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— Il vient des plantations de l’Arc Extérieur. Au sud.

— Si on tombe dessus par hasard, on se sert, pas vrai ? C’est une promesse que je veux entendre.

— Je te le promets.

Tout en parlant, Susannah observait Eddie.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? Vous n’avez pas l’air très frais, les garçons.

— Encore les rêves, fit Eddie.

— Moi aussi, renchérit Jake.

— Pas des rêves, les corrigea le Pistolero. Et toi, Susannah, comment as-tu dormi ?

Elle le regarda d’un air franc. Roland ne perçut pas l’ombre d’un mensonge dans sa réponse.

— Comme une masse, comme d’habitude. L’avantage, avec le fait de voyager tout le temps, c’est qu’on peut balancer ce foutu Nembutal.

— C’est quoi, ce truc de vache, Roland ? demanda Eddie.

— Vaadasch.

Il le leur expliqua de son mieux. Ce qu’il se rappelait le mieux dans l’enseignement de Vannay, c’était que les Manni s’imposaient de longues périodes de jeûne pour se placer dans l’état d’esprit adéquat, et qu’alors ils voyageaient, en quête du lieu propice à générer le vaadasch. Ils déterminaient l’emplacement de ce lieu à l’aide d’aimants et de gros pendules de plomb.

— J’ai l’impression que ces mecs-là auraient été comme des poissons dans l’eau à Needle Park, fit Eddie.

— N’importe où dans Greenwich Village, ajouta Susannah.

— Hein qu’on dirait de la musique hawaïenne ? demanda Jake d’une voix grave et profonde, et ils se mirent tous à rire. Même Roland rit un peu.

— Vaadasch, c’est une autre façon de voyager, conclut Eddie quand le rire se fut tu. Comme les portes. Et les boules de cristal. C’est bien ça ?

Roland allait dire oui, puis il hésita.

— Je pense que ce sont toutes des variations autour du même thème. Et d’après Vannay, les boules de cristal — les morceaux de l’Arc-en-Ciel du Magicien — favorisent le vaadasch. Elles le favorisaient même trop, parfois.

Jake reprit :

— On clignotait vraiment, comme… comme des ampoules ? Ce que tu appelles des lampes à étincelles ?

— Oui — vous apparaissiez et disparaissiez. Et quand vous étiez partis, il restait une faible lueur à votre place, comme si quelque chose la gardait pour vous.

— Si c’est le cas, je remercie le ciel, fit Eddie. Quand ça s’est terminé… quand la petite musique est revenue et qu’on s’est libéré… je vais te dire la vérité, je croyais vraiment qu’on ne reviendrait pas.

— Moi aussi, dit Jake d’une voix calme.

Le ciel s’était couvert de nouveau, et dans la lumière blafarde du matin, le garçon était très pâle.

— Je t’avais perdu.

— Je n’ai jamais été aussi heureux de revoir un endroit de toute ma vie que ce petit bout de route, dit Eddie. Et de voir que tu étais à côté de moi, Jake. Même Rover m’a paru sympathique — il jeta un regard vers Ote, puis à Susannah — Il ne t’est rien arrivé de ce genre, cette nuit, chérie ?

— On l’aurait vue, fit Jake.

— Pas si elle était vaadasch ailleurs, suggéra Eddie.

Susannah secoua la tête, l’air troublé.

— J’ai dormi, tout simplement. Je vous l’ai dit. Et toi, Roland ?

— Rien à signaler, dit-il.

Comme toujours, il préférait garder les choses pour lui, jusqu’à ce que son instinct lui dicte de partager l’information. De plus, ce qu’il avait dit n’était pas totalement un mensonge. Il scruta très attentivement le visage d’Eddie et de Jake.

— On a des ennuis, pas vrai ?

Eddie et Jake se regardèrent, puis se tournèrent vers Roland. Eddie soupira.

— Ouais, probablement.

— Graves ? Tu as une idée ?

— Non, pas vraiment. Et toi, Jake ?

