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Les autres jours, le prince les employait à voir ce qu’il y avait de plus remarquable dans la ville et aux environs. Entre autres choses dignes d’être admirées, il vit un temple d’idoles dont la structure était particulière, en ce qu’elle était toute de bronze: il avait dix coudées en carré dans son assiette, et quinze en hauteur, et ce qui en faisait la plus grande beauté était une idole d’or massif de la hauteur d’un homme, dont les yeux étaient deux rubis, appliqués avec tant d’art qu’il semblait à ceux qui la regardaient qu’elle avait les yeux sur eux, de quelque côté qu’ils se tournassent pour la voir. Il en vit une autre qui n’était pas moins admirable. C’était dans un village où il y avait une plaine d’environ dix arpents, laquelle n’était qu’un jardin délicieux parsemé de roses et d’autres fleurs agréables à la vue, et tout cet espace était environné d’un petit mur, environ à hauteur d’appui, pour empêcher que les animaux n’en approchassent. Au milieu de la plaine il s’élevait une terrasse à hauteur d’homme, revêtue de pierres jointes ensemble avec tant de soin et d’industrie, qu’il semblait que ce ne fût qu’une seule pierre. Le temple, qui était en dôme, était posé au milieu de la terrasse, haut de cinquante coudées, ce qui faisait qu’on le découvrait de plusieurs lieues à l’entour. La longueur était de trente et la largeur de vingt, et le marbre rouge dont il était bâti était extrêmement poli. La voûte du dôme était ornée de trois rangs de peintures fort vives et de bon goût, et tout le temple était généralement rempli de tant d’autres peintures, de bas-reliefs et d’idoles, qu’il n’y avait aucun endroit où il n’y en eût depuis le haut jusqu’au bas.

Le soir et le matin, on faisait des cérémonies superstitieuses dans ce temple, lesquelles étaient suivies de jeux, de concerts d’instruments, de danses, de chants et de festins. Et les ministres du temple, et les habitants du lieu, ne subsistent que des offrandes que les pèlerins en foule y apportent continuellement des endroits les plus éloignés du royaume pour s’acquitter de leurs vœux.

Le prince Houssain fut encore spectateur d’une fête solennelle qui se célèbre tous les ans à la cour de Bisnagar, à laquelle les gouverneurs des provinces, les commandants des places fortifiées, les gouverneurs, les juges des villes et les bramines les plus célèbres par leur doctrine, sont obligés de se trouver; et il y en a de si éloignés, qu’ils ne mettent pas moins de quatre mois à s’y rendre. L’assemblée, composée d’une multitude innombrable d’Indiens, se fait dans une plaine d’une vaste étendue, où ils font un spectacle surprenant, tant que la vue peut s’étendre. Au centre de cette plaine, il y avait une place d’une grande longueur et largeur, fermée d’un côté par un bâtiment superbe, en forme d’échafaudage à neuf étages, soutenu par quarante colonnes, et destiné pour le roi, pour sa cour et pour les étrangers, qu’il honorait de son audience une fois la semaine; en dedans, il était orné et meublé magnifiquement, et au-dehors, peint de paysages où l’on voyait toutes sortes d’animaux, d’oiseaux, d’insectes et même de mouches et de moucherons, le tout au naturel; et d’autres échafauds, hauts au moins de quatre ou cinq étages, et peints à peu près les uns de même que les autres, formaient les trois autres côtés. Et ces échafauds avaient cela de particulier, qu’on les faisait tourner, et changer de face et de décoration d’heure en heure.

De chaque côté de la place, à peu de distance les uns des autres, étaient rangés mille éléphants avec des harnais d’une grande somptuosité, chargés chacun d’une tour carrée de bois doré, et de joueurs d’instruments ou de farceurs dans chaque tour. La trompe de ces éléphants, leurs oreilles, et le reste du corps, étaient peints de cinabre et d’autres couleurs, qui représentaient des figures grotesques.

Dans tout ce spectacle, ce qui fit admirer davantage au prince Houssain l’industrie, l’adresse et le génie inventif des Indiens, fut de voir un des éléphants, le plus puissant et le plus gros, les quatre pieds posés sur l’extrémité d’un poteau enfoncé perpendiculairement et hors de terre d’environ deux pieds, jouer en battant l’air de sa trompe à la cadence des instruments. Il n’admira pas moins un autre éléphant, non moins puissant, au bout d’une poutre posée en travers, sur un poteau, à la hauteur de dix pieds, avec une pierre d’une grosseur prodigieuse attachée et suspendue à l’autre bout, qui lui servait de contre-poids, par le moyen duquel, tantôt haut, tantôt bas, en présence du roi et de sa cour, il marquait, par les mouvements de son corps et de sa trompe, les cadences des instruments, de même que l’autre éléphant. Les Indiens, après avoir attaché la pierre de contre-poids, avaient attiré l’autre bout jusqu’en terre à force d’hommes, et y avaient fait monter l’éléphant.

