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— Drôle de raisonnement, remarqua Sticky.

— Vous vous imaginez peut-être qu’elle est plus en sécurité chez nous, reprit Laura. Vous savez, la maison qui s’est fait mitrailler.

— D’accord », reconnut Sticky. Il haussa les épaules. « Peut-être qu’on pourra lui bricoler un bavoir pare-balles. »

Emily intervint par radio : [« Mais c’est que c’est un marrant. Il y a des talents qui se perdent. Ils auraient dû l’engager pour une vidéo-comédie. »]

Sticky remarqua leur silence. « Vous bilez pas, Atlanta, reprit-il tout haut. On prendra mieux soin de nos invités que vous ne l’avez fait des vôtres. »

[« Ouille »], dit le murmure.

Ils parcoururent encore plusieurs kilomètres en silence. [« Écoutez »], dit Emily. [« Pour vous éviter de perdre votre temps, je vais vous passer une sélection des meilleurs extraits de discours électoraux du comité… »] Laura écouta attentivement ; David jouait avec le bébé et regardait dehors.

Puis la Hyundai quitta la nationale par l’ouest pour s’engager sur un chemin gravillonné. Emily interrompit un discours sur les avoirs de la Couronne pacifique de Rizome en bois d’œuvre et en micro-puces. La voiture gravissait la colline, au milieu d’épais bosquets de casuarinas. Elle s’immobilisa dans l’obscurité.

« Klaxonne », ordonna Sticky, et la voiture obéit. Des lampes à arc s’illuminèrent au sommet de deux mâts d’acier aux portes d’une plantation. En haut des murs d’enceinte fortifiés du domaine, des tessons de bouteilles scintillaient méchamment.

Un garde se présenta au bout d’un long moment, un jeune milicien à l’air rompu, un fusil entraveur en bandoulière. Sticky descendit de voiture. Le garde avait l’air coupable du type qu’on a sorti du lit. Tandis que le portail s’ouvrait, Sticky fit valoir son rang en tançant le pauvre gamin.

« Non mais, regardez-moi ce numéro de ringardise fasciste », grommela David, rien que pour marquer le coup.

La voiture pénétra dans une cour gravillonnée décorée d’une fontaine en marbre asséchée et de rosiers humides qui étouffaient sous les mauvaises herbes. Les projecteurs du portail éclairaient de loin un escalier chaulé aux marches basses menant à une longue véranda abritée. Au-dessus de celle-ci, deux tourelles d’allure ridicule aux fenêtres éclairées. Expression de l’idée de classe chez certains colons victoriens. [« Mince de piaule ! »] commenta Emily.

« Une résidence Reine Anne ! » dit David.

La voiture s’arrêta au pied des marches et les portières s’ouvrirent. Ils descendirent au milieu de la moiteur tropicale et des parfums entêtants, traînant le bébé et leur barda. Sticky les rejoignit, brandissant une clé à carte.

« C’est chez qui, ici ? demanda David.

— Chez vous, pour l’instant. » Sticky les invita à gravir les marches et à traverser le porche ouvert plongé dans l’obscurité. Ils passèrent devant une grande table couverte de poussière. Le pied de David buta sur une balle de ping-pong qui fusa en cliquetant au loin dans les ténèbres, entre les reflets squelettiques de sièges de jardin en aluminium. Sticky glissa sa clé à carte dans la fente d’une double porte en bois de rose à ferrures en laiton.

Les portes s’ouvrirent ; le hall s’éclaira aussitôt. David exprima sa surprise : « Cette vieille baraque a un équipement domotique ?

— Bien sûr, fit Sticky, hautain. Elle a appartenu dans le temps à un ponte de la Banque – le vieux M. Gelli. C’est lui qui l’a aménagée. » Des voix inconnues provenaient d’une porte au fond. Ils pénétrèrent dans une salle de séjour : moquette murale en velours floqué, ensemble salon à fleurs, table basse haricot, épaisse moquette d’un bordeaux purulent.

Deux hommes et une femme, en tenue blanche de domestiques, étaient agenouillés près d’une desserte à roulettes renversée. Ils se levèrent en hâte, l’air penaud.