Jake fit non de la tête.

— Mais j’ai des idées, poursuivit Eddie, et si j’ai raison, on a un problème. Du genre costaud.

Il avala. Avec difficulté. Jake lui toucha la main, et le Pistolero s’inquiéta de voir combien Eddie serrait fort les doigts du garçon.

Roland se pencha et prit la main de Susannah dans la sienne. Il eut un bref retour d’image, de cette main en train d’éviscérer une grenouille. Il écarta le souvenir. La femme qui avait fait ça n’était pas parmi eux en ce moment.

— Racontez-nous, dit-il à Eddie et à Jake. Racontez-nous tout. On veut tout entendre.

— Au mot près, confirma Susannah. Au nom de vos pères.

2

Ils racontèrent ce qui leur était arrivé dans le New York de 1977. Fascinés, Roland et Susannah écoutèrent comment ils avaient suivi Jake jusqu’à la librairie, comment ils étaient tombés sur Balazar et ses hommes, juste devant.

— Ouh, fit Susannah, encore les méchants ! On dirait presque un roman de Dickens.

— C’est qui, ce Dickens ? Et c’est quoi, un roman ? demanda Roland.

— Un roman, c’est une histoire longue, qui forme un livre. Dickens a dû en écrire une douzaine. C’est sans doute le meilleur de tous les temps. Dans ses histoires, les habitants de cette grande ville appelée Londres n’arrêtent pas de revoir des gens de leur passé. J’avais un prof au lycée qui détestait ce genre de scènes. Il disait que les romans de Dickens étaient remplis de coïncidences faciles.

— Un prof qui ne connaissait pas le ka ou qui n’y croyait pas, dit Roland.

Eddie acquiesça.

— Ouais, c’est comme le ka. Pas de doute.

— Je m’intéresse plutôt à cette femme qui a écrit Charlie le Tchou-tchou qu’à ce Dickens, dit Roland. Jake, je me demandais si tu…

— J’ai toujours un wagon d’avance, répondit Jake en faisant sauter les boucles de son sac. Avec une pointe de déférence, il en sortit un vieux livre usé, le récit des aventures de Charlie la locomotive et de son ami, Bob le mécanicien. Ils se penchèrent tous vers la couverture. Le nom inscrit sous l’illustration était toujours Béryl Evans.

— Bon sang, fit Eddie. C’est vraiment bizarre. Je veux dire, je ne veux pas m’écarter de la voie…

Il marqua une pause, prenant soudain conscience de son jeu de mots ferroviaire, puis il reprit — de toute façon, Roland se moquait des jeux de mots et des blagues.

— … mais c’est bizarre. Celui que Jake a acheté — le Jake de Soixante-Dix-Sept — avait été écrit par une certaine Claudia quelque chose Bachman.

— Inez, compléta Jake. Et puis, il y avait un y qui se baladait. Un y minuscule. Quelqu’un sait ce que ça signifie ?

Personne ne put répondre, mais Roland leur apprit qu’il y avait des noms de ce genre, à Mejis.

— Il me semble que c’était pour ajouter des titres honorifiques, et je ne pense pas que ce soit vraiment secondaire. Jake, tu disais que la pancarte dans la vitrine avait changé. En quoi ?

— Je ne m’en souviens pas. Mais tu sais quoi ? je crois que si tu m’hypnotisais de nouveau — tu sais, avec cette balle — je pourrais.

— Et c’est peut-être ce que je finirai par faire, dit Roland. Mais ce matin, on manque de temps.

On en revient toujours à ça, pensa Eddie. Hier le temps n’existait pas, et maintenant on en manque. C’est toujours une question de temps, quoi qu’il arrive, non ? Le passé de Roland, notre passé à nous, et ce présent-ci. Ce présent dangereux.

— Pourquoi ? demanda Susannah.

— Nos amis, dit Roland en indiquant le sud de la tête. J’ai le sentiment qu’ils vont bientôt se faire connaître.