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— Qui... êtes-vous ? souffla-t-elle d'une voix à peine audible. Pour savoir... cela, il faut que vous soyez le diable !

Gauthier de Chazay sourit :

— Je n'ai pas cet honneur, Madame... et mon habit devrait vous dire que je ne suis même pas l'un de ses représentants. Au surplus, nous ne sommes pas davantage ici pour nous y livrer au jeu des devinettes, non plus qu'à celui des révélations inopportunes. Si je vous ai dit... ce que je viens de vous dire, c'est uniquement dans le but de vous amener à retirer une plainte que vous savez parfaitement injustifiée...

La peur n'avait pas encore quitté ses yeux, mais elle se hâta de répondre, avec une sorte de précipitation, qu'elle retirait sa plainte, que c'était un affreux malentendu...

Mais Marianne ne l'entendait pas de cette oreille.

— Cela ne me suffit pas, fit-elle. J'entends que cette femme avoue la vérité tout entière : des témoins ont vu le policier qui m'a arrêtée sortir la larme de diamant de mon réticule. Il est donc impossible que l'on dise que cette dame l'avait égarée. Elle m'a confié cette pierre contre un prêt de cinq mille roubles dont elle avait besoin pour payer une dette de jeu et qu'elle devait me rendre le soir même. Mais j'imagine qu'elle a tout perdu et que pour récupérer son diamant, sans me rendre l'argent, elle a imaginé cette honteuse comédie...

Cette fois, le duc de Richelieu intervint :

— Est-ce vrai, Madame ? demanda-t-il sévèrement en se tournant vers la comtesse visiblement effondrée.

Elle avoua d'un hochement de tête, sans plus oser relever les yeux sur ceux qui la regardaient. Un silence pesant tomba sur la pièce. Le duc, tapotant machinalement sa pipe sur un coin de la table pour la vider, considérait la comtesse d'un œil étrangement vide, partagé visiblement entre son sens de la justice et les recommandations instantes qu'il avait reçues de Pétersbourg. Ce fut la justice qui l'emporta :

— En ce cas, Madame, je vais avoir le regret de vous faire arrêter...

Elle releva la tête, mais n'eut pas le temps de protester. Le cardinal s'en était déjà chargé.

— Non ! fit-il avec une autorité inattendue. Vous n'en ferez rien, duc ! Vous avez reçu, de la chancellerie impériale, l'ordre de faciliter l'installation de la comtesse de Gachet en Crimée... en Crimée où elle devra résider jusqu'à la fin de ses jours en compagnie du colonel Ivanoff, chargé tout spécialement... de sa sécurité ! Vous exécuterez vos ordres sans en rien changer.

A son tour, le duc infligea à la table un vigoureux coup de poing :

— Eminence ! s'écria-t-il. Nul plus que moi n'a de respect pour votre personne. Mais ceci ne relève pas de l'Eglise. Ceci relève de mon gouvernement. Je ferai dire au Tsar ce qui s'est passé ici et je suis certain que Sa Majesté m'approuvera. Cette femme sera jugée et condamnée.

Le cardinal ne répondit rien. Mais, prenant le bras de Richelieu, il l'entraîna vers l'embrasure de l'unique et étroite fenêtre, obscure d'ailleurs à cette heure de la nuit. Mais ce n'était pas la lumière que cherchait Gauthier de Chazay. Marianne, qui le suivait des yeux attentivement, le vit élever sa main à laquelle brillait un anneau dont le chaton était tourné vers l'intérieur et offrir cette main, paume ouverte, aux regards du gouverneur qui pâlit brusquement, tandis qu'il gratifiait le petit cardinal d'un regard où l'effarement se mêlait au respect.

— Le général... souffla-t-il.

— Alors ? fit le prêtre.

— J'obéirai, Monseigneur !

— L'ordre vous en saura gré ! Maintenant, Madame, ajouta-t-il en revenant vers la comtesse qui, écrasée, avait suivi le dialogue incompréhensible avec des alternances d'angoisse et d'espérance, vous allez pouvoir regagner votre hôtel où vous annoncerez votre départ pour demain matin. Le colonel Ivanoff saura, dans une heure, dans quelle ville de Crimée il devra vous conduire et recevra, en même temps, vos permis de séjour. Nous verrons ensuite à rétablir la vérité au mieux des intérêts de tous.

