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Si donc des gens bourrés de science formaient à eux seuls le corps électoral, leurs votes ne seraient pas meilleurs que ceux d'aujourd'hui. Ils se guideraient surtout d'après leurs sentiments et l'esprit de leur parti. Nous n'aurions aucune des difficultés actuelles en moins, et en plus nous aurions sûrement la lourde tyrannie des castes.

Restreint ou général, sévissant dans un pays républicain ou dans un pays monarchique, pratiqué en France, en Belgique, en Grèce, en Portugal ou en Espagne, le suffrage des foules est partout identique, et ce qu'il traduit en définitive, ce sont les aspirations et les besoins inconscients de la race. La moyenne des élus représente pour chaque pays l'âme de la race. D'une génération à l'autre on la retrouve à peu près identique.

Et c'est ainsi qu'une fois encore nous retombons sur cette notion fondamentale de race, déjà rencontrée si souvent, et sur cette autre notion, qui découle de la première que les institutions et les gouvernements ne jouent qu'un rôle insignifiant dans la vie des peuples. Ces derniers sont surtout conduits par l'âme de leur race, c'est-à-dire par les résidus ancestraux dont cette âme est la somme. La race et l'engrenage des nécessités de chaque jour, tels sont les maîtres mystérieux qui régissent nos destinées.

CHAPITRE V

Les assemblées parlementaires.

Les foules parlementaires présentent la plupart des caractères communs aux foules hétérogènes non anonymes.-Simplisme des opinions.-Suggestibilité et limites de cette suggestibilité.-Opinions fixes irréductibles et opinions mobiles.-Pourquoi l'indécision prédomine.-Rôle des meneurs.-Raison de leur prestige.-Ils sont les vrais maîtres d'une assemblée dont les votes ne sont ainsi que ceux d'une petite minorité.-Puissance absolue qu'ils exercent.-Les éléments de leur art oratoire.-Les mots et les images.-Nécessité psychologique pour les meneurs d'être généralement convaincus et bornés.-Impossibilité pour l'orateur sans prestige de faire admettre ses raisons.-Exagération des sentiments, bons ou mauvais, dans les assemblées.-Automatisme auquel elles arrivent à certains moments.-Les séances de la Convention.-Cas dans lesquels une assemblée perd les caractères des foules.-Influence des spécialistes dans les questions techniques.-Avantages et dangers du régime parlementaire dans tous les pays.-Il est adapté aux nécessités modernes; mais il entraîne le gaspillage des finances et la restriction progressive de toutes les libertés.- Conclusion de l'ouvrage.

Les assemblées parlementaires représentent des foules hétérogènes non anonymes. Malgré leur recrutement, variable suivant les époques et les peuples, elles se ressemblent beaucoup par leurs caractères. L'influence de la race s'y fait sentir, pour atténuer ou exagérer, mais non pour empêcher la manifestation des caractères. Les assemblées parlementaires des contrées les plus différentes, celles de Grèce, d'Italie, de Portugal, d'Espagne, de France et d'Amérique, présentent dans leurs discussions et leurs votes de grandes analogies et laissent les gouvernements aux prises avec des difficultés identiques.

Le régime parlementaire représente d'ailleurs l'idéal de tous les peuples civilisés modernes. Il traduit cette idée, psychologiquement erronée mais généralement admise, que beaucoup d'hommes réunis sont bien plus capables qu'un petit nombre de prendre une décision sage et indépendante sur un sujet donné.

Nous retrouvons dans les assemblées parlementaires les caractéristiques générales des foules: le simplisme des idées, l'irritabilité, la suggestibilité, l'exagération des sentiments, l'influence prépondérante des meneurs. Mais, en raison de leur composition spéciale, les foules parlementaires présentent quelques différences que nous indiquerons bientôt.