Le prince Houssain eût pu faire un plus long séjour à la cour et dans le royaume de Bisnagar; une infinité d’autres merveilles eussent pu l’y arrêter agréablement jusqu’au dernier jour de l’année révolue, dont les princes ses frères et lui étaient convenus pour se rejoindre; mais, pleinement satisfait de ce qu’il avait vu, comme il était continuellement occupé de l’objet de son amour, et que, depuis l’acquisition qu’il avait faite, la beauté et les charmes de la princesse Nourounnihar augmentaient de jour en jour la violence de sa passion, il lui sembla qu’il aurait l’esprit plus tranquille et qu’il serait plus près de son bonheur quand il se serait approché d’elle. Après avoir satisfait le concierge du khan pour le louage de l’appartement qu’il y avait occupé, et lui avoir marqué l’heure qu’il pourrait venir prendre la clef, qu’il laisserait à la porte, sans lui avoir marqué de quelle manière il partirait, il y rentra en fermant la porte sur lui et en y laissant la clef. Il étendit le tapis et s’y assit avec l’officier qu’il avait amené avec lui. Alors il se recueillit en lui-même, et après avoir souhaité sérieusement d’être transporté au gîte où les princes ses frères devaient se rendre comme lui, il s’aperçut bientôt qu’il y était arrivé. Il s’y arrêta; et, sans se faire connaître que pour un marchand, il les attendit.

Le prince Ali, frère puîné du prince Houssain, qui avait projeté de voyager en Perse, pour se conformer à l’intention du sultan des Indes, en avait pris la route avec une caravane, à laquelle il s’était joint à la troisième journée après sa séparation d’avec les deux princes ses frères. Après une marche de près de quatre mois, il arriva enfin à Schiraz, qui était alors la capitale du royaume de Perse. Comme il avait fait amitié et société en chemin avec un petit nombre de marchands, sans se faire connaître pour autre que pour marchand joaillier, il prit logement avec eux dans un même khan.

Le lendemain, pendant que les marchands ouvraient leurs ballots de marchandises, le prince Ali, qui ne voyageait que pour son plaisir et qui ne s’était embarrassé que des choses nécessaires pour le faire commodément, après avoir changé d’habit, se fit conduire au quartier où se vendaient les pierreries, les ouvrages en or et en argent, brocart, étoffes de soie, toiles fines, et les autres marchandises les plus rares et les plus précieuses. Ce lieu, qui était spacieux et bâti solidement, était voûté, et la voûte était soutenue de gros piliers autour desquels les boutiques étaient ménagées de même que le long des murs, tant en dedans qu’en dehors, et il était connu communément à Schiraz sous le nom de bezestan. D’abord le prince Ali parcourut le bezestan en long et en large de tous les côtés, et il jugea avec admiration des richesses qui étaient renfermées par la quantité prodigieuse des marchandises les plus précieuses qu’il y vit étalées. Parmi tous les crieurs qui allaient et venaient chargés de différentes pièces en les criant à l’encan, il ne fut pas peu surpris d’en voir un qui tenait à la main un tuyau d’ivoire, long d’environ un pied et de la grosseur d’un peu plus d’un pouce, qu’il criait à trente bourses. Il s’imagina d’abord que le crieur n’était pas dans son bon sens. Pour s’en éclaircir, en s’approchant de la boutique d’un marchand: «Seigneur, dit-il au marchand en lui montrant le crieur, dites-moi, je vous prie, si je me trompe: cet homme qui crie un petit tuyau d’ivoire a trente bourses a-t-il l’esprit bien sain? – Seigneur, répondit le marchand, à moins qu’il ne l’ait perdu depuis hier, je puis vous assurer que c’est le plus sage de tous nos crieurs et le plus employé, comme celui en qui l’on a le plus de confiance quand il s’agit de la vente de quelque chose de grand prix; et quant au tuyau qu’il crie à trente bourses, il faut qu’il les vaille, et même davantage, par quelque endroit qui ne paraît pas. Il va repasser dans un moment, nous l’appellerons, et vous vous en informerez par vous-même. Asseyez-vous cependant sur mon sofa, et reposez-vous.»