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Sur le soir, comme le sultan tenait l’assemblée ordinaire de ses courtisans, et que le prince Ahmed s’y trouvait, il lui adressa la parole en ces termes: «Mon fils, dit-il, je vous ai déjà témoigné combien je me sens obligé par le présent du pavillon que vous m’avez procuré, que je regarde comme la pièce la plus précieuse de mon trésor; il faut que, pour l’amour de moi, vous fassiez une autre chose qui ne me sera pas moins agréable. J’apprends que la fée votre épouse se sert d’une certaine eau de la fontaine des Lions, qui guérit toutes sortes de fièvres les plus dangereuses; comme je suis parfaitement persuadé que ma santé vous est très-chère, je ne doute pas aussi que vous ne vouliez bien lui en demander un vase, et me l’apporter comme un remède souverain dont je puis avoir besoin à chaque moment. Rendez-moi donc cet autre service important, et mettez par-là le comble aux tendresses d’un bon fils envers un bon père.»

Le prince Ahmed, qui avait cru que le sultan son père se contenterait d’avoir à sa disposition un pavillon aussi singulier et aussi utile que celui qu’il venait de lui apporter, et qu’il ne lui imposerait pas une nouvelle charge capable de le mettre mal avec la fée Pari-Banou, demeura comme interdit dans cette autre demande qu’il venait de lui faire, nonobstant l’assurance qu’elle lui avait donnée de lui accorder tout ce qui dépendrait de son pouvoir. Après un silence de quelques moments: «Sire, dit-il, je supplie Votre Majesté de tenir pour certain qu’il n’y a rien que je ne sois prêt à faire ou à entreprendre pour contribuer à procurer tout ce qui serait capable de prolonger ses jours, mais je souhaiterais que ce fût sans l’intervention de mon épouse; c’est pour cela que je n’ose lui promettre d’apporter de cette eau. Tout ce que je puis faire, c’est de l’assurer que j’en ferai la demande, mais en me faisant la même violence que je me suis faite au sujet du pavillon.»

Le lendemain, le prince Ahmed, de retour auprès de la fée Pari-Banou, lui fit le récit sincère et fidèle de ce qu’il avait fait et de ce qui s’était passé à la cour du sultan son père à la présentation du pavillon, qu’il avait reçu avec un grand sentiment de reconnaissance pour elle, et il ne manqua pas de lui marquer la nouvelle demande qu’il était chargé de lui faite de sa part, et en achevant il ajouta: «Ma princesse, je ne vous expose ceci que comme un simple récit de ce qui s’est passé entre le sultan mon père et moi; quant au reste, vous êtes la maîtresse de satisfaire à ce qu’il souhaite, ou de le rejeter sans que j’y prenne aucun intérêt: je ne veux que ce que vous voudrez.

«- Non, non, reprit la fée Pari-Banou, je suis bien aise que le sultan des Indes sache que vous ne m’êtes pas indifférent. Je veux le contenter, et, quelques conseils que la magicienne puisse lui donner (car je vois bien que c’est elle qu’il écoute), qu’il ne nous trouve pas en défaut, ni vous ni moi. Il y a de la méchanceté dans ce qu’il demande, et vous allez le comprendre par le récit que vous allez entendre. La fontaine des Lions est au milieu de la cour d’un grand château dont l’entrée est gardée par quatre lions des plus puissants, dont deux dorment alternativement pendant que les autres veillent. Mais que cela ne vous épouvante pas, je vous donnerai le moyen de passer au milieu d’eux sans aucun danger.»

