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Le lendemain, Zeyn dit à Mobarec: «J’ai pris assez de repos. Je ne suis point venu au Caire pour vivre dans les plaisirs. J’ai dessein d’avoir la neuvième statue. Il est temps que nous partions pour l’aller conquérir. – Seigneur, répondit Mobarec, je suis prêt à céder à votre envie, mais vous ne savez pas tous les dangers qu’il faut courir pour faire cette précieuse conquête. – Quelque péril qu’il y ait, répliqua le prince, j’ai résolu de l’entreprendre. J’y périrai où j’en viendrai à bout. Tout ce qui arrive, c’est Dieu qui le fait arriver. Accompagnez-moi seulement, et que votre fermeté soit égale à la mienne.»

Mobarec, le voyant déterminé à partir, appela ses domestiques, et leur ordonna d’apprêter les équipages. Ensuite le prince et lui firent l’ablution et la prière de précepte appelée Farz. Après quoi ils se mirent en chemin. Ils remarquèrent sur leur route une infinité de choses rares et merveilleuses. Ils marchèrent pendant plusieurs jours, au bout desquels, étant arrivés dans un séjour délicieux, ils descendirent de cheval. Alors Mobarec dit à tous les domestiques qui les suivaient: «Demeurez en cet endroit et gardez soigneusement les équipages jusqu’à notre retour.» Puis il dit à Zeyn: «Allons, seigneur, avançons-nous seuls. Nous sommes proches du lieu terrible où l’on garde la neuvième statue. Vous allez avoir besoin de votre courage.»

Ils arrivèrent bientôt au bord d’un grand lac; Mobarec s’assit sur le rivage en disant au prince: «Il faut que nous passions cette mer. – Eh! comment la pourrons-nous passer? répondit Zeyn, nous n’avons point de bateau. – Vous en verrez paraître un dans un moment, reprit Mobarec. Le bateau enchanté du roi des génies va venir nous prendre; mais n’oubliez pas ce que je vais vous dire: Il faut garder un profond silence. Ne parlez point au batelier. Quelque singulière que vous paraisse sa figure, quelque chose extraordinaire que vous puissiez remarquer, ne dites rien: car je vous avertis que si vous prononcez un seul mot quand nous serons embarqués, la barque fondra sous les eaux. – Je saurai bien me taire, dit le prince. Vous n’avez qu’à me prescrire tout ce que je dois faire, et je le ferai fort exactement.»

En parlant ainsi, il aperçut tout à coup sur le lac un bateau fait de bois de sandal rouge. Il avait un mât d’ambre fin avec une banderole de satin bleu. Il n’y avait dedans qu’un batelier dont la tête ressemblait à celle d’un éléphant, et son corps avait la forme de celui d’un tigre. Le bateau s’étant approché du prince et de Mobarec, le batelier les prit avec sa trompe l’un après l’autre et les mit dans son bateau. Ensuite il les passa de l’autre côté du lac en un instant. Il les reprit avec sa trompe, les posa sur le rivage, et disparut aussitôt avec sa barque.

«Nous pouvons présentement parler, dit Mobarec. L’île où nous sommes est celle du roi des génies. Il n’y en a point de semblables au reste du monde. Regardez de tous côtés, prince: est-il un plus charmant séjour? C’est sans doute une véritable image de ce lieu ravissant que Dieu destine aux fidèles observateurs de notre loi. Voyez les champs parés de fleurs et de toutes sortes d’herbes odorantes; admirez ces beaux arbres dont les fruits délicieux font plier les branches jusqu’à terre; goûtez le plaisir que doivent causer ces chants harmonieux que forment dans les airs mille oiseaux de mille espèces inconnues dans les autres pays!» Zeyn ne pouvait se lasser de considérer la beauté des choses qui l’environnaient, et il en remarquait de nouvelles à mesure qu’il s’avançait dans l’île.

Enfin ils arrivèrent devant un palais de fines émeraudes, entouré d’un large fossé, sur les bords duquel, d’espace en espace, étaient plantés des arbres si hauts qu’ils couvraient de leur ombrage tout le palais. Vis-à-vis de la porte, qui était d’or massif, il y avait un pont fait d’une seule écaille de poisson, quoiqu’il eût pour le moins six toises de long et trois de large. On voyait à la tête du pont une troupe de génies d’une hauteur démesurée qui défendaient l’entrée du château avec de grosses massues d’acier de la Chine.

