En achevant ces paroles, la dame, pour montrer le chemin au prince Ahmed, le mena dans une maison dont la structure merveilleuse, l’or et l’azur qui en embellissaient la voûte en dôme, et la richesse inestimable des meubles, lui parurent une nouveauté si grande, qu’il en témoigna son admiration, en s’écriant qu’il n’avait rien vu de semblable, et qu’il ne croyait pas qu’on pût rien voir qui en approchât. «Je vous assure néanmoins, reprit la dame, que c’est la moindre pièce de mon palais, et vous en tomberez d’accord quand je vous en aurai fait voir tous les appartements.» Elle monta et elle s’assit sur un sofa, et quand le prince eut pris place près d’elle, à la prière qu’elle lui en fit: «Prince, dit-elle, vous êtes surpris, dites-vous, de ce que je vous connais sans que vous me connaissiez: votre surprise cessera quand vous saurez qui je suis. Vous n’ignorez pas sans doute une chose que votre religion vous enseigne, qui est que le monde est habité par des génies aussi bien que par des hommes. Je suis fille d’un de ces génies, des plus puissants et des plus distingués parmi eux, et mon nom est Pari-Banou. Ainsi vous devez cesser d’être surpris que je vous connaisse, vous, le sultan votre père, les princes vos frères et la princesse Nourounnihar. Je suis informée de même de votre amour et de votre voyage, dont je pourrais vous dire toutes les circonstances, puisque c’est moi qui ai fait mettre en vente à Samarcande la pomme artificielle que vous y avez achetée; à Bisnagar, le tapis que le prince Houssain y a trouvé, et à Schiraz, le tuyau d’ivoire que le prince Ali en a rapporté. Cela doit suffire pour vous faire comprendre que je n’ignore rien de ce qui vous touche. La seule chose que j’ajoute, c’est que vous m’avez paru digne d’un sort plus heureux que celui de posséder la princesse Nourounnihar, et que, pour vous y faire acheminer, comme je me trouvais présente dans le temps que vous tirâtes la flèche que je vois que vous tenez, et que je prévis qu’elle ne passerait pas même au-delà de celle du prince Houssain, je la pris en l’air, et lui donnai le mouvement nécessaire pour venir frapper les rochers près desquels vous venez de la trouver. Il ne tiendra qu’à vous de profiter de l’occasion qu’elle vous présente de devenir plus heureux.»
Comme la fée Pari-Banou prononça ces dernières paroles d’un ton différent, en regardant même le prince Ahmed d’un air tendre, et en baissant aussitôt les yeux par modestie, avec une rougeur qui lui monta au visage, le prince n’eut pas de peine à comprendre de quel bonheur elle entendait parler. Il considéra tout d’une vue que Nourounnihar ne pouvait plus être à lui, et que la fée Pari-Banou la surpassait infiniment en beauté, en appas, en agréments, de même que par un esprit transcendant et par des richesses immenses, autant qu’il pouvait le conjecturer par la magnificence du palais où il se trouvait, et il bénit le moment où la pensée lui était venue de chercher une seconde fois la flèche qu’il avait tirée; et, en cédant au penchant qui l’entraînait du côté du nouvel objet qui l’enflammait: «Madame, reprit-il, quand je n’aurais toute ma vie que le bonheur d’être votre esclave et l’admirateur de tant de charmes, qui me ravissent à moi-même, je m’estimerais le plus heureux de tous les mortels. Pardonnez-moi la hardiesse qui m’inspire de vous demander cette grâce, et ne dédaignez pas, en me la refusant, d’admettre dans votre cour un prince qui se dévoue tout à vous.
«- Prince, repartit la fée, comme il y a longtemps que je suis maîtresse de mes volontés, du consentement de mes parents, ce n’est pas comme esclave que je veux vous admettre à ma cour, mais comme maître de ma personne et de tout ce qui m’appartient et peut m’appartenir, conjointement avec moi, en me donnant votre foi et en voulant bien m’agréer pour épouse. J’espère que vous ne prendrez pas en mauvaise part que je vous prévienne par cette offre. Je vous ai déjà dit que je suis maîtresse de mes volontés; j’ajouterai qu’il n’en est pas de même chez les fées que chez les dames envers les hommes, lesquelles n’ont pas coutume de faire de telles avances: elles tiendraient à grand déshonneur d’en user ainsi. Pour nous, nous les faisons, et nous tenons qu’on doit nous en avoir obligation.»
