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— Que veux-tu dire ?

— Que nous pourrions rater l’occasion. Notre capacité à le faire pourrait disparaître. Il y a une révolution sur Mars en ce moment même… Swann t’en a parlé ?

— Oui.

— Alors, qui sait ? Nous sommes peut-être en train d’échapper à la débâcle de la civilisation ! La vie pourrait s’éteindre sur Mars et la Terre en souffrirait… elle dépend de la colonie martienne pour les minéraux, tu sais. Et les gouvernements terriens ne sont que des versions améliorées du Comité, ils font un tout aussi mauvais travail. Ils ont entraîné la Terre dans une nouvelle période de crise.

— Ils s’en sont toujours sortis. » Je m’inquiétais pour Mars.

« Cela ne signifie pas grand-chose. Leur population n’avait jamais atteint six milliards. Il se pourrait même que l’agitation sur Mars suffise à elle seule à les faire basculer. C’est une écologie artificielle, très fragile, Emma. Elle ressemble beaucoup à notre petit astronef. Et si tout s’écroule, l’occasion de partir vers les étoiles disparaîtra pour longtemps. Peut-être à jamais. Alors nous avons pris les choses en main, sans attendre rien ni personne.

— C’est un projet de rêveurs…

— Je ne suis pas le seul !

— C’était au pluriel.

— Ah ! Pardon. Ta langue devrait faire cette distinction.

— Le russe la fait ?

— Pas vraiment. » Nous rîmes.

Poussé par la force de ses convictions, Davydov tournait en rond dans la ferme, accompagnant ses paroles des scratch scratch du Velcro alors qu’il passait entre les rangées de légumes. Quand il se fut arrêté, je regardai son visage sombre à travers le verre déformant d’une bouteille à algues vide… Ses yeux bleu acier étaient grands comme des œufs et me fixaient avec attention. Je me dis : Il veut me convaincre. Mon opinion compte pour lui. Cette idée me fit rougir de plaisir et il me vint à l’esprit que c’était ainsi qu’il était devenu le chef de ce groupe d’illuminés. Pas par un quelconque choix du Comité de développement de Mars à la recherche d’un bouc émissaire, mais bien parce qu’il pouvait faire naître un tel sentiment.

L’intercom crachota. « Oleg ? » C’était la voix de John Dancer. Il avait l’air effrayé. « Oleg, tu m’entends ? Réponds vite, s’il te plaît. »

Davydov se précipita vers l’appareil fixé au mur et l’alluma. « Que se passe-t-il, John ?

— Oleg, nous avons besoin de toi d’urgence sur la passerelle.

— Que se passe-t-il ?

— Nous avons repéré trois vaisseaux qui approchent par secteur 2 central. On dirait des navires de la police. »

Davydov me jeta un coup d’œil. « J’arrive tout de suite. » Il me rejoignit en courant à travers les rangées de légumes. « Il semblerait que les troubles sur Mars ne suffisent pas à les occuper tous. » Sa voix était légère et enjouée, mais son regard était sombre. « Viens avec moi. »

Je l’accompagnai donc sur la passerelle de l’Aigle-Roux. Il y avait là une douzaine de personnes dont la moitié s’occupaient de l’Aigle ; les autres écoutaient Davydov et Ilène Breton.

« Ils se sont déployés en triangle équilatéral, dit Ilène. Simon les a repérés en visuel… après avoir aperçu le premier, il a passé en revue les formations types de la police et repéré les deux autres. S’ils ne changent pas de trajectoire, ils passeront un de chaque côté et le troisième par-dessous.

— Combien de temps avons-nous ? demanda Davydov.

— Ils sont en train de décélérer. Ils passeront auprès de ce sous-groupe dans environ trois heures. »

Je n’avais jamais vu une assemblée aussi sinistre de ma vie. Seuls le cliquetis des machines et le souffle de la ventilation troublaient le silence qui suivit cette déclaration. Je réfléchissais. Tout ce que je venais de voir, et les quarante années de dangereux travail qu’il avait fallu pour le rassembler, risquait maintenant de tomber aux mains d’un chasseur diligent. Tout pouvait prendre fin d’ici quatre heures par la capture et l’emprisonnement, le retour vers Mars sous bonne garde dans le « vaisseau spatial ». Ou bien par une mort soudaine. Ces vaisseaux du Comité transportent un véritable arsenal.

« À quelle vitesse se déplacent-ils ? demanda Davydov.

— À deux ou trois kilomètres-seconde, répondit Ilène.

— Ils ont pas mal d’espace à fouiller, dit Swann, plein d’espoir.

— Ils nous prennent en tenailles ! s’écria Ilène. Ils vont nous voir. Par radar, détecteur de chaleur ou de métaux, repérage visuel ou radio… ils finiront par nous découvrir.

— Arrêtez toute transmission, dit Davydov.

— C’est fait », répondit Ilène. Son visage blanc et pincé avait l’air impatient… elle attendait que tout le monde se mette à son diapason et se rende utile.

Ils s’entre-regardèrent.

« Nous pourrions mettre tous nos lasers en batterie », proposa Olga Borg, capitaine du Lermontov. « Tirer dans leurs tuyères » – elle se rendit compte que cela n’aurait aucun effet sur les boucliers – « ou les atteindre au niveau des passerelles et des générateurs des boucliers de réacteur.

— Ils sont trop bien protégés », dit Swann. Mais plusieurs approuvèrent, les lèvres serrées. Ils ne pouvaient plus fuir – ils avaient le dos au mur. Ils étaient prêts à se battre jusqu’à la mort. Et moi, me dis-je, j’allais mourir avec eux.

Ilène reprit : « Si nous leur en laissons le temps, ils enverront un message et notre position sera révélée. D’autres vaisseaux de la police seraient là en une semaine.

— Plus que cela…

— Pourquoi ne pas vous cacher, tout simplement ? » lançai-je.

Ils me regardèrent tous. Cela me rappela Nadezhda et Marie-Anne.

« Nous sommes pris en tenailles, expliqua Swann.

— Je le sais. Mais vous n’êtes pas au centre exact du triangle, n’est-ce pas ? Si vous ameniez ces vaisseaux jusqu’à la surface d’Hilda, ou tout près, et faisiez le tour par-dessus pendant que le vaisseau du bas passe de l’autre côté, si vous voyez ce que je veux dire, vous pourriez ainsi rester tout le temps hors de vue.

— Un des autres vaisseaux pourrait nous voir, dit Ilène.

— Peut-être », commençai-je, mais Davydov m’interrompit. « Nous pourrions nous abriter contre le flanc d’Hilda de façon à garder celle-ci entre nous et un des vaisseaux latéraux… puis manœuvrer pour que l’une des roches adjacentes nous cache du deuxième. Ainsi Hilda nous protégerait de deux d’entre eux, et un de ses satellites du troisième !

— Si c’est possible, dit Ilène.

— Cela ne marchera pas, déclara Olga Borg.

— Expliquez-moi comment ils nous détecteront à travers un astéroïde », dis-je.

Swann avait un sourire torve. « Nous pouvons nous cacher, mais nous ne pouvons pas fuir.

— Nous ne pouvons pas utiliser les fusées pour tourner autour d’Hilda. » Ilène restait pratique. « Ils repéreraient notre sillage. »

Cela ressemblait aux parties de cache-cache de mon enfance sur les vastes plaines rocailleuses de Syrtis Major.