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Eileen regarda la silhouette sombre de leur guide remonter la paroi latérale du canyon dans le crépuscule ambré, mouvant. Plutôt que du « sable », c’était de la poussière que charriait le vent, ou des particules plus fines encore, impalpables, une sorte de fumée. Mais il arrivait qu’un grain plus gros heurte avec un petit cliquetis la visière de son casque.

— Roger, nous n’arrivons pas à retrouver le canyon principal, annonça Doran d’une voix entrecoupée de parasites.

— Comment ça ?

— Eh bien, nous avons rebroussé chemin dans le canyon que nous suivions, mais nous avons dû prendre un embranchement différent, parce que nous sommes dans un cul-de-sac.

— Bon. Vous allez retourner au plus proche embranchement et prendre plus au sud. Si je me souviens bien, vous êtes dans le premier canyon, juste au nord par rapport à nous.

— Exact, confirma Doran. Nous allons essayer ça.

Les quatre qui étaient plus loin dans le canyon principal apparurent tels des fantômes dans le brouillard.

— Nous voilà ! fit Ivan avec satisfaction.

— Nobleton ! John ! Vous me recevez ?

Pas de réponse.

— Il doit être un peu plus loin, fit Roger en s’approchant du chariot. Aidez-moi à tirer ça vers le haut de la pente.

— Pour quoi faire ? demanda le Dr Mitsumu.

— Nous allons dresser la tente à cet endroit. Nous dormirons pliés en deux, pour une fois.

— Mais pourquoi là-haut ? insista le Dr Mitsumu. Nous ne pourrions pas dresser la tente ici, dans le fond du canyon ?

— C’est le vieux problème des arroyos, répondit machinalement Roger. Si la tempête se poursuit, le canyon pourrait s’emplir de poussière comme si c’était de l’eau. Et vous n’avez sûrement pas envie d’être ensablés.

Ils halèrent le chariot sur la pente, non sans mal, et calèrent les roues avec des pierres. Roger dressa la tente presque tout seul. Il allait trop vite pour que les autres puissent lui donner un coup de main.

— D’accord, vous quatre, vous allez entrer là-dedans et commencer les préparatifs. Eileen…

— Roger ?

C’était la voix de Doran.

— Oui ?

— Nous n’arrivons pas à retrouver le canyon principal.

— Nous pensions l’avoir trouvé, précisa Cheryl, mais en descendant, nous sommes tombés sur un immense à-pic !

— D’accord. Ne bougez plus pour le moment. Eileen, vous allez venir avec moi dans le canyon principal. Vous allez me servir de relais radio. Vous resterez dans le fond, comme ça, si jamais nous sommes séparés, vous pourrez retrouver la tente.

— D’accord, fit Eileen.

Les autres firent précautionneusement rouler la voiture dans le sas. Roger s’arrêta pour surveiller l’opération, puis il repartit vers le haut du canyon, dans le brouillard jaune. Eileen le suivit.

Ils avançaient à vive allure. Sur le canal 33, Eileen entendit Roger dire, sur le ton de la conversation, pas inquiet pour deux sous :

— Je déteste les situations de ce genre.

On aurait dit qu’il parlait d’un lacet cassé.

— Je vous crois ! répondit Eileen. Comment allons-nous retrouver John ?

— En remontant. On remonte toujours quand on est perdu. Je crois l’avoir dit à John. Vous avez dû l’entendre aussi.

— Oui.

Cela dit, Eileen l’avait oublié, et elle se demanda si John s’en souvenait, lui.

— Même s’il est perdu, reprit Roger, quand nous serons assez haut, les ondes radio seront moins parasitées, et nous devrions pouvoir lui parler. Au pire, nous pourrons toujours envoyer le signal vers un satellite et le renvoyer vers la surface ; mais je serais étonné que nous y soyons obligés. Hé, Doran ! appela-t-il sur la fréquence commune.

— Oui ? répondit Doran d’un ton angoissé.

— Que voyez-vous, maintenant ?

