ? La Sainte-Vehme ? Les Compagnons de Jéhu ? Une maigre survivance du Conseil des Dix réduits à trois ? La confrérie des Pénitents noirs ou…

— Les Vengeurs de la Reine !

— Tiens donc ! Moi qui croyais qu’il n’y en avait qu’un ? Aurait-il fait des petits ?