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— Mais il y a quand même eu mort d’homme !

— C’était un meurtre, oui. Mais pas une menace envers l’ordre politique des signataires de la convention de Vienne. »

Laura était outrée : « Alors, à quoi êtes-vous bons ? »

Vorochilov prit un air blessé : « Oh ! mais nous sommes très bons pour ce qui est de calmer les tensions internationales. Seulement, nous ne sommes pas une force de police mondiale. » Il vida sa tasse de thé et la déposa. « Certes, Moscou fait pression depuis maintenant de nombreuses années pour l’instauration d’une véritable force de police mondiale. Mais Washington y fait obstacle. Toujours à pinailler en évoquant Big Brother, les libertés civiles, les lois sur la vie privée. C’est une vieille histoire.

— Vous ne pouvez pas du tout nous aider. »

Vorochilov se leva. « Madame Webster, c’est vous qui avez invité ces gangsters sous votre toit, ce n’est pas moi. Si vous nous aviez appelés d’abord, nous vous en aurions dissuadée de la manière la plus pressante. » Il saisit son terminal. « J’aurai besoin d’interroger maintenant votre époux. Merci pour le thé. »

Laura le quitta pour monter à la salle de télécoms. Emerson et le maire étaient assis ensemble sur l’un des divans en osier, avec cet air satisfait des gens qui viennent de faire le tour d’une question. Magruder se battait à grands coups de fourchette avec un tardif petit déjeuner tex-mex de migas[1] et de haricots sautés.

Laura s’assit de l’autre côté de la table et se pencha, tremblante de colère. « Eh bien, vous m’avez l’air à l’aise, tous les deux.

— Vous avez parlé avec le délégué de Vienne ? dit Emerson.

— Cet abruti ne vous est d’aucune utilité.

— KGB. » Emerson renifla.

« Il dit que ce n’est pas une affaire politique, que ce n’est pas de leur ressort. »

Emerson parut surprise. « Hmmmph. Ça, c’est une première avec eux. »

Laura la dévisagea. « Bon, alors qu’est-ce qu’on décide ? »

Magruder reposa un verre de lait. « Nous vous fermons, Laura.

— Juste temporairement », ajouta Emerson.

Laura en resta bouche bée. « Fermer ma Loge ? Pourquoi ? Mais pourquoi ?

— Tout a été prévu, dit Magruder. Voyez-vous, s’il s’agit d’une affaire criminelle, alors les médias vont venir nous submerger. Ils y mettront le paquet et ce sera pire qu’une alerte aux requins pour le tourisme. Mais si on vous ferme, alors, ça ressemble à une histoire louche. Classée secrète. Et personne ne cherche trop à fouiner dès que Vienne pointe son nez. » Il haussa les épaules. « Je veux dire, ils finiront bien par trouver, mais d’ici là ce sera de l’histoire ancienne. Et on aura limité les dégâts. » Il se leva. « Il faut que je cause à cette Ranger. Vous savez. L’assurer de l’entière coopération de la ville de Galveston de toutes les façons possibles. » Il saisit sa mallette et descendit pesamment l’escalier.

Laura fusilla Emerson du regard. « Alors, c’est ça ? Vous étouffez le scandale et c’est à David et moi de payer les pots cassés ? »

Sourire aimable d’Emerson. « Ne vous impatientez pas, ma chère. Notre projet n’est pas remis en question à cause de cette seule attaque. N’oubliez pas… C’est avant tout à cause d’attaques de ce genre que les pirates ont accepté de se rencontrer. »

Laura était ébahie. Elle s’assit. L’espoir renaissait au milieu de la confusion. « Alors, vous poursuivez ? Malgré tout ce qui s’est passé ?

— Bien sûr, Laura. Le problème est loin d’avoir disparu, n’est-ce pas ? Non. Il est plus proche que jamais. On a déjà eu de la chance de ne pas vous perdre – vous, une collaboratrice extrêmement estimée. »

Laura leva les yeux, surprise. Le visage de Debra Emerson était parfaitement tranquille – le visage d’une femme qui ne faisait que retransmettre la vérité. Pas de flatterie – un fait. Laura s’avança sur son siège. « Enfin, c’était quand même une attaque contre Rizome, non ? Une attaque directe contre notre firme.

