Le roi reprit aussitôt le chemin de la ville avec son armée, qu’il congédia. Il rentra victorieux dans son palais, aux acclamations du peuple qui le suivait en foule en priant le ciel de prolonger ses années, et en portant jusqu’au ciel le nom de Codadad. Ces deux princes trouvèrent Pirouzé et sa belle-fille, qui attendaient le roi pour le féliciter. Mais on ne peut exprimer tous les transports de joie dont elles furent agitées lorsqu’elles virent le jeune prince qui l’accompagnait. Ce furent des embrassements mêlés de larmes bien différentes de celles qu’elles avaient déjà répandues pour lui. Après que ces quatre personnes eurent cédé à tous les mouvements que le sang et l’amour leur inspiraient, on demanda au fils de Pirouzé par quel miracle il était encore vivant.
Il répondit qu’un paysan monté sur une mule, étant entré par hasard dans la tente où il était évanoui, le voyant seul et percé de coups, l’avait attaché sur sa mule et conduit à sa maison, et que là il avait appliqué sur ses blessures certaines herbes mâchées qui l’avaient rétabli en peu de jours. «Lorsque je me sentis guéri, ajouta-t-il, je remerciai le paysan et lui donnai tous les diamants que j’avais. Je m’approchai ensuite de la ville de Harran; mais ayant appris sur la route que quelques princes voisins avaient assemblé des troupes et venaient fondre sur les sujets du roi, je me fis connaître dans les villages, et j’excitai le zèle de ses peuples à prendre sa défense. J’armai un grand nombre de ces jeunes gens, et me mettant à leur tête, je suis arrivé dans le temps que les deux armées étaient aux mains.» Quand il eut achevé de parler, le roi dit: «Rendons grâce à Dieu de ce qu’il a conservé Codadad. Mais il faut que les traîtres qui l’ont voulu tuer périssent aujourd’hui. – Seigneur, reprit le généreux fils de Pirouzé, tout ingrats, tout méchants qu’ils sont, songez qu’ils sont formés de votre sang. Ce sont mes frères, je leur pardonne leur crime, et je vous demande grâce pour eux.» Ces nobles sentiments arrachèrent des larmes au roi, qui fit assembler le peuple et déclara Codadad son héritier. Il ordonna ensuite qu’on fît venir les princes prisonniers, qui étaient tous chargés de fers. Le fils de Pirouzé leur ôta leurs chaînes, et les embrassa tous les uns après les autres d’aussi bon cœur qu’il avait fait dans la cour du château du nègre. Le peuple fut charmé du naturel de Codadad, et lui donna mille applaudissements. Ensuite on combla de biens le chirurgien, pour reconnaître les services qu’il avait rendus à la princesse de Deryabar.
La sultane Scheherazade venait de raconter l’histoire de Ganem avec tant d’agrément, que le sultan des Indes, son époux, ne put s’empêcher de lui témoigner qu’il l’avait entendue avec un très-grand plaisir. Sire, lui dit la sultane, je ne doute pas que Votre Majesté n’ait eu bien de la satisfaction d’avoir vu le calife Haroun Alraschid changer de sentiment en faveur de Ganem, de sa mère, de sa sœur et de Force des Cœurs, et je crois qu’elle doit avoir été touchée sensiblement des disgrâces des uns et des mauvais traitements faits aux autres. Mais je suis persuadée que si Votre Majesté voulait bien entendre l’histoire du Dormeur éveillé, au lieu de tous ces mouvements d’indignation et de compassion que celle de Ganem doit avoir excités dans son cœur, et dont il est encore ému, celle-ci, au contraire, ne lui inspirerait que de la joie et du plaisir.
Au seul titre de l’histoire dont la sultane venait de lui parler, le sultan, qui s’en promettait des aventures toutes réjouissantes, eût bien voulu en entendre le récit dès le même jour; mais il était temps qu’il se levât: c’est pourquoi il remit au lendemain à entendre la sultane Scheherazade, à qui cette histoire servit à se faire prolonger la vie encore plusieurs nuits et plusieurs jours. Ainsi, le jour suivant, après que Dinarzade l’eut éveillée, elle commença à la lui raconter en cette manière:
FIN du TOME II
1704