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La fée Pari-Banou fit d’autant plus de diligence à venir, qu’elle ne comprenait pas quel motif avait pu obliger le prince Ahmed à revenir si tôt sur ses pas. Sans lui donner le temps de lui demander quel était ce motif: «Ma princesse, lui dit le prince en lui montrant la magicienne, que deux de ses gens venaient de mettre à terre, et qui la soutenaient par-dessous les bras, je vous prie d’avoir pour cette bonne femme la même compassion que moi. Je viens de la trouver dans l’état où vous la voyez, et je lui ai promis l’assistance dont elle a besoin. Je vous la recommande, persuadé que vous ne l’abandonnerez pas, autant par votre propre inclination qu’en considération de ma prière.»

La fée Pari-Banou, qui avait eu les yeux attachés sur la prétendue malade pendant que le prince Ahmed lui parlait, commanda à deux de ses femmes qui l’avaient suivie, de la prendre d’entre les mains des deux cavaliers, de la mener dans un appartement du palais, et de prendre pour elle le même soin qu’elles prendraient pour sa propre personne.

Pendant que les deux femmes exécutaient l’ordre qu’elles venaient de recevoir, Pari-Banou s’approcha du prince Ahmed, et en baissant la voix: «Prince, dit-elle, je loue votre compassion, digne de vous et de votre naissance, et je me fais un grand plaisir de correspondre à votre bonne intention; mais vous me permettrez de vous dire que je crains fort que cette bonne intention ne soit mal récompensée. Il ne me paraît pas que cette femme soit aussi malade qu’elle le fait paraître, et je suis fort trompée si elle n’est apostée exprès pour vous donner des mortifications. Mais que cela ne vous afflige pas, et quoi que l’on puisse machiner contre vous, persuadez-vous que je vous délivrerai de tous les piéges que l’on pourra vous tendre: allez, et poursuivez votre voyage.»

Ce discours n’alarma pas le prince Ahmed. «Ma princesse, reprit-il, comme je ne me souviens pas d’avoir fait mal à personne, et que je n’ai pas dessein d’en faire, je ne crois pas aussi que personne ait la pensée de m’en causer; quoi qu’il en puisse être, je ne cesserai pas de faire le bien toutes les fois que l’occasion s’en présentera.» En achevant, il prit congé de la fée, et en se séparant il reprit son chemin, qu’il avait interrompu à l’occasion de la magicienne, et en peu de temps il arriva avec sa suite à la cour du sultan des Indes, qui le reçut à peu près à son ordinaire, en se contraignant autant qu’il lui était possible pour ne rien faire paraître du trouble causé par les soupçons que les discours de ses favoris lui avaient fait naître.

Les deux femmes cependant que la fée Pari-Banou avait chargées de ses ordres, avaient mené la magicienne dans un très-bel appartement et meublé richement. D’abord elles la firent asseoir sur un sofa, où, pendant qu’elle était appuyée contre un coussin de brocart à fond d’or, elles préparèrent devant elle, sur le même sofa, un lit dont les matelas de satin étaient relevés d’une broderie de soie, les draps d’une toile des plus fines, et la couverture de drap d’or. Quand elles l’eurent aidée à se coucher (car la magicienne continuait de feindre que l’accès de fièvre dont elle était attaquée la tourmentait de manière qu’elle ne pouvait s’aider elle-même), alors, dis-je, une des deux femmes sortit, et revint peu de temps après avec une porcelaine des plus fines à la main, pleine d’une liqueur. Elle la présenta à la magicienne, pendant que l’autre femme l’aidait à se mettre sur son séant. «Prenez cette liqueur, dit-elle, c’est de l’eau de la fontaine des Lions, remède souverain pour quelque fièvre que ce soit. Vous en verrez l’effet en moins d’une heure de temps.»

La magicienne, pour mieux feindre, se fit prier longtemps, comme si elle eût eu une répugnance insurmontable à prendre cette potion. Elle prit enfin la porcelaine et elle avala la liqueur en secouant la tête, comme si elle se fût fait une grande violence. Quand elle se fut recouchée, les deux femmes la couvrirent bien. «Demeurez en repos, lui dit celle qui avait apporté la potion, et dormez si l’envie vous en prend. Nous allons vous laisser, et nous espérons vous trouver parfaitement guérie quand nous reviendrons, environ dans une heure.»

