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Zeyn fit le serment téméraire qu’on exigeait de lui. «Mais, seigneur, dit-il ensuite, je suppose que je sois assez heureux pour rencontrer une fille telle que vous la demandez, comment pourrai-je savoir que je l’aurai trouvée? – J’avoue, répondit le roi des génies en souriant, que tu t’y pourrais tromper à la mine. Cette connaissance passe les enfants d’Adam. Aussi n’ai-je pas dessein de m’en rapporter à toi là-dessus. Je te donnerai un miroir qui sera plus sûr que tes conjectures. Dès que tu auras vu une fille de quinze ans parfaitement belle, tu n’auras qu’à regarder dans ton miroir; tu y verras l’image de cette fille. La glace se conservera pure et nette si la fille est chaste; et si au contraire la glace se ternit, ce sera une marque assurée que la fille n’aura pas toujours été sage, ou du moins qu’elle aura souhaité de cesser de l’être. N’oublie donc pas le serment que tu m’as fait. Garde-le en homme d’honneur; autrement je t’ôterai la vie, quelque amitié que je me sente pour toi.» Le prince Zeyn-Alasnam protesta de nouveau qu’il tiendrait exactement sa parole.

Alors le roi des génies lui mit entre les mains un miroir en disant: «Ô mon fils! tu peux t’en retourner quand tu voudras. Voilà le miroir dont tu dois te servir.» Zeyn et Mobarec prirent congé du roi des génies et marchèrent vers le lac. Le batelier à tête d’éléphant vint à eux avec sa barque, et les repassa de la même manière qu’il les avait passés. Ils rejoignirent les personnes de leur suite, avec lesquelles ils retournèrent au Caire.

Le prince Alasnam se reposa quelques jours chez Mobarec; ensuite il lui dit: «Partons pour Bagdad; allons-y chercher une fille pour le roi des génies. – Hé! ne sommes-nous pas au grand Caire? répondit Mobarec. N’y trouverons-nous pas bien de belles filles? – Vous avez raison, reprit le prince; mais comment ferons-nous pour découvrir les endroits où elles sont? – Ne vous mettez point en peine de cela, seigneur, répliqua Mobarec. Je connais une vieille femme fort adroite; je la veux charger de cet emploi: elle s’en acquittera bien.»

Effectivement, la vieille eut l’adresse de faire voir au prince un grand nombre de très-belles filles de quinze ans; mais lorsque, après les avoir regardées, il venait à consulter son miroir, la fatale pierre de touche de leur vertu, la glace, se ternissait toujours. Toutes les filles de la cour et de la ville qui se trouvèrent dans leur quinzième année subirent l’examen l’une après l’autre, et jamais la glace ne se conserva pure et nette.

Quand ils virent qu’ils ne pouvaient rencontrer de filles chastes au Caire, ils allèrent à Bagdad. Ils louèrent un palais magnifique dans un des plus beaux quartiers de la ville. Ils commencèrent à faire bonne chère. Ils tenaient table ouverte, et après que tout le monde avait mangé dans le palais, on portait les restes aux derviches, qui par-là subsistaient commodément.

Or, il y avait dans le quartier un iman appelé Boubekir Muezin. C’était un homme vain, fier et envieux. Il haïssait les gens riches, seulement parce qu’il était pauvre. Sa misère l’aigrissait contre la prospérité de son prochain. Il entendit parler de Zeyn-Alasnam et de l’abondance qui régnait chez lui. Il ne lui en fallut pas davantage pour prendre ce prince en aversion. Il poussa même la chose si loin, qu’un jour, dans sa mosquée, il dit au peuple après la prière du soir: «Ô mes frères! j’ai ouï dire qu’il est venu loger dans notre quartier un étranger qui dépense tous les jours des sommes immenses. Que sait-on? cet inconnu est peut-être un scélérat qui aura volé dans son pays des biens considérables, et il vient dans cette grande ville se donner du bon temps. Prenons-y garde, mes frères. Si le calife apprend qu’il y a un homme de cette sorte dans notre quartier, il est à craindre qu’il ne nous punisse de ne l’en avoir pas averti. Pour moi, je vous déclare que je m’en lave les mains, et que s’il en arrive quelque accident, ce ne sera pas ma faute.» Le peuple, qui se laisse aisément persuader, cria tout d’une voix à Boubekir: «C’est votre affaire, docteur. Faites savoir cela au conseil.» Alors l’iman, satisfait, se retira chez lui, et se mit à composer un mémoire, résolu à le présenter le lendemain au calife.

