Выбрать главу

— Je vous le promets, Eminence... Pardonnez-moi !...

Avec timidité, elle s'approcha de lui et, pliant le genou avec peine, courba la tête avec un regard implorant. Il traça un rapide signe de croix sur le panache de plumes violettes, puis tendit aux lèvres de la femme une main où l'on ne pouvait apercevoir qu'un large anneau d'or.

En silence, Mme de Gachet se releva et quitta la pièce sans se retourner.

— Elle ne m'a même pas offert la moindre excuse, fit Marianne qui avait suivi des yeux sa sortie. J'estime tout de même que c'eût été naturel après ce que j'ai subi par sa faute.

— Il était inutile de lui en réclamer, répondit le cardinal. Elle est de ces âmes basses qui gardent rancune à leurs victimes des torts qu'elles leur ont causés... et des conséquences qui en découlent.

Le gouverneur quitta enfin l'abri de la table derrière laquelle il avait assisté à la fin de la scène et s'approcha de Marianne :

— C'est donc moi, Madame, qui vous en offrirai. Aussi bien, vous avez souffert aux mains de mes subordonnés. Que puis-je vous offrir en compensation ? Lorsque nous nous sommes rencontrés sur le port, hier au soir, vous sembliez fort désireuse d'approcher le gouverneur. Aviez-vous donc quelque chose à lui demander ?

Une bouffée de joie empourpra soudain les joues pâles de la jeune femme. Sa pénible aventure allait-elle avoir l'avantage de lui apporter, beaucoup plus vite et beaucoup plus aisément qu'elle ne l'avait craint, la libération de Jason et de son navire ? Cela n'avait rien d'impossible, puisque, à cette minute, le duc parlait de compensation.

— Monsieur le duc, dit-elle doucement, j'ai quelque scrupule à vous demander une grâce, car je n'oublie pas que je dois la vie à cet excellent M. Septimanie... Mais vous avez dit vrai : c'est bien pour obtenir de vous une grâce que j'ai fait le voyage de Constantinople. Je crains seulement que cela ne vous ait inspiré quelque défiance...

Richelieu se mit à rire, d'un rire si chaud et si cordial que l'atmosphère, tendue par le mystère que représentait la comtesse de Gachet, s'en trouva allégée.

— J'en conviens, mais la caution du cardinal est de celles que l'on accepte sans répliquer. Quant à ce nom de Septimanie, il est l'un des nombreux et ridicules prénoms dont on affuble les enfants dans certaines familles. Cela m'a amusé de m'en servir. Mais je vous en prie, parlez...

— Soit ! un brick américain, la Sorcière des Mers, a été capturé par la flotte russe en mars dernier, je crois, et conduit dans ce port. Je désire savoir ce qu'il est advenu de lui, de son équipage et, si possible, obtenir leur liberté. Le capitaine Beaufort est de mes amis chers.

— Je n'en doute pas un seul instant... Vous avez pris de bien grands risques, Madame, pour venir chercher de ses nouvelles jusque dans ce pays... Ce Beaufort a de la chance.

Son regard, chargé d'une soudaine mélancolie, s'attardait sur cette femme ravissante, si jeune et si émouvante dans ce manteau trop grand pour elle où se perdait une silhouette dont il se rappelait parfaitement le charme. Son visage pâle portait des traces de fatigue et de souffrance, mais ses grands yeux, d'un vert si lumineux, s'étaient mis à briller comme de grandes étoiles d'émeraude quand elle avait prononcé le nom de l'Américain. Maintenant, elle joignait ses mains dans un joli geste de prière :

— Par pitié, Excellence... dites-moi ce qui leur est arrivé ?

Les yeux verts brillaient plus fort encore et Richelieu comprit que les larmes n'étaient pas loin. Cependant son visage, curieusement, se ferma.

— Le navire et les hommes sont ici. Mais ne m'en demandez pas davantage pour le moment, car je n'ai plus de temps à vous accorder : d'autres devoirs, désagréables mais impérieux, me réclament. Néanmoins, si vous voulez me faire la grâce de souper demain soir chez moi, je pourrai peut-être vous donner des nouvelles plus détaillées.

