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— Le porno ne se vend plus comme avant, dit Laura.

— Ouais, ils sont tous coincés, collet monté, acquiesça Prentis. Moi, ça, je suis pas d’accord. Je crois à l’ouverture totale… l’honnêteté, vous voyez ? Les gens ne devraient pas traverser l’existence avec des œillères.

— Pouvez-vous nous expliquer ce que vous faites ici ? demanda Laura.

— Oh ! mais bien sûr ! Nous utilisons une variété autotrophe d’Escherichia coli, en majorité des autotrophes monosériques, même si nous avons également recours à la double autotrophie pour les tentatives un peu délicates… Quant aux colonnes de fermentation, ce sont des saccharomycètes… Une souche standard, déposée par Pruteen, rien de bien évolué, de la technologie éprouvée en matière de prom. En travaillant à quatre-vingts pour cent de la capacité nominale, nous sortons environ quinze tonnes par unité et par jour, en poids sec… Bien entendu, pas question de laisser le produit brut. Nous effectuons dessus un gros travail de présentation – d’aromatisation. »

Prentis s’approcha des fenêtres. « Les bassins les plus petits sont des installations à cloche et siphon. Agents de texture, aromatisation, fermentation secondaire… » Sourire vitrifié à Laura. « Fort proche de ce que peut faire normalement n’importe quelle ménagère dans le confort de sa propre cuisine ! Mixers, batteurs, micro-ondes ; en un peu plus grand, c’est tout. »

Prentis regarda David puis détourna les yeux ; les lunettes noires le gênaient. Il reporta son attention sur Laura, lorgnant, fasciné, sa poitrine. « Ce n’est pas si nouveau que ça, à vrai dire. Si vous avez déjà mangé du pain, du fromage ou de la bière, vous mangez des ferments et des levures. Tous ces trucs : le tofu, la sauce de soya ; vous seriez ahuris d’apprendre les opérations qu’il faut effectuer pour obtenir de la sauce de soya. Et croyez-le ou pas, c’est bien plus sain que les prétendus aliments naturels. Des légumes frais ! » Prentis aboya de rire. « Ils sont bourrés de poisons naturels ! On cite le cas d’individus tombés raides morts après avoir mangé des pommes de terre !

— Hé, l’interrompit David, vous prêchez un converti, amigo. »

Laura se détourna vers les baies vitrées. « Ce n’est pas exactement une nouveauté pour nous, docteur Prentis. Rizome possède une division aliments synthétiques… j’ai même eu l’occasion de faire pour eux du travail de relations publiques.

— Mais c’est bon ! C’est très bon ! » dit Prentis avec un hochement de tête surpris. « Les gens, voyez-vous, ont des préjugés absurdes… à l’idée de “manger des microbes”.

— Il y a plusieurs années, peut-être, dit Laura. Mais aujourd’hui, c’est pour l’essentiel un problème de classe – le fait que ce soit de la nourriture de pauvre. Des aliments pour le bétail. »

Andreï croisa les bras.

« Une notion bourgeoise de Yankee…

— Eh bien, c’est un problème de marketing, dit Laura. Mais je suis d’accord avec vous. Rizome ne voit pas ce qu’il y a de mal à nourrir les affamés. Nous avons un savoir-faire dans ce domaine – et c’est le genre de transfert de technologie qui pourrait s’avérer très utile à une industrie en expansion… » Elle marqua un temps d’arrêt. « J’ai entendu votre petit discours, là-haut, Andreï, et nous avons entre nous plus de points communs que vous ne l’imaginez. »

David intervint, hochant la tête. « Il y a en ce moment aux États-Unis un jeu qui fait fureur, baptisé Gestion mondiale. J’y joue beaucoup… La technique des protéines, telle que celle-ci, est l’un de nos principaux instruments de maintien de la stabilité mondiale. Sans elle, il y a des émeutes de la faim, les villes s’effritent, les gouvernements tombent… Et pas seulement en Afrique.

— Mais ça, c’est le travail, dit Andreï. Pas un jeu.