— Oui. Ils ont trouvé un défaut dans notre cuirasse – le FAIT l’a trouvé, ou les gens cachés derrière. » Emerson prit un air grave. « Il doit y avoir eu une fuite dans la sécurité. Cet avion mortel… je parie qu’il attendait embusqué depuis des jours. Quelqu’un était au courant de cette réunion et surveillait ce bâtiment.

— Une fuite dans la sécurité de Rizome ?

— Nous ne devons pas tirer de conclusions hâtives. Mais il nous faudra découvrir la vérité. C’est plus important que cette Loge, Laura. Bien plus important. » Elle marqua une pause. « Nous pouvons parvenir à un accord avec les enquêteurs de Vienne. Nous pouvons parvenir à un accord avec la ville de Galveston. Mais ce n’est pas là le plus difficile. Nous avons garanti la sécurité aux participants de cette conférence et nous avons échoué. À présent, il nous faut quelqu’un pour apaiser la tempête. À la Grenade. »

La Retraite de Rizome à Chattahoochee était située sur les contreforts des Smokies, à une centaine de kilomètres au nord-est d’Atlanta. Huit cents arpents de collines boisées dans une vallée traversée par un torrent au lit de caillasse blanche asséché cette année-là. Chattahoochee avait la faveur du comité central ; elle était suffisamment proche de la ville pour rester pratique, et suffisamment isolée dans la cambrousse pour que les occupants restent à l’écart du regard collectif du comité.

On y amenait souvent de nouvelles recrues – en fait, c’était ici qu’Emily lui avait présenté David Webster. Derrière, dans la vieille ferme en pierre, celle dépourvue de géodes. Laura ne pouvait plus contempler ces collines de Chattahoochee sans que lui revienne cette nuit : David, un étranger, grand et mince dans son costume bleu nuit, un verre à la main, cheveux bruns ruisselant dans le dos.

À vrai dire, tous les invités, toutes les recrues de pointe en tout cas, s’étaient décarcassés pour faire assaut d’élégance. Quitte à aller un brin à contre-courant, histoire de montrer qu’ils n’allaient pas se laisser intégrer si facilement que ça, merci. Et voilà qu’ils se retrouvaient ici, des années plus tard, au fin fond des bois de Georgie avec le comité central, non plus en nouvelles recrues mais en associés de plein droit, et jouant pour de bon.

Bien sûr, le personnel du comité était entièrement différent aujourd’hui, mais certaines traditions persistaient.

L’importance de cette réunion était décelable au négligé recherché de leur tenue. Des problèmes normaux, on les aurait examinés à Atlanta, dans le cadre d’un conseil classique, mais ce problème avec la Grenade était une crise authentique. En conséquence, l’ensemble du comité avait endossé la tenue de brave péquenaud, ambiance Amérique profonde du temps de Lincoln. Pantalon de toile effiloché, chemise en flanelle aux manches roulées jusqu’aux coudes… Garcia-Meza, un industriel mexicain d’allure imposante, portait un grand panier à pique-nique en osier.

C’était marrant d’imaginer Charlie Cullen au poste de CEO. Lazura ne l’avait pas rencontré en tête à tête depuis sa promotion, bien qu’elle eût été de temps en temps en liaison avec lui quand ils édifiaient la Loge. Cullen était biochimiste, spécialisé dans les plastiques de construction, un type plutôt sympa. C’était un excellent coordinateur pour Rizome, car il inspirait instinctivement confiance – en revanche, le combat de rues n’était pas son fort. Depuis sa nomination, il s’était mis à porter un feutre gris relevé vers l’arrière. Moins comme un chapeau que comme une couronne ou une auréole. C’était marrant comme l’autorité pouvait affecter les gens.

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1

Sorte de panade relevée avec de l’ail. (N.d.T.)