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— Oui, risqua-t-elle.

Et puis elle partit rôder dans le Nord avec le Coyote, vers l’équateur, à l’ouest de Tharsis, suivant les canyons, arpentant les plaines jonchées de blocs erratiques. C’était merveilleux de se retrouver dans la nature, sauf qu’ils étaient obligés de se cacher, et elle n’aimait pas ça. Ils s’abritèrent, dans une région glacée à mi-chemin de Tharsis, vers l’ouest, sous le câble de l’ascenseur abattu, et ils le suivirent vers le bas des collines pendant deux jours. Ils arrivèrent à un gigantesque bâtiment mobile qui se déplaçait le long du câble, l’équipant de petites voitures qui remontaient vers Sheffield, et Desmond dit :

— Regarde, le type a pris un véhicule de terrain. Suis-moi.

Maya regarda le Coyote forcer la porte du bâtiment pendant que le pauvre homme était en vadrouille. Puis elle resta prudemment à côté de lui, s’attendant à tout, lorsqu’il s’approcha du bonhomme qui tapait craintivement sur la porte. Mais il lui lança facétieusement :

— Bienvenue sur Mars !

Tu parles. Au premier coup d’œil Maya comprit qu’il savait parfaitement qui ils étaient, et qu’il avait été envoyé pour entrer en contact avec eux, afin de tenter d’apprendre ce qu’il pouvait et d’en informer ses maîtres, sur Terre.

— C’est un espion, dit-elle à Desmond quand ils furent seuls.

— C’est un messager.

— Tu ne peux pas en être sûr !

— D’accord, d’accord. Mais fais attention avec lui. Pas de grossièretés.

Et puis ils apprirent que Sax avait été capturé. Toute prudence fut bannie – et ne devait pas revenir dans la vie de Maya avant de nombreuses années.

Desmond se changea en une version différente de lui-même, férocement concentré sur le sauvetage de Sax. Voilà le genre d’ami qu’il était. Et il aimait Sax comme n’importe lequel d’entre eux. Maya le regarda avec une sorte de crainte. Puis Michel et Nirgal se joignirent à eux alors qu’ils allaient à Kasei, et, sans lui accorder un regard, Desmond lui ordonna de monter dans la voiture de Michel, qui devait attaquer le complexe de sécurité par l’ouest. Et elle comprit qu’elle avait vu juste ; c’était à Michel que Desmond pensait pour elle.

Ce qui la fit réfléchir. Michel était déjà dans son cœur, à vrai dire. C’était d’une certaine façon son ami le plus proche, depuis leur séjour dans l’Antarctique. Un jour, il faudrait qu’elle lui pardonne d’avoir quitté Underhill sans la prévenir. C’était un homme en qui elle avait confiance, après tout. Et qu’elle aimait – tellement que Desmond s’en était aperçu. Évidemment, elle n’avait pas idée de ce que pensait Michel.

Mais elle pouvait le découvrir. Et elle s’y employa, là, dans ce patrouilleur camouflé en rocher, en attendant que Desmond fasse souffler le vent et la tempête. Elle prit Michel dans ses bras et le serra si fort qu’elle s’inquiéta pour ses côtes.

— Mon ami.

— Oui.

— Celui qui me comprend.

— Oui ?

Puis le vent retomba. Ils entrèrent dans Kasei, en suivant leur fil d’Ariane, se faufilèrent dans les entrailles de la forteresse, et à chaque pas Maya sentait croître sa peur et sa rage – peur pour sa vie, rage qu’il y ait un endroit pareil sur Mars, et des gens pour faire des choses comme ça, lâches, méprisables, dégoûtants, des tyrans qui avaient tué John, tué Frank, tué Sasha au Caire, dans des circonstances désespérées très semblables à celles-ci. Elle aurait pu à tout moment tomber à terre, morte, le sang sortant par les oreilles comme Sasha, au milieu de ces salauds qui avaient tué tous ces innocents en 61. Les forces de la répression qui étaient là-bas s’étaient retrouvées ici, dans ces murs de béton, au milieu d’un vacarme à vous crever les tympans et de tous ces cris qui ajoutaient à sa colère. C’est pourquoi, quand elle vit Sax attaché sur une table, elle le libéra en hurlant, et quand elle s’aperçut que Phyllis Boyle était là, parmi ses tortionnaires, elle dégoupilla l’une des charges explosives et la lança dans la pièce. Une pulsion meurtrière, mais elle n’avait jamais éprouvé une telle colère, elle était littéralement « hors d’elle ». Il fallait qu’elle tue quelqu’un, et ça allait être Phyllis.

Par la suite, quand ils eurent repris leurs véhicules et retrouvé les autres au sud de Kasei, Spencer défendit Phyllis et accusa Maya de l’avoir tuée de sang-froid. Choquée de l’entendre plaider l’innocence de Phyllis, elle réagit en hurlant à son tour, pour se défendre et dissimuler son trouble, mais elle eut alors l’impression, devant eux, de n’être qu’une meurtrière.

