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Ces distinctions subtiles, l'histoire ne s'en préoccupe guère. La seule supériorité, devant laquelle elle s'incline toujours, est la supériorité militaire; mais celle-ci s'accompagne bien rarement d'une supériorité correspondante dans les autres éléments de la civilisation, ou, du moins, ne la laisse pas subsister longtemps à ses côtés. La supériorité militaire ne peut malheureusement s'affaiblir chez un peuple sans qu'il soit bientôt condamné à disparaître. Ce fut toujours alors qu'ils étaient arrivés à l'apogée de la civilisation, que les peuples supérieurs durent céder la place à des barbares très inférieurs à eux par l'intelligence, mais possédant certaines qualités de caractère et de valeur guerrière, que les civilisations trop raffinées ont toujours eu pour résultat de détruire.

Il faudrait donc arriver à cette conclusion attristante que ce sont les éléments, philosophiquement inférieurs, d'une civilisation qui, socialement, sont les plus importants. Si les lois de l'avenir devaient être celles du passé, on pourrait dire que ce qui est le plus nuisible pour un peuple, c'est d'être arrivé à un trop haut degré d'intelligence et de culture. Les peuples périssent dès que s'altèrent les qualités de caractère qui forment la trame de leur âme et ces qualités s'altèrent dès que grandissent leur civilisation et leur intelligence.

CHAPITRE II

COMMENT SE TRANSFORMENT LES INSTITUTIONS, LES RELIGIONS ET LES LANGUES

Les races supérieures ne peuvent, pas plus que les races inférieures, transformer brusquement les éléments de leur civilisation. – Contradictions présentées par les peuples qui ont changé leurs religions, leurs langues et leurs arts. – Le cas du Japon. – En quoi ces changements ne sont qu'apparents. – Transformations profondes subies par le Bouddhisme, le Brahmanisme, l'Islamisme et le Christianisme, suivant les races qui les ont adoptés. – Variations que subissent les institutions et les langues suivant la race qui les adopte. – Comment les mots considérés comme se correspondant dans des langues différentes représentent des idées et des modes de penser très dissemblables. – Impossibilité, pour cette raison, de traduire certaines langues. – Pourquoi, dans les livres d'histoire, la civilisation d'un peuple paraît parfois subir des changements profonds. – Limites de l'influence réciproque des diverses civilisations.

Dans un travail publié ailleurs, nous avons montré que les races supérieures sont dans l'impossibilité de faire accepter ou d'imposer leur civilisation aux races inférieures. Prenant un à un les plus puissants moyens d'action dont les Européens disposent, l'éducation, les institutions et les croyances, nous avons démontré l'insuffisance absolue de ces moyens d'action pour changer l'état social des peuples inférieurs. Nous avons essayé d'établir que, tous les éléments d'une civilisation correspondant à une certaine constitution mentale bien définie créée par un long passé héréditaire, il était impossible de les modifier sans changer la constitution mentale d'où ils dérivent. Les siècles seuls, et non les conquérants, peuvent accomplir une telle tâche. Nous avons fait voir aussi que c'est seulement par une série d'étapes successives, analogues à celles que franchirent les barbares, destructeurs de la civilisation gréco-romaine, qu'un peuple peut s'élever sur l'échelle de la civilisation. Si, au moyen de l'éducation, on essaye de lui éviter ces étapes, on ne fait que désorganiser sa morale et son intelligence, et le ramener finalement à un niveau inférieur à celui où il était arrivé par lui-même.

L'argumentation que nous avons appliquée aux races inférieures est applicable également aux races supérieures. Si les principes que nous avons exposés dans cet ouvrage sont exacts, nous devrons constater que les races supérieures ne peuvent pas non plus transformer brusquement leur civilisation. A elles aussi il faut le temps et les étapes successives. Si des peuples supérieurs semblent parfois avoir adopté des croyances, des institutions, des langues et des arts différents de ceux de leurs ancêtres, ce n'est, en réalité, qu'après les avoir transformés lentement et profondément, de façon à les mettre en rapport avec leur constitution mentale.

L'histoire semble contredire à chaque page la proposition qui précède. On y voit très fréquemment des peuples changer les éléments de leur civilisation, adopter des religions nouvelles, des langues nouvelles, des institutions nouvelles. Les uns abandonnent des croyances plusieurs fois séculaires, pour se convertir au christianisme, au bouddhisme ou à l'islamisme; d'autres transforment leur langue; d'autres enfin modifient radicalement leurs institutions et leurs arts. Il semble même qu'il suffise d'un conquérant ou d'un apôtre, ou même d'un simple caprice, pour produire très facilement de semblables transformations.

