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Le roi, se rappelant ce songe à son réveil, en rendit grâce au ciel. Il se leva, se mit en prière, fit deux génuflexions, puis il alla dans les jardins, où il prit cinquante grains de grenade qu’il compta l’un après l’autre et qu’il mangea. Il avait cinquante femmes qui partageaient son lit. Elles devinrent toutes grosses; mais il y en eut une, nommée Pirouzé, dont la grossesse ne parut point. Il conçut de l’aversion pour cette dame et il voulait la faire mourir. «Sa stérilité, disait-il, est une marque certaine que le ciel ne trouve pas Pirouzé digne d’être mère d’un prince. Il faut que je purge le monde d’un objet odieux au Seigneur.» Il formait cette cruelle résolution, mais son vizir l’en détourna en lui représentant que toutes les femmes n’étaient pas du même tempérament, et qu’il n’était pas impossible que Pirouzé fût grosse, quoique sa grossesse ne se déclarât point encore. «Hé bien! reprit le roi, qu’elle vive, mais qu’elle sorte de ma cour, car je ne la puis souffrir. – Que Votre Majesté, répliqua le vizir, l’envoie chez le prince Samer, votre cousin.» Le roi goûta cet avis; il envoya Pirouzé à Samarie avec une lettre par laquelle il mandait à son cousin de la bien traiter, et, si elle était grosse, de lui donner avis de son accouchement.

Pirouzé ne fut pas arrivée en ce pays-là qu’on s’aperçut qu’elle était enceinte, et enfin elle accoucha d’un prince plus beau que le jour. Le prince de Samarie écrivit aussitôt au roi de Harran pour lui faire part de l’heureuse naissance de ce fils et l’en féliciter. Le roi en eut beaucoup de joie, et fit une réponse au prince Samer, conçue dans ces termes: «Mon cousin, toutes mes autres femmes ont mis aussi au monde chacune un prince, de sorte que nous avons ici un grand nombre d’enfants. Je vous prie d’élever celui de Pirouzé, de lui donner le nom de Codadad, et vous me l’enverrez quand je vous le manderai.»

Le prince de Samarie n’épargna rien pour l’éducation de son neveu. Il lui fit apprendre à monter à cheval, à tirer de l’arc, et toutes les autres choses qui conviennent aux fils des rois, si bien que Codadad, à dix-huit ans, pouvait passer pour un prodige. Ce jeune prince, se sentant un courage digne de sa naissance, dit un jour à sa mère: «Madame, je commence à m’ennuyer à Samarie. Je sens que j’aime la gloire: permettez-moi d’aller chercher les occasions d’en acquérir dans les périls de la guerre. Le roi de Harran, mon père, a des ennemis. Quelques princes de ses voisins veulent troubler son repos. Que ne m’appelle-t-il à son secours? Pourquoi me laisse-t-il dans l’enfance si longtemps? Ne devrais-je pas être déjà dans sa cour? Pendant que tous mes frères ont le bonheur de combattre à ses côtés, faut-il que je passe ici ma vie dans l’oisiveté? – Mon fils, lui répondit Pirouzé, je n’ai pas moins d’impatience que vous de voir votre nom fameux. Je voudrais que vous vous fussiez déjà signalé contre les ennemis du roi votre père, mais il faut attendre qu’il vous demande. – Non, madame, répliqua Codadad, je n’ai que trop attendu. Je meurs d’envie de voir le roi, et je suis tenté de lui aller offrir mes services comme un jeune inconnu. Il les acceptera sans demie, et je ne me découvrirai qu’après avoir fait mille actions glorieuses. Je veux mériter son estime avant qu’il me reconnaisse.» Pirouzé approuva cette généreuse résolution, et de peur que le prince Samer ne s’y opposât, Codadad, sans la lui communiquer, sortit un jour de Samarie comme pour aller à la chasse.

Il était monté sur un cheval blanc qui avait une bride et des fers d’or, une selle avec une housse de satin bleu toute parsemée de perles. Il avait un sabre dont la poignée était d’un seul diamant, et le fourreau de bois de sandal tout garni d’émeraudes et de rubis. Il portait sur ses épaules son carquois et son arc, et dans cet équipage, qui relevait merveilleusement sa bonne mine, il arriva dans la ville de Harran. Il trouva bientôt le moyen de se faire présenter au roi, qui, charmé de sa beauté, de sa taille avantageuse, ou peut-être entraîné par la force du sang, lui fit un accueil favorable et lui demanda son nom et sa qualité. «Sire, répondit Codadad, je suis fils d’un émir du Caire. Le désir de voyager m’a fait quitter ma patrie, et comme j’ai appris en passant par vos états que vous étiez en guerre avec quelques-uns de vos voisins, je suis venu dans votre cour pour offrir mon bras à Votre Majesté.» Le roi l’accabla de caresses et lui donna de l’emploi dans ses troupes.