Avec effort, Mme de Cachet quitta son siège, s'appuyant à son absurde canne comme un soldat blessé à son fusil. Toute sa superbe s'était envolée. Elle avait l'air maintenant d'une très vieille femme. Et ce fut d'une voix presque humble qu'elle murmura :

— J'ignore qui vous êtes. Monseigneur, mais je voudrais vous remercier... et je ne sais comment.

— C'est assez facile : en respectant le contrat que vous aviez passé avec Mlle d'Asselnat : vous aviez convenu, n'est-ce pas, que la larme lui serait acquise si vous ne parveniez pas à lui restituer les cinq mille roubles ? Pouvez-vous les rendre ?

— Non... mais si l'on me prêtait, je pourrais peut-être...

— Vous ne pouvez rien du tout. Votre contrition est fragile, Madame, et la ruse est chez vous une seconde nature. En rentrant à l'hôtel vous ferez porter la pierre au palais du Gouverneur qui la remettra à votre victime. Ce sera plus sûr...

— Mais je n'en veux pas, protesta Marianne.

— Vous la garderez cependant, c'est un ordre.

Vous la garderez... en souvenir de votre mère, morte sur l'échafaud pour avoir essayé de sauver la Reine. Ne cherchez pas à comprendre : je vous dirai, plus tard... Maintenant, vous allez, vous aussi, regagner votre hôtel où vous prendrez le repos dont vous avez un grand besoin.

— Je ne partirai pas sans mon ami Jolival...

La porte, en s'ouvrant, lui coupa la parole. Jolival parut, les yeux fermés, soutenu par un geôlier, car il paraissait avoir de la peine à marcher. Avec horreur, Marianne vit qu'il portait un pansement autour de la tête et que ce pansement était taché de sang.

— Que lui a-t-on fait ? s'écria-t-elle en se précipitant vers lui.

Mais, comme elle prenait son autre bras pour l'aider et le guider vers un siège, il ouvrit un œil et lui sourit.

— Un coup sur le crâne pour me faire taire... Pas grave, mais je me sens un peu étourdi. J'ai une de ces migraines... Si vous pouviez trouver un verre de cognac, ma chère enfant...

Le duc ouvrit une armoire, creusée dans le mur, jeta un coup d'œil à l'intérieur, en tira une bouteille et un verre qu'il remplit à moitié.

— Il n'y a ici que de la vodka, dit-il. Cela fera peut-être le même effet ?

Jolival prit le verre et considéra, non sans surprise, celui qui l'offrait :

— Eh mais... c'est ce cher monsieur Septimanie. Par quel heureux hasard ?

— Jolival, coupa Marianne, ce Monsieur est le gouverneur en personne... le duc de Richelieu.

— Tiens donc ! Je me disais aussi...

Il s'interrompit pour avaler d'un trait le contenu du verre, pas autrement surpris, d'ailleurs. Puis, poussant un soupir de satisfaction, il rendit le récipient vide, tandis que les couleurs revenaient à sa figure tirée.

— Ce n'est pas si mauvais ! dit-il. Je dirais même que ça se boit comme de l'eau...

Mais, soudain, la silhouette de la comtesse entra dans son champ de vision et Marianne vit ses yeux se rétrécir.

— Cette femme ! gronda-t-il sourdement... Je sais qui elle est maintenant ! Je sais où je l'ai vue pour la dernière fois. Monsieur le Duc, puisque vous êtes le maître ici, sachez que cette femme est une voleuse, un monstre flétri par la main du bourreau. La dernière fois que je l'ai vue, elle se tordait entre les mains de ses valets, tandis que Sanson lui appliquait le fer rouge ! C'était sur les marches du Palais de Justice, à Paris, en 1786 et je peux vous dire...

— Taisez-vous ! coupa durement le cardinal. Personne ici ne vous demande de révélations, encore moins de cogitations fumeuses ! Je suis Gauthier de Chazay, cardinal de San Lorenzo et le parrain de votre pupille. Dieu a permis que je me trouve ici à point nommé pour faire rentrer les choses dans leur cours normal. Tout est en ordre et nous ne souhaitons pas en entendre davantage... Madame, ajouta-t-il en se tournant vers la comtesse que l'entrée de Jolival avait rendue à l'angoisse, vous pouvez rentrer chez vous. Le colonel Ivanoff vous attend. Dans une heure, il recevra ses instructions et il vous reste à préparer vos bagages... mais si vous tenez à jouir paisiblement d'un séjour agréable, veillez à ne plus vous laisser aller à de pareils... enfantillages. On vous donnera de quoi vivre...