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— Non. Sens ! » Il sentait la sueur mâle rance avec une note de fond mentholée. Sa peau semblait passée au cirage.

« Oh non ! fit-elle. T’as pas utilisé ce machin en tube, non ?

— Bien sûr que si, répondit David, surpris. Prentis soutenait que c’était le meilleur produit jamais fabriqué – tu ne t’attendais quand même pas que je le croie sur parole ? » Il examina ses avant-bras. « J’en ai mis hier, également. Je jurerais que je suis déjà plus bronzé – et sans coup de soleil.

— David, tu es incorrigible… »

Il se contenta de sourire. « Je crois que je mérite un cigare, ce soir ! »

Ils dînèrent. Les domestiques étaient troublés par les cassettes de recrutement. Ils voulaient savoir ce qu’il y avait de vrai dans tout ça. Tout, répondit Laura, innocemment.

Quand ils furent couchés, elle contacta Atlanta pour qu’ils lui transfèrent sa bande d’enseignement du japonais – des histoires à suspense d’Edogawa Rampo. David s’endormit aussitôt, bercé par les polysyllabes incompréhensibles. Laura écouta tandis qu’elle sombrait, laissant la grammaire étrangère imbiber ces drôles de recoins collants où le cerveau stockait les langues. Elle aimait la langue de Rampo, son style journalistique, direct, sans la moindre de ces périphrases contournées, de ces horripilantes allusions voilées…

Plusieurs heures plus tard, elle fut brutalement réveillée dans le noir. Un gazouillis d’anglais insistant. « Hé ! chou, réveille-toi, y a du nouveau… »

Emily Donato parlait dans le noir. [« Laura, c’est moi. »]

Laura se tortilla dans l’aqualit ondulant. La chambre était toute pénombre pourpre et grise. Elle croassa : « Lumières ! » Éclair du plafonnier. Elle grimaça pour déchiffrer le réveil. Deux heures du matin. « Que se passe-t-il, Emily ? »

[« On tient le fait »], proclama le réveil, avec la voix familière d’Emily.

Laura sentit venir la migraine. « Le fait ? Quel fait ? »

[« Le FAIT, Laura. Nous savons qui est derrière. Qui ils sont réellement. C’est le Molly. »]

« Oh ! les terroristes ! » Elle avait fait le point. Un petit frisson la parcourut : le choc, la terreur. Cette fois, elle était bien réveillée. « Molly ? Quelle Molly ? »

[« Le gouvernement du Molly »], dit Emily.

« C’est un pays du nord de l’Afrique », dit David depuis son côté du lit. « La république du Mali. Capitale : Bamako, principale exportation : le coton, taux de croissance démographique : deux pour cent. » David, le joueur de Gestion mondiale.

« Le Mali. » Un nom aux résonances vaguement familières, sans plus. « Et qu’est-ce qu’ils ont à voir dans tout ça ? »

[« On est en train de bosser sur la question. Le Mali est l’un de ces pays du Sahara touchés par la famine, avec un régime militaire, un sale coin… Le FAIT est leur bras armé. Nous le tenons de plusieurs sources. »]

« Lesquelles ? »

[« Kymera, I.G. Farben, et les Affaires étrangères algériennes. »]

« Ça paraît sérieux », reconnut Laura. Elle faisait confiance à la Kymera Corporation – les Japonais ne lançaient pas d’accusations à la légère. « Et qu’en disent les inspecteurs de Vienne ? »

[« Rien. Pas d’ingérence. Selon moi, ils couvrent quelque chose. Le Mali n’a jamais signé la convention de Vienne… »] Emily marqua un temps d’arrêt. [« Le comité central se réunit demain. Des représentants de Kymera et de Farben arrivent par avion. Tout le monde trouve cette histoire louche. »]

« Que voulez-vous qu’on fasse ? » demanda Laura.

[« Avertir la Banque quand vous témoignerez. Ce n’est pas Singapour qui a tué l’homme. Ni d’ailleurs la Commerzbank européenne. C’est la police secrète du Mali. »]

« Seigneur, fit Laura. D’accord… »

[« Je t’envoie quelques informations supplémentaires sur une ligne codée… Bonne nuit, Laura. Je veille tard, moi aussi, si ça peut te consoler. »]

Emily coupa la connexion.

