Ils hochèrent la tête avec empressement. Le regard de Roland glissa sur les adultes qui se tenaient, tendus, derrière eux.
— Ces quatre-là partiront deux minutes en avance. Puis viendront les autres jumeaux, les plus vieux d’abord, les plus jeunes en dernier. Ils n’iront pas loin ; les dernières paires quitteront à peine la route.
Roland leva la voix, criant ses ordres.
— Les enfants ! Quand vous entendrez ceci, faites demi-tour ! Revenez vers moi le plus vite possible !
Le Pistolero mit les deux premiers doigts de sa main gauche dans le coin de sa bouche et émit un sifflement tellement aigu que plusieurs enfants se couvrirent les oreilles de leurs mains.
— Sai, si vous voulez cacher les enfants dans l’une de ces grottes, pourquoi les faire revenir ? demanda Annabelle Javier.
— Parce qu’ils ne vont pas dans une de ces grottes. C’est là-bas, qu’ils vont, dit Roland en tendant la main vers l’est. C’est dame Oriza qui va prendre soin des enfants. Ils se cacheront dans le riz, juste de ce côté du fleuve.
Ils regardèrent tous dans la direction qu’il indiquait, et c’est ainsi qu’ils virent le nuage de poussière, tous en même temps.
Les Loups arrivaient.
— Nous allons avoir de la visite, mon chou, dit Susannah. Roland opina de la tête, puis se tourna vers Jake.
— Vas-y, Jake. Comme je te l’ai dit.
Jake prit deux bonnes poignées d’objets dans la boîte et les tendit aux jumeaux Tavery. Puis il sauta par-dessus le fossé de gauche, aussi gracieux qu’une biche, et se mit à remonter le chemin de l’arroyo, Benny à ses côtés. Franck et Francine les suivaient de près ; Roland vit Francine laisser tomber un petit chapeau de sa main.
— D’accord, fit Overholser. J’en intuite au moins une partie, savez-vous. Les Loups verront les frusques, et ils croiront d’autant plus que les enfants sont là-bas. Mais pourquoi envoyer les autres au nord, Pistolero ? Pourquoi ne pas les accompagner dans le riz, dès maintenant ?
— Parce qu’il faut que nous partions du principe que les Loups sentent la piste de leur proie, comme de vrais loups, répondit Roland.
Il éleva de nouveau la voix.
— Les enfants ! Dans le chemin ! Les aînés d’abord ! Tenez la main de votre partenaire, et ne la lâchez pas ! Revenez quand vous entendrez le sifflet !
Les enfants se mirent en branle, aidés par Callahan, Sarey Adams, les Javier et Ben Slightman, qui leur firent franchir le fossé. Tous les adultes avaient l’air nerveux ; seul le Pa de Benny avait aussi l’air méfiant.
— Les Loups commenceront par y aller, parce qu’ils auront des raisons de croire que les enfants sont là-bas, dit Roland, mais ils ne sont pas stupides, Wayne. Ils chercheront un signe, et nous le leur donnerons. S’ils sont capables de suivre une piste à l’odorat — et je parierais la dernière récolte de riz de cette ville que c’est le cas — ils trouveront l’odeur, les chaussures et les rubans. Quand ils perdront la piste du groupe principal, celle du groupe de quatre que j’ai envoyé en premier les occupera encore un petit moment. Ça les enfoncera un peu plus, ou peut-être pas. Mais alors, ça ne devrait plus avoir d’importance.
— Mais…
Roland l’ignora. Il se tourna vers sa petite bande de combattants. Ils seraient sept en tout. C’est un bon chiffre, se dit-il. Le chiffre de la puissance. Il scruta le nuage, derrière eux. Il était plus haut qu’aucun des tourbillons du seminon, et il se déplaçait à une vitesse horrifiante. Pourtant, pour l’instant, Roland trouvait que tout se passait bien.
— Écoutez bien, dit-il, cette fois à Zalia, Margaret et Rosa.
Les membres de son propre ka-tet savaient déjà ce qu’il allait dire, ils le savaient depuis que le vieux Jamie avait susurré son secret si longtemps gardé à l’oreille d’Eddie, sous le porche des Jaffords.
— Les Loups ne sont ni des hommes, ni des monstres. Ce sont des robots.
— Des robots ! cria Overholser, sa voix trahissant plus la surprise que l’incrédulité.
— Si fait, et d’un genre que mon ka-tet a déjà croisé sur sa route.
Il pensait à une certaine clairière, où les tout derniers serviteurs du grand ours s’étaient entre-pourchassés, dans une danse ultime et infinie.
— S’ils portent des capuches, c’est pour cacher le petit piston qu’ils ont sur le dessus de la tête. Il fait environ cette taille.
Roland leur montra une hauteur d’environ cinq centimètres, et une longueur de treize.
— C’est cette partie que Molly Doolin a touchée, et qu’elle a coupée net avec son plat, il y a bien longtemps. Elle a frappé là par accident. Nous frapperons à dessein.
— Les bonnets de pensée, fit Eddie. Leur point de contact avec le monde extérieur. Sans eux, ils sont aussi morts qu’une merde de chien.
— Visez ici, dit Roland en plaçant sa main droite environ trois centimètres au-dessus de son crâne.
— Mais alors, la poitrine… la branchie dans la poitrine… dit Margaret Eisenhart, visiblement perplexe.
— Des foutaises, depuis le début, avoua Roland. Visez le haut de la capuche.
— Un jour, dit Tian, je saurai pourquoi il faut qu’il y ait toujours autant de saloperies de foutaises.
— J’espère surtout que ce jour viendra, répondit Roland.
Les derniers enfants — les plus jeunes — commençaient à remonter le chemin, se tenant par la main, disciplinés. Les plus vieux se trouvaient environ deux cents mètres devant eux, et le quatuor de Jake encore au moins deux cents mètres au-delà. Ça devrait suffire, se dit le Pistolero. Il porta alors son attention sur les anges gardiens.
— Ils vont revenir. Alors vous les emmènerez de l’autre côté du fossé, en rang, deux par deux.
Sans regarder, il fit un signe du pouce, par-dessus son épaule.
— Ai-je besoin de vous répéter combien il est important que les pieds de maïs ne soient pas dérangés, surtout ceux près de la route, où les Loups pourront s’en rendre compte.
Ils secouèrent la tête.
— Au bord des rizières, poursuivit Roland, faites-les passer par un des courants. Poussez quasiment jusqu’à la rivière. Puis faites-les s’allonger là où le riz est haut et toujours vert.
Il écarta les mains, ses yeux bleus étincelant.
— Dispersez-les. Vous autres adultes, restez près d’eux, côté rivière. En cas de problème — un renfort de Loups, un événement imprévu — c’est de ce côté que ça se produira.
Sans leur laisser l’occasion de poser des questions, Roland se fourra de nouveau deux doigts dans la bouche et siffla. Vaughn Eisenhart, Krella Anselm et Wayne Overholser rejoignirent les autres dans le fossé, et se mirent à rappeler les plus petits, pour les faire revenir vers la route. Pendant ce temps, Eddie jeta un regard par-dessus son épaule et fut ébahi de constater combien le nuage s’était rapproché de la rivière. Quand on connaissait leur secret, leur rapidité n’était plus un mystère ; ces chevaux gris n’étaient pas du tout des chevaux, mais des propulseurs mécaniques conçus pour ressembler à des chevaux, rien de plus. Comme une horde de Chevrolet en déplacement officiel, se dit-il.
— Roland, ils arrivent ! Et à toute vitesse !