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Quand la magicienne eut achevé de parler, le sultan demanda à ses favoris s’ils avaient quelque chose de meilleur à lui proposer, et comme il vit qu’ils gardaient le silence, il se détermina à suivre le conseil de la magicienne comme celui qui lui paraissait le plus raisonnable, et qui d’ailleurs était conforme à la douceur qu’il avait toujours suivie dans sa manière de gouverner.

Le lendemain, comme le prince Ahmed se fut présenté devant le sultan son père, qui s’entretenait avec ses favoris, et qu’il eut pris place près de sa personne, sa présence n’empêcha pas que la conversation sur plusieurs choses indifférentes ne continuât encore quelque temps. Ensuite le sultan prit la parole, et en l’adressant au prince Ahmed: «Mon fils, dit-il, quand vous vîntes me tirer de la profonde tristesse où la longueur de votre absence m’avait plongé, vous me fîtes un mystère du lieu que vous aviez choisi pour votre retraite, et, satisfait de vous revoir et d’apprendre que vous étiez content de votre sort, je ne voulus pas pénétrer dans votre secret dès que j’eus compris que vous ne le souhaitiez pas. Je ne sais quelle raison vous pouvez avoir eue pour en user de la sorte avec un père qui, dès lors, comme je le fais aujourd’hui, vous eût témoigné la part qu’il prenait à votre bonheur. Je sais quel est ce bonheur, je m’en réjouis avec vous et j’approuve le parti que vous avez pris d’épouser une fée si digne d’être aimée, si riche et si puissante, comme je l’ai appris de bonne part. Si puissant que je sois, il ne m’eût pas été possible de vous procurer un mariage semblable. Dans le haut rang où vous vous êtes élevé, lequel pourrait être envié par tout autre que par un père comme moi, je vous demande non-seulement que vous continuiez de vivre avec moi en bonne intelligence comme vous avez toujours fait jusqu’à présent, mais même d’employer tout le crédit que vous pouvez avoir auprès de votre fée pour m’obtenir son assistance dans les besoins que je pourrais avoir, et dès aujourd’hui vous voudrez bien que je mette ce crédit à l’épreuve. Vous n’ignorez pas à quelle dépense excessive, sans parler de l’embarras, mes généraux, mes officiers subalternes, et moi-même, nous sommes obligés, toutes les fois que j’ai à me mettre en campagne en temps de guerre, pour nous pourvoir de pavillons et de tentes, de chameaux et d’autres bêtes de charge pour les transporter. Si vous faites bien attention au plaisir que vous me ferez, je suis persuadé que vous n’aurez pas de peine à faire en sorte que la fée vous accorde un pavillon qui tienne dans la main, et sous lequel toute mon armée puisse être à couvert, surtout quand vous lui aurez fait connaître qu’il sera destiné pour moi. La difficulté de la chose ne vous attirera pas un refus: tout le monde sait le pouvoir qu’ont les fées d’en faire de plus extraordinaires.»

