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Hassan fit travailler avec tant de diligence et employa tant d’ouvriers, qu’en peu de jours le dôme fut bâti. On éleva dessous un tombeau sur lequel était une figure qui représentait Codadad. Aussitôt que l’ouvrage fut achevé, le roi ordonna des prières, et marqua un jour pour les obsèques de son fils.

Ce jour étant venu, tous les habitants de la ville se répandirent dans la plaine pour voir la cérémonie, qui se fit de cette manière: le roi, suivi de son vizir et des principaux seigneurs de sa cour, marcha vers le dôme, et quand il y fut arrivé, il entra et s’assit avec eux sur des tapis de pied de satin noir à fleurs d’or; ensuite une grosse troupe de gardes à cheval, la tête basse et les yeux à demi fermés, s’approchèrent du dôme; ils en firent le tour deux fois, gardant un profond silence; mais à la troisième, ils s’arrêtèrent devant la porte et dirent tous, l’un après l’autre, ces paroles à haute voix: «Ô prince, fils du roi! si nous pouvions apporter quelque soulagement à ton mal par le tranchant de nos cimeterres et par la valeur humaine, nous te ferions revoir la lumière; mais le roi des rois a commandé, et l’ange de la mort a obéi.» À ces mots, ils se retirèrent pour faire place à cent vieillards qui étaient tous montés sur des mules noires, et qui portaient de longues barbes blanches.

C’étaient des solitaires qui, pendant le cours de leur vie, se tenaient cachés dans des grottes. Ils ne se montraient jamais aux yeux des hommes que pour assister aux obsèques des rois de Harran et des princes de sa maison. Ces vénérables personnages portaient sur leurs têtes chacun un gros livre qu’ils tenaient d’une main. Ils firent trois fois le tour du dôme sans rien dire; ensuite, s’étant arrêtés à la porte, l’un d’entre eux prononça ces mots: «Ô prince! que pouvons-nous faire pour toi? Si par la prière ou par la science on pouvait te rendre la vie, nous frotterions nos barbes blanches à tes pieds, et nous réciterions des oraisons; mais le roi de l’univers t’a enlevé pour jamais.»

Ces vieillards, après avoir ainsi parlé, s’éloignèrent du dôme, et aussitôt cinquante jeunes filles parfaitement belles s’en approchèrent. Elles montaient chacune un petit cheval blanc; elles étaient sans voiles et portaient des corbeilles d’or pleines de pierres précieuses. Elles tournèrent aussi trois fois autour du dôme, et s’étant arrêtées au même endroit que les autres, la plus jeune porta la parole et dit: «Ô prince autrefois si beau! quel secours peux-tu attendre de nous? Si nous pouvions te ranimer par nos attraits, nous nous rendrions tes esclaves; mais tu n’es plus sensible à la beauté et tu n’as plus besoin de nous.»

Les jeunes filles s’étant retirées, le roi et les courtisans se levèrent, et firent trois fois le tour de la représentation. Puis le roi, prenant la parole, dit: «Ô mon cher fils, lumière de mes yeux! je t’ai donc perdu pour toujours!» Il accompagna ces mots de soupirs, et arrosa le tombeau de ses larmes. Ses courtisans pleurèrent à son exemple. Ensuite on ferma la porte du dôme, et tout le monde retourna dans la ville. Le lendemain on fit des prières publiques dans les mosquées, et on les continua huit jours de suite. Le neuvième, le roi résolut de faire couper la tête aux princes ses fils. Tout le peuple, indigné du traitement qu’ils avaient fait à Codadad, semblait attendre impatiemment leur supplice. On commença à dresser des échafauds; mais on fut obligé de remettre l’exécution à un autre temps, parce que tout à coup on apprit que les princes voisins, qui avaient déjà fait la guerre au roi de Harran, s’avançaient avec des troupes plus nombreuses que la première fois, et qu’ils n’étaient pas même fort éloignés de la ville. Il y avait déjà longtemps qu’on savait qu’ils se préparaient à faire la guerre, mais on ne s’était point alarmé de leurs préparatifs. Cette nouvelle causa une consternation générale, et fournit une occasion de regretter de nouveau Codadad, parce que ce prince s’était signalé dans la guerre précédente contre ces mêmes ennemis. «Ah! disaient-ils, si le généreux Codadad vivait encore, nous nous mettrions peu en peine de ces princes qui viennent nous surprendre.» Cependant le roi, au lieu de s’abandonner à la crainte, lève du monde à la hâte, forme une armée assez considérable, et, trop courageux pour attendre dans ses murs que ses ennemis l’y viennent chercher, il sort et marche au-devant d’eux. Les ennemis, de leur côté, ayant appris par leurs coureurs que le roi de Harran s’avançait pour les combattre, s’arrêtent dans une plaine et mettent leur armée en bataille.