— Euh… Nous sommes sur un éperon rocheux, c’est tout ce que nous voyons. Le canyon, sur la droite…

— Vers le sud ?

— Ouais, le sud, c’est celui dans lequel nous étions. Nous pensions que celui-ci, au nord, serait le canyon principal, mais il est trop petit, et il y a un à-pic, au bout.

— Bon, d’accord. D’après mon APS, vous êtes encore au nord par rapport à nous, alors revenez vers la crête opposée. Nous nous reparlerons quand vous y serez. Vous pouvez faire ça ?

— Bien sûr, répondit Doran, piqué au vif. Mais ça risque de prendre un moment.

— Ça ne fait rien. Prenez votre temps.

Eileen trouva que le ton détaché de Roger avait quelque chose d’insultant. Elle sentait que John était en danger. Leur scaphandre était fait pour les maintenir en vie pendant quarante-huit heures au moins, mais il arrivait souvent que ces tempêtes de sable durent une semaine, parfois plus.

— Continuons, fit Roger, sur le canal 33. Je pense que nous n’avons pas à nous en faire pour ces deux-là.

Ils reprirent la marche, sur le fond du canyon, qui montait selon une pente de trente degrés environ. Eileen remarqua la quantité de poussière qui dévalait la pente, les grains de sable qui roulaient, les fines en suspension dans l’air. Par moments, elle ne voyait plus ses pieds. Elle ne voyait même plus le sol, et elle avançait au jugé.

— Comment ça va, au campement ? demanda Roger sur la fréquence commune.

— Très bien, répondit le Dr Mitsumu. Le sol est trop incliné pour qu’on se tienne debout, alors on s’est assis et on écoute ce qui se passe là-haut.

— Vous avez gardé vos scaphandres ?

— Oui.

— Bon. Si vous les enlevez, que l’un de vous garde le sien.

— Comme vous voudrez.

Roger s’arrêta à l’endroit où deux larges canyons tributaires rejoignaient le canyon principal, un de chaque côté.

— Attention, je vais monter le son, annonça-t-il, Eileen baissant aussitôt le volume de sa radio sur son bloc-poignet. John ! Hé, JOHN ! You-hou, JoOohn ! Allez, John ! Répondez sur la fréquence commune, s’il vous plaît !

Seul lui répondit un bruit d’électricité statique étrangement semblable au crépitement des grains de sable. Rien d’autre, que des craquements.

— Hon-hon, fit Roger dans l’oreille gauche d’Eileen.

— Hé, Roger !

— Cheryl ! Alors, comment ça va ?

— Eh bien, nous sommes dans ce que nous pensions être le canyon principal, mais…

Doran poursuivit, un peu embarrassé :

— Nous ne pouvons vraiment plus rien affirmer, maintenant. Tout se ressemble tellement.

— À qui le dites-vous ! répondit Roger.

Eileen le regarda se pencher comme pour inspecter ses pieds. Il fit quelques pas ainsi plié en deux.

— Essayez de descendre jusqu’au point le plus bas du canyon dans lequel vous vous trouvez.

— C’est là que nous sommes.

— Alors, penchez-vous et regardez si vous voyez des empreintes de pas. Vérifiez bien que ce ne sont pas les vôtres. Elles devraient être à moitié effacées, maintenant, mais nous venons de monter le canyon, Eileen et moi, alors vous devriez encore les voir…

— Hé ! Il y a des marques de pas ! s’exclama Cheryl.

— Où ça ? demanda Doran.

— Là. Regardez.

Le crépitement de l’électricité statique.

— Ouais. Roger, nous avons trouvé des empreintes qui montent et qui descendent dans le fond du canyon.

— Bon. Vous allez les suivre dans le sens de la descente. Dr M, vous avez toujours votre scaphandre ?

— Oui, comme vous nous l’aviez conseillé, Roger.

— Parfait. Vous pourriez sortir de la tente et aller vers le lit de l’ancien cours d’eau ? Prenez bien garde à ne pas vous égarer, surtout. Comptez vos pas. Ensuite, attendez Cheryl et Doran, qu’ils ne manquent pas la tente en redescendant.