Pour les milieux moraux, nous avons la preuve de leur nullité d'action par l'absence d'influence de nos civilisations occidentales sur les peuples de l'Orient, alors même qu'ils sont soumis pendant plusieurs générations à leur contact, ainsi que cela s'observe sur les Chinois habitant les Etats-Unis. Pour les milieux physiques, nous constatons la faiblesse de leur pouvoir par les difficultés de l'acclimatement. Transportée dans un milieu trop différent du sien, une race ancienne – qu'il s'agisse d'un homme, d'un animal ou d'une plante – périt plutôt que de se transformer. Conquise par dix peuples divers, l'Egypte a toujours été leur tombeau. Pas un n'a pu s'y acclimater. Grecs, Romains, Perses, Arabes, Turcs, etc., n'y ont jamais laissé de traces de leur sang. Le seul type qu'on y rencontre est celui de l'impassible Fellah, dont les traits reproduisent fidèlement ceux que les artistes égyptiens gravaient il y a sept mille ans sur les tombes et les palais des Pharaons.
La plupart des races historiques de l'Europe sont encore en voie de formation, et il importe de le savoir pour comprendre leur histoire. Seul l'Anglais actuel représente une race presque entièrement fixée. Chez lui l'ancien Breton, le Saxon et le Normand se sont effacés pour former un type nouveau bien homogène. En France, au contraire, le Provençal est bien différent du Breton, et l'Auvergnat du Normand. Cependant, s'il n'existe pas encore un type moyen du Français, il existe au moins des types moyens de certaines régions. Ces types sont malheureusement bien séparés encore par les idées et le caractère. Il est donc par conséquent difficile de trouver des institutions qui puissent leur convenir également, et ce n'est que par une centralisation énergique qu'il est possible de leur donner quelques communauté de pensée. Nos divergences profondes de sentiments et de croyances, et les bouleversements politiques qui en sont la conséquence, tiennent principalement à des différences de constitution mentale que l'avenir seul pourra peut-être effacer.
Il en a toujours été ainsi quand des races différentes se sont trouvées en contact. Les dissentiments et les luttes intestines ont toujours été d'autant plus profondes que les races en présence étaient plus différentes. Quand elles sont trop dissemblables, il devient absolument impossible de les faire vivre sous les mêmes institutions et les mêmes lois. L'histoire des grands empires formés de races différentes a toujours été identique. Ils disparaissent le plus souvent avec leur fondateur. Parmi les nations modernes, les Hollandais et les Anglais ont seuls réussi à imposer leur joug à des peuples asiatiques fort différents d'eux, mais ils n'y sont parvenus que parce qu'ils ont su respecter les mœurs, les coutumes et les lois de ces peuples, les laissant en réalité s'administrer eux-mêmes, et bornant leur rôle à toucher une partie des impôts, à pratiquer le commerce et à maintenir la paix.
A part ces rares exceptions, tous les grands empires réunissant des peuples dissemblables ne peuvent être créés que par la force et sont condamnés à périr par la violence. Pour qu'une nation puisse se former et durer il faut qu'elle se soit constituée lentement, par le mélange graduel de races peu différentes, croisées constamment entre elles, vivant sur le même sol, subissant l'action des mêmes milieux, ayant les mêmes institutions et les mêmes croyances. Ces races diverses peuvent alors, au bout de quelques siècles, former une nation bien homogène.
A mesure que vieillit le monde, les races deviennent de plus en plus stables, et leurs transformations par voie de mélange de plus en plus rares. En avançant en âge l'humanité sent le poids de l'hérédité devenir plus lourd et les transformations plus difficiles. En ce qui concerne l'Europe, on peut dire que l'ère de formation des races historiques sera bientôt passée.
LIVRE II
COMMENT LES CARACTÈRES PSYCHOLOGIQUES DES RACES SE MANIFESTENT DANS LES DIVERS ÉLÉMENTS DE LEURS CIVILISATIONS
CHAPITRE PREMIER
LES DIVERS ÉLÉMENTS D'UNE CIVILISATION COMME MANIFESTATION EXTÉRIEURE DE L'AME D'UN PEUPLE
Les éléments divers: langues, institutions, idées, croyances, arts, littérature, dont une civilisation se compose, doivent être considérés comme la manifestation extérieure de l'âme des hommes qui les ont créés. Mais suivant les époques et les races, l'importance de ces éléments comme expression de l'âme d'un peuple est fort inégale.
Il n'est guère aujourd'hui de livres consacrés aux œuvres d'art, où il ne soit répété qu'elles traduisent fidèlement la pensée des peuples et sont la plus importante expression de leur civilisation.
Sans doute il en est souvent ainsi, mais il s'en faut de beaucoup que cette règle soit absolue, et que le développement des arts corresponde toujours au développement intellectuel des nations. S'il est des peuples pour qui les œuvres d'art sont la plus importante manifestation de leur âme, il en est d'autres, très haut placés pourtant sur l'échelle de la civilisation, chez qui les arts n'ont joué qu'un rôle fort secondaire. Si l'on était condamné à écrire l'histoire de la civilisation de chaque peuple en ne prenant qu'un élément, cet élément devrait varier d'un peuple à l'autre. Ce seraient les arts pour les uns, mais, pour les autres, ce seraient les institutions, l'organisation militaire, l'industrie, le commerce, etc., qui nous permettraient de les mieux connaître. C'est un point qu'il importe d'abord d'établir, car il nous permettra plus tard de comprendre pourquoi les divers éléments de la civilisation ont subi des transformations très inégales en se transmettant d'un peuple à un autre.
Parmi les peuples de l'antiquité, les Egyptiens et les Romains présentent des exemples tout à fait caractéristiques de cette inégalité dans le développement des divers éléments d'une civilisation, et même dans les diverses branches dont chacun de ces éléments se compose.
Prenons d'abord les Egyptiens. Chez eux, la littérature fut toujours très faible, la peinture fort médiocre. L'architecture et la statuaire produisirent au contraire des chefs-d'œuvre. Leurs monuments provoquent encore notre admiration. Les statues qu'ils nous ont laissées telles que le Scribe, le Cheik-el-Beled, Rahotep, Nefertiti, et bien d'autres, seraient encore des modèles aujourd'hui, et ce n'est que pendant une bien courte période que les Grecs ont réussi à les surpasser.
Des Egyptiens, rapprochons les Romains, qui jouèrent un rôle si prépondérant dans l'histoire. Ils ne manquèrent ni d'éducateurs ni de modèles, puisqu'ils avaient les Egyptiens et les Grecs derrière eux; et, cependant, ils ne réussirent pas à se créer un art personnel. Jamais, peut-être, aucun peuple ne manifesta moins d'originalité dans ses productions artistiques. Les Romains se souciaient fort peu des arts, ne les envisageaient guère qu'au point de vue utilitaire et n'y voyaient qu'une sorte d'article d'importation analogue aux autres produits, tels que les métaux, les aromates et les épices qu'ils demandaient aux peuples étrangers. Alors qu'ils étaient déjà les maîtres du monde, les Romains n'avaient pas d'art national, et même, à l'époque où la paix universelle, la richesse et les besoins du luxe développèrent un peu leurs faibles sentiments artistiques, ce fut toujours à la Grèce qu'ils demandèrent des modèles et des artistes. L'histoire de l'architecture et de la sculpture romaines ne sont guère qu'un sous-chapitre de l'histoire de l'architecture et de la sculpture grecques.