— Nous ne faisons pas cette distinction, rétorqua David, très sérieux. Nous n’avons pas de “travail” à Rizome – mais simplement des choses à faire, et des gens pour les faire. » Il eut un sourire victorieux. « Pour nous, jouer, c’est apprendre… Vous jouez à la Gestion mondiale et vous apprenez que vous ne pouvez pas rester tranquillement le cul calé dans un fauteuil et laisser les choses partir à vau-l’eau. Vous ne pouvez pas simplement toucher votre salaire, empocher des bénéfices, être un poids mort pour le système. Au sein de Rizome, nous savons cela – merde, c’est même pour ça que nous sommes venus à la Grenade. »

Il se tourna vers Prentis. « J’en ai une copie dans mes affaires – contactez-moi, je peux vous la charger. Pour vous aussi, Andreï. »

Petit rire narquois de Prentis. « Euh… je peux accéder à la Banque d’ici, David… Les jeux vidéo, ils en ont quelques centaines de milliers en archives, de toutes sortes, dans toutes les langues…

— Piratés ? » demanda Laura.

Prentis l’ignora. « Mais votre Gestion mondiale, je vais l’essayer un coup, ça pourrait être marrant, j’aime bien me tenir au courant des nouveautés… »

David toucha son écouteur. « Depuis combien de temps êtes-vous à la Grenade, docteur Prentis ?

— Dix ans et quatre mois. Et c’est un travail fort gratifiant. » Du geste, il embrassa les machines qui vrombissaient derrière la vitre. « En regardant ça, vous vous dites peut-être : machines d’occasion, bricolage et bidouille… mais en attendant, on a une chose avec laquelle ils ne pourront jamais rivaliser, aux États : l’Esprit d’entreprise authentique… » Prentis passa derrière le bureau et ouvrit un des tiroirs du bas.

Il se mit à empiler tout un tas d’objets sur le plateau éraflé : des cure-pipes, des couteaux X-Acto, une loupe, une pile de mini-cassettes liées par un élastique. « On s’attaquera à n’importe quoi, on le secouera, le retournera, l’examinera sous tous les angles… Votre truc, ça pourra venir sur un coup d’inspiration, ou résulter d’une séance de remue-méninges… ici, ceux qui tiennent les cordons de la bourse, rien à voir avec les autres tantes, là-bas, aux États ; une fois qu’ils vous ont fait confiance, eh bien, c’est comme une subvention globale, mais en mieux. Vous bénéficiez d’une Véritable Liberté Intellectuelle… »

La pile montait sur son bureau : timbres en caoutchouc, presse-papiers, jouets en fer-blanc moléculaire. « Et ils savent s’amuser, en plus ! C’est peut-être pas flagrant quand on voit les cadres dirigeants du Mouvement, mais vous n’avez jamais vu un carnaval à la Grenade… De vrais sauvages ! Ah ! on peut dire qu’ils savent s’éclater… Ah ! le voilà ! » Il brandit un tube anonyme ; on aurait dit du dentifrice. « Ça, en tout cas, c’est quelque chose !

— Qu’est-ce que c’est ? demanda David.

— Ça ? Tout simplement ce qu’on a pu faire de mieux comme lotion solaire, c’est tout ! » Il lui lança le tube. « Inventée ici même, à la Grenade. Ce n’est pas un simple mélange d’écrans solaires et d’adoucissants. Merde, ces vieux trucs se contentent de tartiner l’épiderme. Celui-ci, en revanche, pénètre directement les cellules, change la structure des réactions… »

David dévissa le bouchon. Une puissante odeur mentholée envahit la pièce. « Houlà ! » Il le revissa.

« Non, gardez-le. »

David fourra le tube dans sa poche. « Je n’en ai pas vu sur le marché…

— Bon sang, non, ça risque pas. Et vous savez pourquoi ? Pasque les inspecteurs de la Santé yankee lui ont refusé l’agrément, voilà pourquoi. “Risque mutagène”, “substance carcinogène”. Mon œil, oui ! » Prentis claqua le tiroir. « Le rayonnement solaire direct ! Là oui, un vrai risque de cancer. Mais non, ça, ils laissent passer, pas vrai ? Parce qu’il est naturel. » Prentis ricana. « D’accord, vous utilisez cette lotion tous les jours pendant quarante ans, vous aurez peut-être un petit problème. Ou vous avez peut-être déjà un ulcère à l’estomac dû à l’alcool. De quoi vous ruiner du sol au plafond, mais vous ne les imaginez pas interdire l’alcool, pas vrai ? Sacrés hypocrites !