Le prince Ahmed ne s’était pas attendu que le sultan son père dût exiger de lui une chose pareille, qui lui parut d’abord très-difficile, pour ne pas dire impossible. En effet, quoiqu’il n’ignorât pas absolument combien le pouvoir des génies et des fées était grand, il douta néanmoins qu’il s’étendît à pouvoir lui fournir un pavillon tel qu’il le demandait. D’ailleurs, jusqu’alors il n’avait rien demandé d’approchant à Pari-Banou. Il se contentait des marques continuelles qu’elle lui donnait de sa passion, et il n’oubliait rien de tout ce qui pouvait lui persuader qu’il y correspondait de tout son cœur, sans autre intérêt que celui de se conserver dans ses bonnes grâces. Ainsi il fut dans un grand embarras sur la réponse qu’il avait à faire. «Sire, reprit-il, si j’ai fait un mystère à Votre Majesté de ce qui m’était arrivé, et du parti que j’avais pris après avoir trouvé ma flèche, c’est qu’il ne me parut pas qu’il lui importât d’en être informée. J’ignore par quel endroit ce mystère lui a été révélé; je ne puis néanmoins lui cacher que le rapport qu’on lui a fait est véritable. Je suis époux de la fée dont on lui a parlé, je l’aime, et je suis persuadé qu’elle m’aime de même. Mais, pour ce qui est du crédit que j’ai auprès d’elle, comme Votre Majesté le croit, je ne puis en rien dire. C’est que non-seulement je ne l’ai pas mis à l’épreuve, je n’en ai pas même eu la pensée, et j’eusse fort souhaité que Votre Majesté eût voulu me dispenser de l’entreprendre, et me laisser jouir du bonheur d’aimer et d’être aimé, avec le désintéressement pour toute autre chose que je m’étais proposé. Mais ce qu’un père demande est un commandement pour un fils qui, comme moi, se fait un devoir de lui obéir en toute chose. Quoique malgré moi, et avec une répugnance que je ne puis exprimer, je ne laisserai pas de faire à mon épouse la demande que Votre Majesté souhaite que je lui fasse, mais je ne lui promets pas de l’obtenir. Et si je cesse d’avoir l’honneur de venir lui rendre mes respects, ce sera une marque que je ne l’aurai pas obtenue, et, par avance, je lui demande la grâce de me le pardonner, et de considérer qu’elle-même m’aura réduit à cette extrémité.»

Le sultan des Indes repartit au prince Ahmed: «Mon fils, je serais bien fâché que ce que je vous demande pût vous donner lieu de me causer le déplaisir de ne plus vous voir. Je vois bien que vous ne connaissez pas le pouvoir d’un mari sur une femme: la vôtre ferait voir qu’elle ne vous aimerait que très-faiblement, si, avec le pouvoir qu’elle a comme fée, elle vous refusait une chose d’aussi peu de conséquence que ce que je vous prie de lui demander pour l’amour de moi. Abandonnez votre timidité; elle ne vient que de ce que vous croyez n’être pas aimé autant que vous aimez. Allez, demandez seulement, vous verrez que la fée vous aime au-delà de ce que vous croyez, et souvenez-vous que, faute de ne pas demander, on se prive de grands avantages. Pensez que, de même que vous ne lui refuseriez pas ce qu’elle vous demanderait, parce que vous l’aimez, elle ne vous refusera pas aussi ce que vous lui demanderez, parce qu’elle vous aime.»

Le sultan des Indes ne persuada pas le prince Ahmed par son discours: le prince Ahmed eût mieux aimé qu’il lui eût demandé toute autre chose que de l’exposer à déplaire à sa chère Pari-Banou; et, dans le chagrin qu’il conçut, il partit de la cour deux jours plus tôt qu’il n’avait coutume. Dès qu’il fut arrivé, la fée, qui jusqu’alors l’avait toujours vu se présenter devant elle avec un visage ouvert, lui demanda la cause du changement qu’elle y remarquait. Comme elle vit qu’au lieu de répondre il lui demandait des nouvelles de sa santé d’un air qui faisait connaître qu’il évitait de la satisfaire: «Je répondrai, dit-elle, à votre demande, quand vous aurez répondu à la mienne.» Le prince s’en défendit longtemps en lui protestant que ce n’était rien; mais, plus il se défendait, plus elle le pressait. «Je ne puis, dit-elle, vous voir dans l’état où vous êtes que vous ne m’ayez déclaré ce qui vous fait de la peine, afin que j’en dissipe la cause, quelle qu’elle puisse être: il faudrait qu’elle fût bien extraordinaire si elle était hors de mon pouvoir, à moins que ce ne fût la mort du sultan votre père. En ce cas-là, avec ce que je tâcherais d’y contribuer de mon côté, le temps vous en apporterait la consolation.»