Выбрать главу

Mais, sire, ajouta Scheherazade, le jour qui paraît me défend de poursuivre.» Je sais bon gré au roi grec, dit Dinarzade, d’avoir eu la fermeté de rejeter la fausse accusation de son vizir. – Si vous louez aujourd’hui la fermeté de ce prince, interrompit Scheherazade, vous condamnerez demain sa faiblesse, si le sultan veut bien que j’achève de raconter cette histoire.» Le sultan, curieux d’apprendre en quoi le roi grec avait eu de la faiblesse, différa encore la mort de la sultane.

XIV NUIT.

«Ma sœur, s’écria Dinarzade sur la fin de la quatorzième nuit, si vous ne dormez pas, je vous supplie, en attendant le jour qui paraîtra bientôt, de reprendre l’histoire du pêcheur; vous en êtes demeurée à l’endroit où le roi grec soutient l’innocence du médecin Douban, et prend si fortement son parti. – Je m’en souviens, répondit Scheherazade; vous allez entendre la suite:»

Sire, continua-t-elle, en adressant toujours la parole à Schahriar, ce que le roi grec venait de dire touchant le roi Sindbad piqua la curiosité du vizir, qui lui dit: «Sire, je supplie votre majesté de me pardonner si j’ai la hardiesse de lui demander ce que le vizir du roi Sindbad dit à son maître pour le détourner de faire mourir le prince son fils.» Le roi grec eut la complaisance de le satisfaire: «Ce vizir, répondit-il, après avoir représenté au roi Sindbad que sur l’accusation d’une belle-mère, il devait craindre de faire une action dont il pût se repentir, lui conta cette histoire:

HISTOIRE DU MARI ET DU PERROQUET [13].

«Un bonhomme avait une belle femme qu’il aimait avec tant de passion, qu’il ne la perdait de vue que le moins qu’il pouvait. Un jour que des affaires pressantes l’obligeaient à s’éloigner d’elle, il alla dans un endroit où l’on vendait toutes sortes d’oiseaux; il y acheta un perroquet, qui non-seulement parlait fort bien, mais qui avait même le don de rendre compte de tout ce qui avait été fait devant lui. Il l’apporta dans une cage au logis, pria sa femme de le mettre dans sa chambre et d’en prendre soin pendant le voyage qu’il allait faire; après quoi il partit.

«À son retour, il ne manqua pas d’interroger le perroquet sur ce qui s’était passé durant son absence; et là-dessus, l’oiseau lui apprit des choses qui lui donnèrent lieu de faire de grands reproches à sa femme. Elle crut que quelqu’une de ses esclaves l’avait trahie; elles jurèrent toutes qu’elles lui avaient été fidèles, et convinrent qu’il fallait que ce fût le perroquet qui eût fait ces mauvais rapports.

«Prévenue de cette opinion, la femme chercha dans son esprit un moyen de détruire les soupçons de son mari, et de se venger en même temps du perroquet; elle le trouva. Son mari étant parti pour faire un voyage d’une journée, elle commanda à une esclave de tourner pendant la nuit, sous la cage de l’oiseau, un moulin à bras; à une autre de jeter de l’eau en forme de pluie par le haut de la cage; et à une troisième, de prendre un miroir et de le tourner devant les yeux du perroquet, à droite et à gauche, à la clarté d’une chandelle. Les esclaves employèrent une grande partie de la nuit à faire ce que leur avait ordonné leur maîtresse, et elles s’en acquittèrent fort adroitement.

«Le lendemain, le mari étant de retour, fit encore des questions au perroquet sur ce qui s’était passé chez lui; l’oiseau lui répondit: «Mon maître les éclairs, le tonnerre et la pluie m’ont tellement incommodé toute la nuit, que je ne puis vous dire ce que j’en ai souffert.» Le mari, qui savait fort bien qu’il n’avait ni plu ni tonné cette nuit-là, demeura persuadé que le perroquet ne disant pas la vérité en cela, ne la lui avait pas dite aussi au sujet de sa femme. C’est pourquoi, de dépit, l’ayant tiré de sa cage, il le jeta si rudement contre terre, qu’il le tua. Néanmoins, dans la suite, il apprit de ses voisins que le pauvre perroquet ne lui avait pas menti en lui parlant de la conduite de sa femme, ce qui fut cause qu’il se repentit de l’avoir tué…»

Là s’arrêta Scheherazade, parce qu’elle s’aperçut qu’il était jour: «Tout ce que vous nous racontez, ma sœur, dit Dinarzade, est si varié, que rien ne me paraît plus agréable. – Je voudrais continuer de vous divertir, répondit Scheherazade; mais je ne sais si le sultan, mon maître, m’en donnera le temps.» Schahriar, qui ne prenait pas moins de plaisir que Dinarzade à entendre la sultane, se leva, et passa la journée sans ordonner au vizir de la faire mourir.