«N’allons pas plus avant, dit Mobarec, ces génies nous assommeraient; et si nous voulons les empêcher de venir à nous, il faut faire une cérémonie magique.» En même temps il tira d’une bourse, qu’il avait sous sa robe, quatre bandes de taffetas jaune. De l’une il entoura sa ceinture, et mit une autre sur son dos. Il donna les deux autres au prince, qui en fit le même usage. Après cela, Mobarec étendit sur la terre deux grandes nappes aux bords desquelles il répandit quelques pierreries avec du musc et de l’ambre. Il s’assit ensuite sur une de ces nappes, et Zeyn s’assit sur l’autre. Puis Mobarec parla dans ces termes au prince: «Seigneur, je vais présentement conjurer le roi des génies, qui habite ce palais qui s’offre à nos yeux. Puisse-t-il venir à nous sans colère! Je vous avoue que je ne suis pas sans inquiétude sur la réception qu’il nous fera. Si notre arrivée dans son île lui déplaît, il paraîtra sous la figure d’un monstre effroyable; mais s’il approuve votre dessein, il se montrera sous la forme d’un homme de bonne mine. Dès qu’il sera devant nous, il faudra vous lever et le saluer sans sortir de votre nappe, parce que vous péririez infailliblement si vous en sortiez. Vous lui direz: Souverain maître des génies, mon père, qui était votre serviteur, a été emporté par l’ange de la mort. Puisse Votre Majesté me protéger comme elle a toujours protégé mon père! Et si le roi des génies, ajouta Mobarec, vous demande quelle grâce vous voulez qu’il vous accorde, vous lui répondrez: Sire, c’est la neuvième statue que je vous supplie très-humblement de me donner.»

Mobarec, après avoir instruit de la sorte le prince Zeyn, commença à faire des conjurations. Aussitôt leurs yeux furent frappés d’un long éclair qui fut suivi d’un coup de tonnerre. Toute l’île se couvrit d’épaisses ténèbres. Il s’éleva un vent furieux. L’on entendit ensuite un cri épouvantable. La terre en fut ébranlée, et l’on sentit un tremblement pareil à celui qu’Asrafyel doit causer le jour du jugement.

Zeyn sentit quelque émotion, et commençait à tirer de ce bruit un fort mauvais présage, lorsque Mobarec, qui savait mieux que lui ce qu’il en fallait, penser, se prit à sourire et lui dit: «Rassurez-vous, mon prince, tout va bien.» En effet, dans le moment le roi des génies se fit voir sous la forme d’un bel homme. Il ne laissait pas toutefois d’avoir dans son air quelque chose de farouche.

D’abord que le prince Zeyn l’aperçut, il lui fit le compliment que Mobarec lui avait dicté. Le roi des génies en sourit et répondit: «Ô mon fils! j’aimais ton père, et toutes les fois qu’il me venait rendre ses respects, je lui faisais présent d’une statue, qu’il emportait. Je n’ai pas moins d’amitié pour toi. J’obligeai ton père, quelques jours avant sa mort, à écrire ce que tu as lu sur la pièce de satin blanc. Je lui promis de te prendre sous ma protection, et de te donner la neuvième statue, qui surpasse en beauté celles que tu as. J’ai commencé à lui tenir parole. C’est moi que tu as vu en songe sous la forme d’un vieillard. Je t’ai fait découvrir le souterrain où sont les urnes et les statues. J’ai beaucoup de part à tout ce qui t’est arrivé, ou plutôt j’en suis la cause. Je sais ce qui t’a fait venir ici. Tu obtiendras ce que tu désires. Quand je n’aurais pas promis à ton père de te le donner, je te l’accorderais volontiers. Mais il faut auparavant que tu me jures par tout ce qui rend un serment inviolable que tu reviendras dans cette île, et que tu m’amèneras une fille qui sera dans sa quinzième année, qui n’aura jamais connu d’homme ni souhaité d’en connaître. Il faut de plus que sa beauté soit parfaite, et que tu sois si bien maître de toi que tu ne formes même aucun désir de la posséder en la conduisant ici.»