La fée Pari-Banou s’occupait alors à coudre, et comme elle avait près d’elle plusieurs pelotons de fil, elle en prit un, et en le présentant au prince Ahmed: «Premièrement, dit-elle, prenez ce peloton; je vous dirai bientôt l’usage que vous en ferez. En second lieu, faites-vous préparer deux chevaux, un que vous monterez et l’autre que vous mènerez en main, chargé d’un mouton coupé en quatre quartiers, qu’il faut faire tuer dès aujourd’hui. En troisième lieu, vous vous munirez d’un vase que je vous ferai donner pour puiser de l’eau. Demain, de bon matin, montez à cheval avec l’autre cheval en main, et quand vous serez sorti par la porte de fer, vous jetterez devant vous le peloton de ficlass="underline" le peloton roulera et ne cessera de rouler qu’à la porte du château. Suivez-le jusque là, et quand il sera arrêté, comme la porte sera ouverte, vous verrez les quatre lions, dont les deux qui veilleront éveilleront les deux autres qui dormiront par leur rugissement. Ne vous effrayez pas, mais jetez-leur à chacun un quartier de mouton, sans mettre pied à terre. Cela fait, sans perdre de temps, piquez votre cheval, et d’une course légère rendez-vous promptement à la fontaine, emplissez votre vase sans mettre encore pied à terre, et revenez avec la même légèreté. Les lions, encore occupés à manger, vous laisseront la sortie libre.»

Le prince Ahmed partit le lendemain à l’heure que la fée Pari-Banou lui avait marquée, et il exécuta de point en point ce qu’elle lui avait prescrit. Il arriva à la porte du château, il distribua les quartiers de mouton aux quatre lions, et après avoir passé au milieu d’eux avec intrépidité, il pénétra jusqu’à la fontaine, il puisa de l’eau plein le vase, il revint, et sortit du château sain et sauf comme il était entré. Quand il fut un peu éloigné, en se retournant il aperçut deux des lions qui accouraient en venant à lui: sans s’effrayer, il tira, le sabre et il se mit en défense. Mais comme il eut vu, en chemin faisant, que l’un s’était détourné à quelque distance, en marquant de la tête et de la queue qu’il ne venait pas pour lui faire mal, mais pour marcher devant lui, et que l’autre restait derrière pour le suivre, il rengaîna son sabre, et de la sorte il poursuivit son chemin jusqu’à la capitale des Indes, où il entra accompagné des deux lions, qui ne le quittèrent qu’à la porte du palais du sultan. Ils l’y laissèrent entrer, après quoi ils reprirent le même chemin par où ils étaient venus, non sans une grande frayeur de la part du menu peuple et de ceux qui les virent, lesquels se cachaient ou fuyaient, qui d’un côté, qui d’un autre, pour éviter leur rencontre, quoiqu’ils marchassent d’un pas égal sans donner aucune marque de férocité.

Plusieurs officiers qui se présentèrent pour aider le prince Ahmed à descendre de cheval, l’accompagnèrent jusqu’à l’appartement du sultan, où il s’entretenait avec ses favoris. Là il s’approcha du trône, posa le vase aux pieds du sultan et baisa le riche tapis qui couvrait le marchepied, et en se relevant: «Sire, dit-il, voilà l’eau salutaire que Votre Majesté a souhaité de mettre au rang des choses précieuses et curieuses qui enrichissent et ornent son trésor. Je lui souhaite une santé toujours si parfaite que jamais elle n’ait besoin d’en faire usage.»

Quand le prince eut achevé son compliment, le sultan lui fit prendre place à sa droite, et alors: «Mon fils, dit-il, je vous ai une obligation de votre présent aussi grande que le péril auquel vous vous êtes exposé pour l’amour de moi. (Il en avait été informé par la magicienne, qui avait connaissance de la fontaine aux Lions et du danger auquel on s’exposait pour en aller puiser de l’eau.) Faites-moi le plaisir, continua-t-il, de m’apprendre par quelle adresse, ou plutôt par quelle force incroyable vous vous en êtes garanti.

«- Sire, reprit le prince Ahmed, je ne prends aucune part au compliment de Votre Majesté, il est dû tout entier à la fée mon épouse, et je ne m’en attribue autre gloire que celle d’avoir suivi ses bons conseils.» Alors il lui fit connaître quels avaient été ces bons conseils, par le récit du voyage qu’il avait fait, et de quelle manière il s’y était comporté. Quand il eut achevé, le sultan, après l’avoir écouté avec de grandes démonstrations de joie, mais en secret avec la même jalousie, qui augmenta au lieu de diminuer, se leva et se retira seul dans l’intérieur du palais, où la magicienne, qu’il envoya chercher d’abord, lui fut amenée.