Mais, en nous offrant le récit de ces brusques révolutions, l'histoire ne fait qu'accomplir une de ses tâches habituelles: créer et propager de longues erreurs. Lorsqu'on étudie de près tous ces prétendus changements, on s'aperçoit bientôt que les noms seuls des choses varient aisément, tandis que les réalités qui se cachent derrière les mots continuent à vivre et ne se transforment qu'avec une extrême lenteur.

Pour le prouver, et pour montrer en même temps comment, derrière des dénominations semblables, s'accomplit la lente évolution des choses, il faudrait étudier les éléments de chaque civilisation chez divers peuples, c'est-à-dire refaire leur histoire. Cette lourde tâche, je l'ai déjà tentée dans plusieurs volumes: je ne saurais donc songer à la recommencer ici. Laissant de côté les nombreux éléments dont une civilisation se compose, je ne choisirai comme exemple que l'un d'eux: les arts.

Avant d'aborder, cependant, dans un chapitre spécial, l'étude de l'évolution qu'accomplissent les arts en passant d'un peuple à un autre, je dirai quelques mots des changements que subissent les autres éléments de la civilisation, afin de montrer que les lois applicables à un seul de ces éléments sont bien applicables à tous, et que, si les arts des peuples sont en rapport avec une certaine constitution mentale, les langues, les institutions, les croyances, etc., le sont également, et, par conséquent, ne peuvent brusquement changer et passer indifféremment d'un peuple à un autre[7].

C'est surtout en ce qui concerne les croyances religieuses que cette théorie peut sembler paradoxale, et c'est pourtant dans l'histoire de ces croyances mêmes qu'on peut trouver les meilleurs exemples à invoquer, pour prouver qu'il est aussi impossible à un peuple de changer brusquement les éléments de sa civilisation, qu'à un individu de changer sa taille ou la couleur de ses yeux.

Sans doute personne n'ignore que toutes les grandes religions, le brahmanisme, le bouddhisme, le christianisme, l'islamisme, ont provoqué des conversions en masse chez des races entières qui ont paru les adopter tout à coup; mais quand on pénètre un peu dans l'étude de ces conversions, on constate bientôt que ce que les peuples ont changé surtout, c'est le nom de leur ancienne religion, et non la religion elle-même; qu'en réalité les croyances adoptées ont subi les transformations nécessaires pour se mettre en rapport avec les vieilles croyances qu'elles sont venues remplacer, et dont elles n'ont été en réalité que la simple continuation.

Les transformations subies par les croyances, en passant d'un peuple à un autre, sont même si considérables souvent, que la religion nouvellement adoptée n'a plus aucune parenté visible avec celle dont elle garde le nom. Le meilleur exemple nous est fourni par le bouddhisme, qui, après avoir été transporté en Chine, y est devenu à ce point méconnaissable que les savants l'ont pris d'abord pour une religion indépendante et ont mis fort longtemps à reconnaître que cette religion était simplement le bouddhisme transformé par la race qui l'avait adopté. Le bouddhisme chinois n'est pas du tout le bouddhisme de l'Inde, fort différent lui-même du bouddhisme du Népal, lequel s'éloigne aussi du bouddhisme de Ceylan. Dans l'Inde, le bouddhisme ne fut qu'un schisme du brahmanisme, qui l'avait précédé, et dont il diffère au fond assez peu; en Chine, il fut également un schisme de croyances antérieures auxquelles il se rattache étroitement.

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7

Je n'aborderai pas ici le cas du Japon que j'ai déjà traité ailleurs et sur lequel je reviendrai sûrement un jour. Il serait impossible d'étudier en quelques pages une question sur laquelle des hommes d'Etat éminents, malheureusement suivis par des philosophes peu éclairés, s'illusionnent si complètement. Le prestige des triomphes militaires, fussent-ils obtenus sur de simples barbares, reste encore pour bien des esprits le seul critérium du niveau d'une civilisation. Il est possible de dresser à l'européenne une armée de nègres, de leur apprendre à manier fusils et canons, on n'aura pas pour cela modifié leur infériorité mentale et tout ce qui découle de cette infériorité. Le vernis de civilisation européenne qui recouvre actuellement le Japon ne correspond nullement à l'état mental de la race. C'est un misérable habit d'emprunt que déchireront bientôt de violentes révolutions.