— J’ai tué Phyllis, dit-elle à Desmond lorsqu’il les rejoignit.

Tous ces hommes la regardèrent avec horreur, comme une sorte de Médée. Tous sauf Desmond qui s’approcha d’elle et l’embrassa sur la joue, chose qu’il n’avait, jusqu’alors, jamais faite en public.

— Tu as bien fait, déclara-t-il avec une pression électrique de sa main. Tu as sauvé Sax.

Tous sauf Desmond. Cela dit, pour être juste, Michel avait reçu un coup sur la tête qui l’avait bel et bien assommé, et il n’était plus lui-même. Plus tard, il prit, lui aussi, sa défense contre Spencer. Elle hocha la tête et se blottit dans ses bras. Elle avait peur pour lui, et fut grandement soulagée lorsqu’il retrouva son état normal. Elle le serra contre elle comme il l’avait serrée, avec la ferveur de ceux qui ont regardé ensemble de l’autre côté. Son Michel.

C’est ainsi qu’ils donnèrent, Michel et elle, forme à leur amour, né dans les ténèbres de l’Antarctique, forgé dans le creuset de cette tempête, dans le sauvetage de Sax et le meurtre de Phyllis. Ils retournèrent se cacher à Zygote, qui était maintenant une prison effroyable pour elle. Michel aida Sax à retrouver la parole, et Maya fit aussi de son mieux. Elle travailla sur l’idée de révolution avec Nadia, Nirgal, Michel et même Hiroko. Elle vivait sa vie, et de temps en temps ils voyaient Desmond lorsqu’il était de passage. Elle aimait toujours autant le voir, mais évidemment, ce n’était plus tout à fait pareil. Il les regardait, Michel et elle, avec affection. Ou plutôt, il portait sur eux un regard bienveillant, comme s’il était content de la voir enfin heureuse. Il y avait là-dedans quelque chose qui ne lui plaisait pas, une sorte de supériorité : l’ami qui en savait plus long, peut-être.

En tout cas, les choses changeaient. Ils s’éloignaient l’un de l’autre. Ils étaient toujours amis, mais moins proches. C’était inévitable. Sa vie tournait maintenant autour de Michel, et de la révolution.

N’empêche qu’elle retrouvait le sourire quand le Coyote sortait de nulle part et pointait son nez. Et quand ils apprirent l’attaque de Sabishii et la disparition de tous les membres de la colonie perdue, ce fut un plaisir différent de revoir Desmond, qui était passé leur dire ce qu’il avait vu : du soulagement. Un plaisir négatif. La levée d’une grande peur. Elle pensait qu’il avait été tué, lui aussi, dans l’attaque.

Il était choqué. Il avait besoin de son réconfort, et il l’obtint. Il fut réconforté. Contrairement à Michel, qui resta lointain pendant tout le désastre, retiré dans son propre monde de chagrin. Desmond n’était pas comme ça. Elle pouvait le consoler, essuyer les larmes sur ses joues étroites, mal rasées. Et en se laissant réconforter, en faisant en sorte que ça paraisse possible, il la réconforta à son tour. En regardant les deux amants ravis à Hiroko, si différents, elle réfléchit sur elle-même. Les vrais amis peuvent s’aider mutuellement en cas de besoin. Et se faire aider. C’est pour ça qu’ils sont faits.

C’est ainsi que Maya et Michel vécurent à Odessa, ensemble – aussi mariés que n’importe qui, pendant des dizaines et des dizaines d’années de leur existence extraordinairement prolongée. Mais Maya avait souvent l’impression qu’ils étaient plus amis qu’amants, qu’ils n’étaient pas « amoureux », comme elle se rappelait vaguement l’avoir été de John, de Frank ou même d’Oleg. Ou bien, quand Coyote venait à passer et qu’elle revoyait son visage à la porte, le souvenir lui revenait parfois du choc qu’elle avait éprouvé quand elle avait découvert son passager clandestin à bord de l’Arès, dans la zone d’entreposage, puis de leur première conversation, de la nuit où ils avaient fait l’amour avant qu’il ne parte avec le groupe d’Hiroko, et des quelques autres fois… Oui, aucun doute, elle l’avait aimé aussi. Mais ils n’étaient plus qu’amis, à présent, et ils étaient comme des frères, Michel et lui. C’était bon d’avoir une famille de Cent Premiers, ou plutôt de Cent Un Premiers, tout ce qui s’était passé entre eux s’entremêlant pour constituer un lien familial. Au fur et à mesure que les années passaient, elle y trouvait un réconfort croissant. Et maintenant que la seconde révolution approchait comme un orage qu’ils ne pouvaient éviter, ils lui étaient plus indispensables que jamais.