Mais Mobarec, qui avait été à la prière et qui avait entendu comme les autres le discours du docteur, mit cinq cents sequins d’or dans un mouchoir, fit un paquet de plusieurs étoffes de soie et s’en alla chez Boubekir. Le docteur lui demanda d’un ton brusque ce qu’il souhaitait. «Ô docteur! lui répond Mobarec d’un air doux, et lui mettant entre les mains l’or et les étoffes, je suis votre voisin et votre serviteur. Je viens de la part du prince Zeyn, qui demeure en ce quartier. Il a entendu parler de votre mérite, et il m’a chargé de vous venir dire qu’il souhaitait de faire connaissance avec vous. En attendant, il vous prie de recevoir ce petit présent.» Boubekir fut transporté de joie et répondit à Mobarec: «De grâce, seigneur, demandez bien pardon au prince pour moi. Je suis tout honteux de ne l’avoir point encore été voir, mais je réparerai ma faute, et dès demain j’irai lui rendre mes devoirs.»

En effet, le jour suivant, après la prière du matin, il dit au peuple: «Sachez, mes frères, qu’il n’y a personne qui n’ait ses ennemis. L’envie attaque principalement ceux qui ont de grands biens. L’étranger dont je vous parlais hier au soir n’est point un méchant homme, comme quelques gens malintentionnés me l’ont voulu faire accroire. C’est un jeune prince qui a mille vertus. Gardons-nous bien d’en aller faire quelque mauvais rapport au calife!»

Boubekir, par ce discours, ayant effacé de l’esprit du peuple l’opinion qu’il avait donnée de Zeyn le soir précédent, s’en retourna chez lui. Il prit ses habits de cérémonie et alla voir ce jeune prince, qui le reçut très-agréablement. Après plusieurs compliments de part et d’autre, Boubekir dit au prince: «Seigneur, vous proposez-vous d’être longtemps à Bagdad? – J’y demeurerai, lui répondit Zeyn, jusqu’à ce que j’aie trouvé une fille qui soit dans sa quinzième année, qui soit parfaitement belle, et si chaste qu’elle n’ait jamais connu d’homme ni souhaité d’en connaître. – Vous cherchez une chose assez rare, répliqua l’iman, et je craindrais fort que votre recherche ne fût inutile si je ne savais pas où il y a une fille de ce caractère-là. Son père a été vizir autrefois, mais il a quitté la cour, et vit depuis longtemps dans une maison écartée, où il se donne tout entier à l’éducation de sa fille. Je vais, seigneur, si vous voulez, la lui demander pour vous. Je ne doute pas qu’il ne soit ravi d’avoir un gendre de votre naissance. – N’allons pas si vite, repartit le prince. Je n’épouserai point cette fille que je ne sache auparavant si elle me convient. Pour sa beauté, je puis m’en fier à vous; mais à l’égard de sa vertu, quelles assurances m’en pouvez-vous donner? – Hé! quelles assurances en voulez-vous avoir? dit Boubekir. – Il faut que je la voie en face, répondit Zeyn, je n’en veux pas davantage pour me déterminer. – Vous vous connaissez donc bien en physionomies? reprit l’iman en souriant. Hé bien, venez avec moi chez son père, je le prierai de vous la laisser voir un moment en sa présence.»