— Monseigneur...

— Non, non ! Plus un mot ! Une voiture va vous reconduire chez Ducroux avec une escorte... et tous les honneurs dus à votre rang. Demain soir, nous parlerons... Ici ce n'est pas l'endroit...

Il n'y avait rien à ajouter. Mi-surprise, mi-déçue de cette subite coupure qui ressemblait à une dérobade, Marianne ébaucha une révérence que ses jambes lasses ne lui permirent pas de faire très profonde. Elle n'avait plus qu'un désir maintenant : oublier dans un bon bain d'abord, dans son lit ensuite, l'infernale journée qu'elle venait de vivre. Elle ne protesta même pas quand Richelieu l'informa qu'il gardait le cardinal avec lui. Il était visible que le gouverneur brûlait d'envie de poser certaines questions concernant certainement la femme étrange qu'il avait matée de si imprévisible façon.

Ces questions, Marianne aussi en subissait l'irritante démangeaison, mais Jolival, à peine installé dans la voiture qui devait les ramener à l'hôtel, s'endormit si profondément qu'il fallut deux heures pour le sortir de la voiture, le monter dans sa chambre et le coucher sans même qu'il ouvrit un œil. Force fut donc à Marianne de réfréner une curiosité cependant fort légitime, concernant autant le cardinal de San Lorenzo que l'étrange Mme de Gachet.

Il lui fallait bien admettre que son parrain était décidément un bien curieux personnage. Il semblait doué de pouvoirs hors du commun et sa vie se traçait toujours dans les chemins les plus obscurs et les plus mystérieux. Durant toutes les années de son enfance et de son adolescence, Marianne s'était fait de lui l'image d'un personnage de roman, homme de Dieu, doublé d'un agent secret dévoué au double service du Pape et des princes français en exil. A Paris, durant les fêtes du mariage de Napoléon avec la fille de l'empereur d'Autriche, elle l'avait retrouvé sous la simarre pourpre d'un prince de l'Eglise, mais d'un prince de l'Eglise contestataire, en révolte ouverte contre l'Empereur et contraint à prendre la fuite nuitamment pour échapper aux gendarmes de Savary. Ce qui, d'ailleurs, n'avait pas empêché le cardinal de l'engager elle-même dans la voie d'une union avec un mystérieux prince que nul n'avait jamais vu et dont elle-même, durant la cérémonie de leur mariage, n'avait connu qu'une main gantée...

Et maintenant, il était ici, à Odessa, occupé encore, bien certainement, à quelque besogne secrète, mais revêtu apparemment de pouvoirs extraordinaires et mystérieux qui soumettaient à ce petit prêtre aux yeux bleus les plus puissants dignitaires de cette terre étrangère. Quel rang occupait-il maintenant ? De quelle dignité inouïe avait-il été revêtu sans que l'on pût seulement s'en douter ? Tout à l'heure, quand il avait aperçu le chaton d'or dans la main du cardinal, Richelieu avait murmuré un mot curieux, inhabituel pour un prêtre : « Le Général... » De quelle armée cachée le cardinal de Chazay était-il donc le chef ? Ce devait être une armée bien puissante, même si elle n'évoluait que dans l'ombre, car Marianne se souvenait aussi de l'aisance avec laquelle l'ex-abbé, pauvre comme Job, avait payé la grosse somme d'or exigée par le chantage de Francis Cranmere, son premier mari...

Lasse de chercher, Marianne remit à plus tard les réponses à tant de points d'interrogation. Il lui fallait avant tout prendre du repos afin d'être fraîche et dispose le lendemain soir, quand il lui faudrait plaider la cause de Jason auprès du gouverneur. Une cause qui serait peut-être difficile car l'amabilité de Richelieu avait subi une baisse sensible quand Marianne avait osé poser sa requête. Du moins avait-elle retiré des quelques paroles échangées l'assurance que Jason se trouvait effectivement dans cette ville et qu'elle le reverrait bientôt.