– Une protection rapprochée ? Pour quoi faire ?
– Pour te protéger.
J’éclate de rire.
– Je n’ai aucun besoin d’être protégée. Je suis grande et parfaitement capable de veiller sur ma santé.
– Tu es sûre ?
– Certaine.
– Comme tu voudras. Tu passes demain au bureau ?
– Demain matin, c’est promis.
Je raccroche, finis mon café, paie et quitte le troquet.
Une fois sur le trottoir, je jette un coup d’œil autour de moi pour repérer une éventuelle Ducati rouge mais je m’interromps avant d’avoir achevé mon tour d’horizon. Je ne vais pas laisser un blaireau, fût-il armé d’intentions funestes et du Taser de Luke Skywalker en personne, me gâcher la vie.
Je grimpe sur ma Z.
Feulement du moteur telle une irrésistible incitation au plaisir et au jeu.
Encore et encore.
C’est parti.
Épilogue
– Félicitations, me lance Laure lorsque je pénètre dans l’appart’. Tu es magnifique !
Coup d’œil dans le miroir de l’entrée.
Soit elle se fiche de moi, soit elle est miro. Une nuit blanche, une rencontre avec une Créature au fond d’un lac, une bagarre avec un Troll, un peu de magie, quelques heures de moto, une tentative d’assassinat sur le périph… je dois admettre la vérité : j’ai une tête à faire peur… à un zombie.
Puis je remarque que l’attention de Laure est braquée non sur moi mais sur le magazine qu’elle tient à la main.
Zut. Si elle est tombée sur l’article qui relate mes aventures avec les gobs et l’Élémentaire au lycée Bordage, je n’ai que dix secondes pour inventer une explication plausible. Pas fastoche, ça.
– La lumière est géniale, poursuit Laure, et le noir te va à merveille. Tu devrais en porter plus souvent.
Le noir ?
– Mais de quoi tu parles ?
En guise de réponse, elle tourne son magazine vers moi.
Mon sang se fige.
Étalée en couverture, une photo de moi en gros plan, peau pâle, épais trait de khôl faisant ressortir le bleu de mes yeux, lèvres noires d’où pointent, trucage numérique parfait, deux canines acérées et un titre en lettres sanglantes : « La reine de la nuit ».
– Donne !
Je lui arrache le magazine plus que je ne le prends.
Il s’agit bien de la revue pour laquelle bosse le photographe qui m’a accostée il y a quelques semaines. Et il s’agit bien des photos qu’il a prises de moi. Je la feuillette avec fébrilité jusqu’à trouver l’article qui m’est consacré.
Parce que ce n’est pas d’un article sur la gothic attitude dont il s’agit mais bien d’un article sur moi.
Enfin, sur un personnage à qui je prête mes traits et que le journaliste, shooté à Dungeons & Dragons, a inventé dans le plus pur style fantastico-ridicule. La reine de la nuit – moi – hante les rues parisiennes lorsque le soleil est couché. Immortelle, séductrice et éminemment dangereuse, elle capture dans ses rets les hommes assez fous pour la suivre et les immole sur l’autel de sa beauté.
Une série de clichés illustrent la prose de cet abruti. Moi, moi et encore moi. Vêtue de sombre, ou plutôt dévêtue de sombre – je n’avais pas réalisé lors de la prise de vue à quel point certaines des tenues que j’ai enfilées étaient… sulfureuses –, dans des positions que ma mère, si j’en avais une, jugerait pour le moins inconvenantes.
Je pousse un juron et je balance le magazine sur la table basse.
– Qu’est-ce qui te prend ? s’étonne Laure. Elles sont canon ces photos !
– Canon ? Peut-être mais je m’en fous ! Je sais juste que si je croise ce faux-cul de photographe pourri, je… je ne réponds de rien.
Laure m’adresse un regard stupéfait.
– Tu es sûre que ça va, Ombe ? Tu as l’air épuisée !
– Épuisée, moi ? Pas du tout. D’ailleurs je vais me coucher.
J’utilise son bref instant de stupeur pour gagner ma chambre et quand elle réagit, c’est trop tard, je me suis écroulée sur mon lit.
– Ombe ? Ça va ? Ombe ?
La voix de Laure devient distante, distante, distante.
Je m’appelle Ombe Duchemin et je suis presque incassable.
Presque.
Important, l’adverbe presque.
La preuve, là, je suis cassée.
Et je m’endors.
Suivez aussi les aventures de Jasper,
l’autre Agent stagiaire de l’Association :
LA PÂLE LUMIÈRE DES TÉNÈBRES
ERIK L’HOMME
– Bonjour Rose, je lance bravement en pénétrant dans la pièce.
Je m’affale sur la chaise dédiée aux visiteurs, laissant ma sacoche glisser sur le sol. Mademoiselle Rose abandonne un instant l’écran de son ordinateur pour m’observer. Je tente de soutenir son regard, avant de renoncer devant l’intensité de ses yeux gris.
– Tu es en retard, Jasper.
– Je sais, désolé, je réponds d’une voix coupable. C’est que j’ai eu une soirée plutôt agitée… Elle hoche la tête.
– J’ai entendu dire.
Puis elle se replonge dans son travail, me laissant à plat, euh, en plan sur ma chaise.
Quand j’ai quitté la cave, hier, après y avoir enfermé Fabio, j’ai immédiatement déposé un message sur la boîte vocale d’urgence. Est-ce que c’est mademoiselle Rose qui est chargée de la relever ? Visiblement.
De toute façon, rien ne lui échappe.
Jamais.
Elle est toujours au courant de tout, impossible de lui cacher quelque chose. Je le sais, j’ai essayé plusieurs fois ! Désormais, eh bien, je vais au plus simple et je lui dis moi-même ce qu’elle finirait immanquablement par apprendre. Nos relations s’en sont beaucoup améliorées. Il n’y a qu’à voir la chaleur de nos retrouvailles…
– Euh, je peux repasser si je dérange.
– Ne dis pas de bêtise.
Rien d’autre. Condamné à la chaise et les triques.
Je prends mon mal en patience et tente d’imaginer mademoiselle Rose plus jeune, sans son éternel chignon, sans ses lunettes rondes, sans ses cheveux gris. Sans son air sévère. Je n’y arrive pas. Certaines personnes sont faites pour être vieilles.
Des cris étouffés m’arrachent à mes hautes considérations philosophiques. Je me penche pour regarder dans le couloir, amenant ma chaise à la limite de l’équilibre. Les cris proviennent du bureau de Walter.
– Ça barde chez le directeur ! je lance à une Rose imperturbable. À qui le tour de se faire pourrir ?
Le regard de mademoiselle Rose se pose à nouveau sur moi.
– Ce ne sont pas tes affaires.
Elle me considère un moment puis émet un soupir clairement perceptible.
– Bon, on va s’occuper tout de suite de ton rapport.
Parce que c’est la raison pour laquelle je suis venu ce matin, en sacrifiant (le mot est peut-être un peu fort) deux heures de cours : rendre compte de ma mission.
C’est pareil pour tous les stagiaires, où qu’ils soient et quoi qu’ils fassent : on leur colle sur le dos des tâches ingrates, on ne leur accorde aucune considération et on leur demande de rendre des comptes à la moindre occasion.
– Je commence par quoi ? je dis à mademoiselle Rose, qui s’est équipée d’un stylo et d’un bloc.
À suivre…
Table des matières
En guise d’introduction
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18