Le simplisme des opinions est une de leurs caractéristiques les plus importantes. On y rencontre dans tous les partis, chez les peuples latins surtout, une tendance invariable à résoudre les problèmes sociaux les plus compliqués par les principes abstraits les plus simples, et par des lois générales applicables à tous les cas. Les principes varient naturellement avec chaque parti; mais, par le fait seul que les individus sont en foule, ils tendent toujours à exagérer la valeur de ces principes et à les pousser jusqu'à leurs dernières conséquences. Aussi ce que les parlements représentent surtout, ce sont des opinions extrêmes.

Le type le plus parfait du simplisme des assemblées fut réalisé par les jacobins de notre grande Révolution. Tous dogmatiques et logiques, la cervelle pleine de généralités vagues, ils s'occupaient d'appliquer des principes fixes sans se soucier des événements; et on a pu dire avec raison qu'ils avaient traversé la Révolution sans la voir. Avec les dogmes très simples qui leur servaient de guide, ils s'imaginaient refaire une société de toutes pièces, et ramener une civilisation raffinée à une phase très antérieure de l'évolution sociale. Les moyens qu'ils employèrent pour réaliser leur rêve étaient également empreints d'un absolu simplisme. Ils se bornaient en effet, à détruire violemment ce qui les gênait. Tous, d'ailleurs, girondins, montagnards, thermidoriens, etc., étaient animés du même esprit.

Les foules parlementaires sont très suggestibles; et, comme pour toutes les foules, la suggestion émane de meneurs possédant du prestige; mais, dans les assemblées parlementaires, la suggestibilité a des limites très nettes qu'il importe de marquer.

Sur toutes les questions d'intérêt local ou régional, chaque membre d'une assemblée a des opinions fixes, irréductibles, et qu'aucune argumentation ne pourrait ébranler. Le talent d'un Démosthène n'arriverait pas à changer le vote d'un député sur des questions telles que le protectionnisme ou le privilège des bouilleurs de cru, qui représentent des exigences d'électeurs influents. La suggestion antérieure de ces électeurs est assez prépondérante pour annuler toutes les autres suggestions, et maintenir une fixité absolue d'opinion[47].

Sur des questions générales: renversement d'un ministère, établissement d'un impôt, etc., il n'y a plus du tout de fixité d'opinion, et les suggestions des meneurs peuvent agir, mais pas tout à fait comme dans une foule ordinaire. Chaque parti a ses meneurs, qui ont parfois une égale influence. Il en résulte que le député se trouve entre des suggestions contraires et devient fatalement très hésitant. C'est pourquoi on le voit souvent, à un quart d'heure de distance, voter de façon contraire, ajouter à une loi un article qui la détruit: ôter par exemple aux industriels le droit de choisir et de congédier leurs ouvriers, puis annuler à peu près cette mesure par un amendement.

Et c'est pourquoi, à chaque législature, une Chambre a des opinions très fixes et d'autres opinions très indécises. Au fond, les questions générales étant les plus nombreuses, c'est l'indécision qui domine, indécision entretenue par la crainte constante de l'électeur, dont la suggestion latente tend toujours à contre-balancer l'influence des meneurs.

Ce sont cependant les meneurs qui sont en définitive les vrais maîtres dans les discussions nombreuses où les membres d'une assemblée n'ont pas d'opinions antérieures bien arrêtées.

La nécessité de ces meneurs est évidente puisque, sous le nom de chefs de groupes, on les retrouve dans les assemblées de tous les pays. Ils sont les vrais souverains d'une assemblée. Les hommes en foule ne sauraient se passer d'un maître. Et c'est pourquoi les votes d'une assemblée ne représentent généralement que les opinions d'une petite minorité.

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C'est à ces opinions antérieurement fixées et rendues irréductibles par des nécessités électorales, que s'applique sans doute cette réflexion d'un vieux parlementaire anglais: «Depuis cinquante ans que je siège à Westminster, j'ai entendu des milliers de discours; il en est peu qui aient changé mon opinion; mais pas un seul n'a changé mon vote.»