La magicienne, qui n’était pas venue pour faire la malade longtemps, mais uniquement pour épier où était la retraite du prince Ahmed, et ce qui pouvait l’avoir obligé de renoncer à la cour du sultan son père, et qui en était déjà informée suffisamment, eût volontiers déclaré dès lors que la potion avait fait son effet, tant elle avait d’envie de retourner et d’informer le sultan du bon succès de la commission dont il l’avait chargée. Mais comme on ne lui avait pas dit que la potion fît effet sur-le-champ, il fallut, malgré elle, qu’elle attendît le retour des deux femmes.

Les deux femmes vinrent dans le temps qu’elles avaient dit, et elles trouvèrent la magicienne levée, habillée, sur le sofa, et qui se leva en les voyant entrer. «Ô l’admirable potion! s’écria-t-elle; elle a fait son effet bien plus tôt que vous ne me l’aviez dit, et je vous attendais avec impatience, il y a déjà du temps, pour vous prier de me mener à votre charitable maîtresse, afin que je la remercie de sa bonté, dont je lui serai obligée éternellement, et que, guérie comme par un miracle, je ne perde pas de temps pour continuer mon voyage.»

Les deux femmes, fées comme leur maîtresse, après avoir marqué à la magicienne la part qu’elles prenaient à la joie qu’elle avait de sa prompte guérison, marchèrent devant elle pour lui montrer le chemin, et la menèrent, au travers de plusieurs appartements, tous plus superbes que celui d’où elle sortait, dans le salon le plus magnifique et le plus richement meublé de tout le palais.

Pari-Banou était dans ce salon, assise sur un trône d’or massif, enrichi de diamants, de rubis et de perles d’une grosseur extraordinaire, et, à droite et à gauche, accompagnée d’un grand nombre de fées, toutes d’une beauté charmante et habillées très-richement. À la vue de tant d’éclat et de majesté, la magicienne ne fut pas seulement éblouie, elle demeura même si interdite, qu’après s’être prosternée devant le trône, il ne lui fut pas possible d’ouvrir la bouche pour remercier la fée, comme elle se l’était proposé. Pari-Banou lui en épargna la peine. «Bonne femme, dit-elle, je suis bien aise que l’occasion de vous obliger se soit présentée, et de vous voir en état de poursuivre votre chemin. Je ne vous retiens pas, mais auparavant vous ne serez pas fâchée de voir mon palais. Allez avec mes femmes, elles vous accompagneront et vous le feront voir.»

La magicienne, toujours interdite, se prosterna une seconde fois le front sur le tapis qui couvrait le bas du trône, en prenant congé, sans avoir la force ni la hardiesse de proférer une seule parole, et elle se laissa conduire par les deux fées qui l’accompagnaient. Elle vit avec étonnement et avec des exclamations continuelles les mêmes appartements pièce à pièce, les mêmes richesses, la même magnificence que la fée Pari-Banou elle-même avait fait observer au prince Ahmed, la première fois qu’il s’était présenté devant elle, comme nous l’avons vu. Et ce qui lui donna le plus d’admiration, fut qu’après avoir vu tout le contenu du palais, les deux fées lui dirent que tout ce qu’elle venait d’admirer n’était qu’un échantillon de la grandeur et de la puissance de leur maîtresse, et que dans l’étendue de ses états, elle avait d’autres palais dont elles ne pouvaient dire le nombre, tous d’une architecture et d’un modèle différents, non moins superbes et magnifiques. En l’entretenant de plusieurs autres particularités, elles la conduisirent jusqu’à la porte de fer, par où le prince Ahmed l’avait amenée, l’ouvrirent, et lui dirent qu’elles lui souhaitaient un heureux voyage, après qu’elle eut pris congé d’elles et qu’elle les eut remerciées de la peine qu’elles s’étaient donnée.