Ce jeune prince ne tarda guère à faire remarquer sa valeur. Il s’attira l’estime des officiers, excita l’admiration des soldats, et comme il n’avait pas moins d’esprit que de courage, il gagna si bien les bonnes grâces du roi qu’il devint bientôt son favori. Tous les jours les ministres et les autres courtisans ne manquaient pas d’aller voir Codadad, et ils recherchaient avec autant d’empressement son amitié qu’ils négligeaient celle des autres fils du roi. Ces jeunes princes ne purent s’en apercevoir sans chagrin, et s’en prenant à l’étranger, ils conçurent tous pour lui une extrême haine. Cependant le roi, l’aimant de plus en plus tous les jours, ne se lassait point de lui donner des marques de son affection. Il le voulait avoir sans cesse auprès de lui. Il admirait ses discours pleins d’esprit et de sagesse, et pour faire voir jusqu’à quel point il le croyait sage et prudent, il lui confia la conduite des autres princes, quoiqu’il fût de leur âge; de manière que voilà Codadad gouverneur de ses frères.

Cela ne fit qu’irriter leur haine. «Comment donc, dirent-ils, le roi ne se contente pas d’aimer un étranger plus que nous, il veut qu’il soit encore notre gouverneur, et que nous ne fassions rien sans sa permission! C’est ce que nous ne devons point souffrir. Il faut nous défaire de cet étranger. – Nous n’avons, disait l’un, qu’à l’aller chercher tous ensemble et le faire tomber sous nos coups. – Non, non, disait l’autre, gardons-nous bien de nous l’immoler nous-mêmes. Sa mort nous rendrait odieux au roi, qui, pour nous en punir, nous déclarerait tous indignes de régner. Perdons l’étranger adroitement. Demandons-lui permission d’aller à la chasse, et quand nous serons loin de ce palais, nous prendrons le chemin de quelque ville où nous irons passer quelque temps. Notre absence étonnera le roi, qui, ne nous voyant pas revenir, perdra patience et fera peut-être mourir l’étranger. Il le chassera du moins de sa cour pour nous avoir permis de sortir du palais.»

Tous les princes applaudirent à cet artifice. Ils vont trouver Codadad et le prient de leur permettre d’aller prendre le divertissement de la chasse, en lui promettant de revenir le même jour. Le fils de Pirouzé donna dans le piège, il accorda la permission que ses frères lui demandaient. Ils partirent et ne revinrent point. Il y avait déjà trois jours qu’ils étaient absents lorsque le roi dit à Codadad: «Où sont les princes? Il y a longtemps que je ne les ai vus. – Sire, répondit-il après avoir fait une profonde révérence, ils sont à la chasse depuis trois jours. Ils m’avaient pourtant promis qu’ils reviendraient plus tôt.» Le roi devint inquiet, et son inquiétude augmenta lorsqu’il vit que le lendemain les princes ne paraissaient point encore. Il ne put retenir sa colère: «Imprudent étranger, dit-il à Codadad, devais-tu laisser partir mes fils sans les accompagner? Est-ce ainsi que tu t’acquittes de l’emploi dont je t’ai chargé? Va les chercher tout à l’heure et me les amène, autrement ta perte est assurée.»

Ces paroles glacèrent d’effroi le malheureux fils de Pirouzé. Il se revêtit de ses armes, monta promptement à cheval. Il sort de la ville comme un berger qui a perdu son troupeau, il cherche partout ses frères dans la campagne, il s’informe dans tous les villages si on ne les a point vus, et n’en apprenant aucune nouvelle, il s’abandonne à la plus vive douleur. «Ah! mes frères, s’écria-t-il, qu’êtes-vous devenus? Seriez-vous au pouvoir de nos ennemis? Ne serais-je venu à la cour de Harran que pour causer au roi un déplaisir si sensible?» Il était inconsolable d’avoir permis aux princes d’aller à la chasse ou de ne les avoir pas accompagnés.