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La magicienne sortit aussitôt du Palais des Larmes. Elle prit une tasse d’eau, et prononça dessus des paroles qui la firent bouillir comme si elle eût été sur le feu. Elle alla ensuite à la salle où était le jeune roi son mari; elle jeta de cette eau sur lui, en disant: «Si le Créateur de toutes choses t’a formé tel que tu es présentement, ou s’il est en colère contre toi, ne change pas; mais si tu n’es dans cet état que par la vertu de mon enchantement, reprends ta forme naturelle, et redeviens tel que tu étais auparavant.» À peine eut-elle achevé ces mots, que le prince, se retrouvant en son premier état, se leva librement avec toute la joie qu’on peut s’imaginer, et il en rendit grâce à Dieu. La magicienne reprenant la parole: «Va, lui dit-elle, éloigne-toi de ce château, et n’y reviens jamais, ou bien il t’en coûtera la vie.»

Le jeune roi, cédant à la nécessité, s’éloigna de la magicienne sans répliquer, et se retira dans un lieu écarté, où il attendit impatiemment le succès du dessein dont le sultan venait de commencer l’exécution avec tant de bonheur.

Cependant la magicienne retourna au Palais des Larmes, et en entrant, comme elle croyait toujours parler au noir: «Cher amant, lui dit-elle, j’ai fait ce que vous m’avez ordonné: rien ne vous empêche de vous lever et de me donner par là une satisfaction dont je suis privée depuis si longtemps.»

Le sultan continua de contrefaire le langage des noirs: «Ce que tu viens de faire, répondit-il d’un ton brusque, ne suffit pas pour me guérir: tu n’as ôté qu’une partie du mal, il en faut couper jusqu’à la racine. – Mon aimable noiraud, reprit-elle, qu’entendez-vous par la racine? – Malheureuse, repartit le sultan, ne comprends-tu pas que je veux parler de cette ville et de ses habitants, et des quatre îles que tu as détruites par tes enchantements? Tous les jours, à minuit, les poissons ne manquent pas de lever la tête hors de l’étang, et de crier vengeance contre moi et contre toi: voilà le véritable sujet du retardement de ma guérison. Va promptement rétablir les choses en leur premier état, et, à ton retour, je te donnerai la main, et tu m’aideras à me lever.»

La magicienne, remplie de l’espérance que ces paroles lui firent concevoir s’écria, transportée de joie: «Mon cœur, mon âme, vous aurez bientôt recouvré votre santé: car je vais faire tout ce que vous me commandez.» En effet, elle partit dans le moment, et lorsqu’elle fut arrivée sur le bord de l’étang, elle prit un peu d’eau dans sa main et en fit une aspersion dessus…

Scheherazade, en cet endroit, voyant qu’il était jour, n’en voulut pas dire davantage. Dinarzade dit à la sultane: Ma sœur, j’ai bien de la joie de savoir le jeune roi des quatre Îles Noires désenchanté, et je regarde déjà la ville et les habitants comme rétablis en leur premier état; mais je suis en peine d’apprendre ce que deviendra la magicienne. – Donnez-vous un peu de patience, répondit la sultane; vous aurez demain la satisfaction que vous désirez, si le sultan, mon seigneur, veut bien y consentir.» Schahriar, qui, comme on l’a déjà dit, avait pris son parti là-dessus, se leva pour aller remplir ses devoirs.

XXVII NUIT.

Dinarzade, à l’heure ordinaire, ne manqua pas d’appeler la sultane: Ma chère sœur, dit-elle, si vous ne dormez pas, je vous prie de nous raconter quel fut le sort de la reine magicienne, comme vous me l’avez promis. Scheherazade tint aussitôt sa promesse et parla de cette sorte:

La magicienne, ayant fait l’aspersion, n’eut pas plus tôt prononcé quelques paroles sur les poissons et sur l’étang, que la ville reparut à l’heure même. Les poissons redevinrent hommes, femmes ou enfants, mahométans, chrétiens, persans ou juifs, gens libres ou esclaves: chacun reprit sa forme naturelle. Les maisons et les boutiques furent bientôt remplies de leurs habitants, qui y trouvèrent toutes choses dans la même situation et dans le même ordre où elles étaient avant l’enchantement. La suite nombreuse du sultan, qui se trouva campée dans la plus grande place, ne fut pas peu étonnée de se voir en un instant au milieu d’une ville belle, vaste et bien peuplée.

Pour revenir à la magicienne, dès qu’elle eut fait ce changement merveilleux, elle se rendit en diligence au Palais des Larmes, pour en recueillir le fruit: «Mon cher seigneur, s’écria-t-elle en entrant, je viens me réjouir avec vous du retour de votre santé; j’ai fait tout ce que vous avez exigé de moi: levez-vous donc, et me donnez la main. – Approche,» lui dit le sultan en contrefaisant toujours le langage des noirs. Elle s’approcha. «Ce n’est pas assez, reprit-il, approche-toi davantage.» Elle obéit. Alors il se leva, et la saisit par le bras si brusquement, qu’elle n’eut pas le temps de se reconnaître; et, d’un coup de sabre, il sépara son corps en deux parties, qui tombèrent l’une d’un côté, et l’autre de l’autre. Cela étant fait, il laissa le cadavre sur la place, et sortant du Palais des Larmes, il alla trouver le jeune prince des Îles Noires, qui l’attendait avec impatience: «Prince, lui dit-il en l’embrassant, réjouissez-vous, vous n’avez plus rien à craindre: votre cruelle ennemie n’est plus.»

Le jeune prince remercia le sultan d’une manière qui marquait que son cœur était pénétré de reconnaissance, et pour prix de lui avoir rendu un service si important, il lui souhaita une longue vie avec toutes sortes de prospérités: «Vous pouvez désormais, lui dit le sultan, demeurer paisible dans votre capitale, à moins que vous ne vouliez venir dans la mienne, qui en est si voisine; je vous y recevrai avec plaisir, et vous n’y serez pas moins honoré et respecté que chez vous. – Puissant monarque à qui je suis si redevable, répondit le roi, vous croyez donc être fort près de votre capitale? – Oui, répliqua le sultan, je le crois; il n’y a pas plus de quatre ou cinq heures de chemin. – Il y a une année entière de voyage, reprit le jeune prince. Je veux bien croire que vous êtes venu ici de votre capitale dans le peu de temps que vous dites, parce que la mienne était enchantée; mais depuis qu’elle ne l’est plus, les choses ont bien changé. Cela ne m’empêchera pas de vous suivre, quand ce serait pour aller aux extrémités de la terre. Vous êtes mon libérateur, et, pour vous donner toute ma vie des marques de ma reconnaissance, je prétends vous accompagner, et j’abandonne sans regret mon royaume.»

Le sultan fut extraordinairement surpris d’apprendre qu’il était si loin de ses états, et il ne comprenait pas comment cela se pouvait faire. Mais le jeune roi des Îles Noires le convainquit si bien de cette possibilité, qu’il n’en douta plus: «Il n’importe, reprit alors le sultan, la peine de m’en retourner dans mes états est suffisamment récompensée par la satisfaction de vous avoir obligé et d’avoir acquis un fils en votre personne: car, puisque vous voulez bien me faire l’honneur de m’accompagner, et que je n’ai point d’enfant, je vous regarde comme tel, et je vous fais dès à présent mon héritier et mon successeur.»