Le prince Ahmed ne répondit rien à ce discours de la fée, mais, pénétré de reconnaissance, il crut ne pouvoir mieux la lui marquer qu’en s’approchant pour lui baiser le bas de la robe. Elle ne lui en donna pas le temps, elle lui présenta la main, qu’il baisa; et, en retenant et en serrant la sienne: «Prince Ahmed, dit-elle, ne me donnez-vous pas votre foi comme je vous donne la mienne? – Eh! madame, reprit le prince, ravi de joie, que pourrais-je faire de mieux et qui me fît plus de plaisir? Oui, ma sultane, ma reine, je vous la donne avec mon cœur, sans réserve. – Si cela est, repartit la fée, vous êtes mon époux et je suis votre épouse. Les mariages ne se contractent pas parmi nous avec d’autres cérémonies: ils sont plus fermes et plus indissolubles que parmi les hommes, nonobstant les formalités qu’ils y apportent. Présentement, poursuivit-elle, pendant qu’on préparera le festin de nos noces pour ce soir, et comme apparemment vous n’avez rien pris d’aujourd’hui, on va vous apporter de quoi faire un léger repas, après quoi je vous ferai voir les appartements de mon palais, et vous jugerez s’il n’est pas vrai, comme je vous l’ai dit, que ce salon en est la moindre pièce.»
Quelques-unes des femmes de la fée, qui étaient entrées dans le salon avec elle, et qui comprirent quelle était son intention, sortirent, et peu de temps après apportèrent quelques mets et d’excellent vin.
Quand le prince Ahmed eut mangé et bu autant qu’il voulut, la fée Pari-Banou le mena d’appartement en appartement, où il vit le diamant, le rubis, l’émeraude et toute sorte de pierreries fines, employées avec les perles, l’agate, le jaspe, le porphyre et toutes sortes de marbres les plus précieux, sans parler des ameublements, qui étaient d’une richesse inestimable, le tout employé dans une profusion si étonnante que, bien loin d’avoir rien vu d’approchant, il avoua qu’il ne pouvait y avoir rien de pareil au monde. «Prince, lui dit la fée, si vous admirez si fort mon palais, qui, à la vérité, a de grandes beautés, que diriez-vous du palais des chefs de nos génies, qui sont tout autrement beaux, spacieux et magnifiques! Je pourrais vous faire admirer aussi la beauté de mon jardin; mais, ajouta-t-elle, ce sera pour une autre fois: la nuit approche, et il est temps de nous mettre à table.»
La salle où la fée fit entrer le prince Ahmed, et où la table était servie, était la dernière pièce du palais qui restait à faire voir au prince: elle n’était pas inférieure à aucune de toutes celles qu’il venait de voir. En entrant, il admira l’illumination d’une infinité de bougies, parfumées d’ambre, dont la multitude, loin de faire confusion, était dans une symétrie bien entendue, qui faisait plaisir à voir. Il admira de même un grand buffet chargé de vaisselle d’or, que l’art rendait plus précieuse que la matière, et plusieurs chœurs de femmes, toutes d’une beauté ravissante et richement habillées, qui commencèrent un concert de voix et de toutes sortes d’instruments les plus harmonieux qu’il eût jamais entendus. Ils se mirent à table, et comme Pari-Banou prit un grand soin de servir au prince Ahmed des mets les plus délicats, qu’elle lui nommait à mesure en l’invitant à en goûter, et comme le prince n’en avait jamais entendu parler et qu’il les trouvait exquis, il en faisait l’éloge, en s’écriant que la bonne chère qu’elle lui faisait surpassait toute celle que l’on faisait parmi les hommes. Il s’écria de même sur l’excellence du vin qui lui fut servi, dont ils ne commencèrent à boire, la fée et lui, qu’au dessert, qui n’était que de fruits, que de gâteaux et d’autres choses propres à le faire trouver meilleur.