XV NUIT.

Dinarzade ne fut pas moins exacte cette nuit que les précédentes à réveiller Scheherazade: Ma chère sœur, lui dit-elle; si vous ne dormez pas, je vous supplie, en attendant le jour qui paraîtra bientôt, de me conter un de ces beaux contes que vous savez: – «Ma sœur, répondit la sultane, je vais vous donner cette satisfaction. – Attendez, interrompit le sultan, achevez l’entretien du roi grec avec son vizir, au sujet du médecin Douban, et puis vous continuerez l’histoire du pêcheur et du génie. – Sire, repartit Scheherazade, vous allez être obéi.» En même temps elle poursuivit de cette manière:

«Quand le roi grec, dit le pêcheur au génie, eut achevé l’histoire du perroquet: Et vous, vizir, ajouta-t-il, par l’envie que vous avez conçue contre le médecin Douban, qui ne vous a fait aucun mal, vous voulez que je le fasse mourir; mais je m’en garderai bien, de peur de m’en repentir, comme ce mari d’avoir tué son perroquet.

Le pernicieux vizir était trop intéressé à la perte du médecin Douban pour en demeurer là.: «Sire, répliqua-t-il, la mort du perroquet était peu importante, et je ne crois pas que son maître l’ait regretté longtemps. Mais pourquoi faut-il que la crainte d’opprimer l’innocence vous empêche de faire mourir ce médecin! Ne suffit-il pas qu’on l’accuse de vouloir attenter à votre vie, pour vous autoriser à lui faire perdre la sienne? Quand il s’agit d’assurer les jours d’un roi, un simple soupçon doit passer pour une certitude, et il vaut mieux sacrifier l’innocent que sauver le coupable. Mais, sire, ce n’est point ici une chose incertaine: le médecin Douban veut vous assassiner. Ce n’est point l’envie qui m’arme contre lui, c’est l’intérêt seul que je prends à la conservation de votre majesté; c’est mon zèle qui me porte à vous donner un avis d’une si grande importance. S’il est faux, je mérite qu’on me punisse de la même manière qu’on punit autrefois un vizir. – Qu’avait fait ce vizir, dit le roi grec, pour être digne de ce châtiment? – Je vais l’apprendre à votre majesté sire, répondit le vizir; qu’elle ait, s’il lui plaît, la bonté de m’écouter.»

HISTOIRE DU VIZIR PUNI.

«Il était autrefois un roi, poursuivit-il, qui avait un fils qui aimait passionnément la chasse. Il lui permettait de prendre souvent ce divertissement; mais il avait donné ordre à son grand vizir de l’accompagner toujours et de ne le perdre jamais de vue. Un jour de chasse, les piqueurs ayant lancé un cerf, le prince, qui crut que le vizir le suivait, se mit après la bête. Il courut si longtemps, et son ardeur l’emporta si loin, qu’il se trouva seul. Il s’arrêta, et remarquant qu’il avait perdu la voie, il voulut retourner sur ses pas pour aller rejoindre le vizir, qui n’avait pas été assez diligent pour le suivre de près; mais il s’égara. Pendant qu’il courait de tous côtés sans tenir de route assurée, il rencontra au bord d’un chemin une dame assez bien faite, qui pleurait amèrement. Il retint la bride de son cheval, demanda à cette femme qui elle était, ce qu’elle faisait seule en cet endroit, et si elle avait besoin de secours: «Je suis, lui répondit-elle, la fille d’un roi des Indes. En me promenant à cheval dans la campagne, je me suis endormie, et je suis tombée. Mon cheval s’est échappé, et je ne sais ce qu’il est devenu.» Le jeune prince eut pitié d’elle, et lui proposa de la prendre en croupe; ce qu’elle accepta.

вернуться

[13] Cette histoire et la suivante sont tirées du roman de Sendabad ou Syntipas.