« Elle déconne, dit le plus grand des deux hommes, l’air buté. À nous a coursés toute la journée.

— Voici vos domestiques, dit Sticky. Jimmy, Rajiv et Rita. La maison est encore un peu poussiéreuse mais ils vous soigneront bien. »

Laura les examina. Jimmy et Rajiv ressemblaient à des pickpockets et Rita avait des yeux brûlants et noirs comme des billes – elle regardait Loretta avec l’air de se demander ce qu’elle donnerait, accommodée en ragoût avec oignons et carottes. « Est-on censés recevoir ? » demanda-t-elle.

Sticky eut l’air perplexe : « Non…

— Je suis certaine que Jimmy, Rajiv et Rita sont très capables, dit prudemment Laura. Mais à moins de nécessité pressante, je crois qu’on se soignera mieux tout seuls.

— Vous aviez des domestiques à Galveston », remarqua Sticky.

Laura grinça des dents. « Le personnel de la Loge est composé d’associés de Rizome. Nos collaborateurs.

— La Banque vous a sélectionné ces gens, observa Sticky. Ils avaient une bonne raison. » Il guida David et Laura vers une autre porte. « La chambre principale est ici. »

Ils le suivirent dans une pièce tapissée de penderies et équipée d’un imposant aqualit à baldaquin. Le lit venait d’être fait. Un bâton d’encens au gardénia se consumait sur un bureau d’acajou ancien. Sticky referma les portes derrière lui.

« Vos domestiques vous protègent des espions, leur dit-il avec un air de patience exaspérée. Des gens, et des objets aussi, les objets munis de rotors et de caméras, vu ? On n’a pas envie que ces gens s’interrogent sur votre identité et la nature de votre présence ici. » Il se tut, le temps qu’ils méditent sur l’information, puis reprit : « Alors voici le plan : on vous fait passer pour des docteurs fous.

— Des quoi ? intervint David.

— Des technos, Bwana. Des consultants extérieurs. Des technocrates de haut niveau, le gratin de la Grenade. » Sticky marqua un temps d’arrêt. « Vous ne voyez donc pas ? Comment fait-on marcher cette île, selon vous ? Nous avons ici des docteurs fous venus de tous les azimuts. Yankees, Européens, Russes, ils débarquent ici pour profiter des petits avantages, et puis le coin leur plaît, vu ? Des maisons vastes, avec du personnel. » Clin d’œil appuyé. « Plus certains détails appréciables…

— C’est vraiment le pied, dit David. Et on a droit aussi à des collaborateurs sur le terrain ? »

Sourire de Sticky. « Vous savez que vous commencez à me plaire, vous deux ?

— Pourquoi ne pas nous faire passer plutôt pour des touristes ? demanda Laura. Vous devez quand même bien en avoir, non ?

— Ma p’tite dame, vous êtes aux Antilles. L’arrière-cour de l’Amérique, vu ? On a l’habitude de voir des Yankees courir partout les fesses à l’air. Ça nous choque pas le moins du monde. » Il marqua un temps d’arrêt, songeur, ou faisant semblant. « Sauf que ce rétrovirus – cette sacrée MST yank – prélève son tribut chez les filles. »

Laura sentit la moutarde lui monter au nez. « Ce genre de “petits avantages” ne nous intéresse pas, capitaine.

— Oh ! désolé ! dit Sticky. J’oubliais que vous êtes en ligne avec Atlanta, faut surveiller ses manières, pas causer vulgaire… tant qu’ils peuvent entendre.

[« Oh »], murmura soudain Emily, [« si vous êtes tous des hypocrites, ça veut dire qu’il a bien le droit d’être un con. »]

— Vous voulez prouver que nous sommes des hypocrites, dit David. Parce que ça vous donne le droit de nous insulter. » Pris à contre-pied, Sticky hésita. David reprit, apaisant : « Nous sommes vos invités. Si vous tenez à nous entourer de ces prétendus “domestiques”, c’est votre affaire. »

Laura embraya : « Peut-être que vous n’avez pas confiance en nous ? » Elle fit mine de réfléchir. « Pas bête d’avoir quelques domestiques pour nous surveiller, juste au cas où l’on s’aviserait de regagner Galveston à la nage.