« Waouh… » Laura secoua la tête, chassant les dernières toiles d’araignée. « Ça commence vraiment à bouger… » Elle se tourna vers son mari… « Hîîîî !

— Ouais », dit David. Il sortit un bras de sous les draps, pour lui montrer. « Je suis, euh, noir.

— David… tu es noir ! » Laura rabattit le drap, révélant sa poitrine et son ventre nus. Elle sentit, de surprise, ses cheveux se dresser sur la tête. « David, mais regarde-toi. Ta peau est noire ! Partout !

— Ouais… J’ai pris un bain de soleil tout nu dans la piscine. » Il haussa les épaules, l’air penaud, des épaules d’autant plus noires sur le blanc immaculé de l’oreiller. « Tu te souviens de cet officier de bord – un Noir aux cheveux blonds – sur le Charles-Noguès ? Ça m’a étonné, sur le coup… »

Laura plissa les paupières, essayant de se souvenir. « Le nègre blond… ah oui, mais j’ai pensé qu’il s’était teint les cheveux…

— Les cheveux, non, mais la peau, oui. C’est cette huile solaire que m’a donnée Prentis. Je suppose qu’elle affecte le pigment de la peau, la mélanine. C’est un peu irrégulier, en bas, près de… euh… enfin, du côté de l’entrejambe, comme si j’avais des taches de rousseur très foncées mais en grosses plaques… j’aurais dû lui demander comment ça marche au juste.

— Ça, c’est évident, comment ça marche, David : ça te rend tout noir ! » Laura se mit à rire, prise de court entre la honte et le ridicule de la situation. Il avait l’air si différent. « Tu te sens bien, chéri ?

— Très bien, fit-il, calmement. Qu’est-ce que t’en penses ?

— Laisse-moi te regarder… » Elle jeta un regard dérobé à son bas-ventre et partit d’un fou rire. « Oh !… ce n’est pas tellement drôle mais… David… tu ressembles à une girafe en chaleur… » Elle lui frotta l’épaule, avec force, du gras du pouce. « Ça ne s’en va pas, hein… Chéri, t’as vraiment réussi ton coup, cette fois-ci.

— C’est révolutionnaire », dit-il sobrement.

Elle fut secouée d’une nouvelle crise de fou rire.

« Je ne blague pas, Laura. On peut devenir noir à l’aide d’un tube. Tu ne vois donc pas la portée de ça ? »

Elle se mordit la phalange jusqu’à ce qu’elle ait réussi à se maîtriser. « David, les gens n’ont pas envie de risquer un cancer de la peau rien que pour le plaisir d’être noirs.

— Pourquoi pas ? Moi si. Nous vivons au Texas sous un soleil implacable. Tous les Texans devraient être noirs. Sous ce type de climat, ça vaut mieux. C’est plus logique. »

Elle le fixa, se mordillant la lèvre. « C’est vraiment trop… trop incroyable… Tu n’es pas vraiment noir, David. T’as un nez d’Anglo, une bouche d’Anglo. Oh ! et regarde, là, t’as oublié un bout d’oreille ! » Elle hurla de rire.

« Arrête un peu, Laura, tu m’énerves. Il se redressa dans le lit. D’accord, je ne suis peut-être pas noir, vu de près… Mais dans une foule, je suis un Noir. Idem dans une voiture, ou dans la rue. Ou dans une réunion politique. Ça pourrait tout changer. »

Sa passion la surprit. « Pas tout, David, allons. Le CEO de Rizome est noir. L’Amérique a eu un président noir, même.

— Conneries, Laura, ne fais pas comme si le racisme était de l’histoire ancienne ; à ton avis, pourquoi l’Afrique est-elle dans ce merdier ? Bon Dieu, ces Grenadins ont vraiment découvert un truc ! J’avais bien entendu des rumeurs mais comme c’était dépeint, ça ressemblait plutôt à une expérimentation dangereuse… Alors que c’est si facile ! Je me demande quelle quantité ils en ont produit ? Plusieurs kilos ? Plusieurs tonnes ? »