Le roi ne les eut pas plutôt aperçus, qu’il range aussi et dispose ses troupes au combat. Il fait sonner la charge, et attaque avec une extrême vigueur. On lui résiste de même. Il se répand de part et d’autre beaucoup de sang, et la victoire demeure longtemps incertaine; mais enfin elle allait se déclarer pour les ennemis du roi de Harran, lesquels, étant en plus grand nombre, allaient l’envelopper, lorsqu’on vit paraître dans la plaine une grosse troupe de cavaliers qui s’approcha des combattants en bon ordre. La vue de ces nouveaux, soldats étonna les deux partis, qui ne savaient ce qu’ils en devaient penser; mais ils ne demeurèrent pas longtemps dans l’incertitude. Ces cavaliers vinrent prendre en flanc les ennemis du roi de Harran, et les chargèrent avec tant de furie qu’ils les mirent d’abord en désordre et bientôt en déroute. Ils n’en demeurèrent pas là: ils les poursuivirent vivement et les taillèrent en pièces presque tous.

Le roi de Harran, qui avait observé avec beaucoup d’attention tout ce qui s’était passé, avait admiré l’audace de ces cavaliers, dont le secours inopiné venait de déterminer la victoire en sa faveur. Il avait surtout été charmé de leur chef, qu’il avait vu combattre avec une valeur extrême. Il souhaitait de savoir le nom de ce héros généreux. Impatient de le voir et de le remercier, il cherche à le joindre, et l’aperçoit qui s’avance pour le prévenir. Ces deux princes s’approchent, et le roi de Harran, reconnaissant Codadad dans ce brave guerrier qui venait de le secourir ou plutôt de battre ses ennemis, demeura immobile de surprise et de joie. «Seigneur, lui dit Codadad, vous avez sujet sans doute d’être étonné de voir paraître tout à coup devant Votre Majesté un homme que vous croyiez peut-être sans vie: je le serais si le ciel ne m’avait pas conservé pour vous servir contre vos ennemis. – Ah, mon fils! s’écria le roi, est-il bien possible que vous me soyez rendu! Hélas! je désespérais de vous revoir.» En disant cela, il tendit les bras au jeune prince, qui se livra à un embrassement si doux.

«Je sais tout, mon fils, reprit le roi après l’avoir tenu longtemps embrassé. Je sais de quel prix vos frères ont payé le service que vous leur avez rendu en les délivrant des mains du nègre; mais vous serez vengé dès demain. Cependant allons au palais. Votre mère, à qui vous avez coûté bien des pleurs, m’attend pour se réjouir avec moi de la défaite de nos ennemis. Quelle joie nous lui causerons en lui apprenant que ma victoire est votre ouvrage! – Seigneur, dit Codadad, permettez-moi de vous demander comment vous avez pu être instruit de l’aventure du château: quelqu’un de mes frères, poussé par ses remords, vous l’aurait-il avouée? – Non, répondit le roi, c’est la princesse de Deryabar qui nous a informés de toutes choses; car elle est dans mon palais, et elle n’y est venue que pour me demander justice du crime de vos frères.» Codadad fut transporté de joie en apprenant que la princesse sa femme était à la cour, «Allons, seigneur, s’écria-t-il avec transport, allons trouver ma mère, qui nous attend. Je brûle d’impatience d’essuyer ses larmes, aussi bien que celles de la princesse de Deryabar.»