Выбрать главу

L’intendant des jardins, qui était au comble de la joie de voir ses nourrissons si accomplis dans toutes les perfections du corps et de l’esprit, et qu’ils avaient correspondu aux dépenses qu’il avait faites pour leur éducation beaucoup au-delà de ce qu’il s’en était promis, en fit une autre plus considérable à leur considération. Jusqu’alors, content du logement qu’il avait dans l’enceinte du jardin du palais, il avait vécu sans maison de campagne. Il en acheta une à peu de distance de la ville, qui avait de grandes dépendances en terres labourables, en prairies et en bois, et comme la maison ne lui parut pas assez belle ni assez commode, il la fit mettre bas et il n’épargna rien pour la rendre la plus magnifique des environs; il y allait tous les jours pour faire hâter par sa présence le grand nombre d’ouvriers qu’il y mit en œuvre, et dès qu’il y eut un appartement achevé propre à le recevoir, il y alla passer plusieurs jours de suite autant que les fonctions et le devoir de sa charge le lui permettaient. Par son assiduité enfin, la maison fut achevée, et pendant qu’on la meublait, avec la même diligence, de meubles les plus riches et qui correspondaient avec la magnificence de l’édifice, il fit travailler au jardin sur le dessin qu’il avait tracé lui-même et à la manière qui était ordinaire en Perse parmi les grands seigneurs. Il y ajouta un parc d’une vaste étendue, qu’il fit enclore de bonnes murailles et remplir de toutes sortes de bêtes fauves, afin que les princes et la princesse y prissent le divertissement de la chasse quand il leur plairait.

Quand la maison de campagne fut entièrement achevée et en état d’être habitée, l’intendant, des jardins alla se jeter aux pieds du sultan, et après avoir représenté combien il y avait longtemps qu’il était dans le service, et les infirmités de la vieillesse où il se trouvait, il le supplia d’avoir pour agréable la démission de sa charge, qu’il faisait entre les mains de Sa Majesté, et qu’il se retirât. Le sultan lui accorda cette grâce avec d’autant plus de plaisir qu’il était très-satisfait de ses longs services, tant sous le règne du sultan son père que depuis qu’il était monté lui-même sur le trône, et en la lui accordant, il demanda ce qu’il pouvait faire pour le récompenser. «Sire, répondit l’intendant des jardins, je suis comblé des bienfaits de Votre Majesté et de ceux du sultan son père, d’heureuse mémoire, à un point qu’il ne me reste plus à désirer que de mourir dans l’honneur de ses bonnes grâces.» Il prit congé du sultan Khosrouschah, après quoi il passa à la maison de campagne qu’il venait de faire bâtir, avec les deux princes Bahman et Perviz et la princesse Parizade; pour ce qui est de sa femme, il y avait quelques années qu’elle était morte. Il n’eut pas vécu cinq ou six mois avec eux, qu’il fut surpris par une mort si subite qu’elle ne lui donna pas le temps de leur dire un mot de la vérité de leur naissance, chose néanmoins qu’il avait résolu de faire, comme nécessaire pour les obliger de continuer de vivre comme ils avaient fait jusqu’alors, selon leur état et leur condition, conformément à l’éducation qu’il leur avait donnée et au penchant qui les y portait.

Les princes Bahman et Perviz, et la princesse Parizade, qui ne connaissaient d’autre père que l’intendant des jardins, le regrettèrent comme tel, et ils lui rendirent tous les devoirs funéraires que l’amour et la reconnaissance filiale exigeaient d’eux. Contents des grands biens qu’il leur avait laissés, ils continuèrent de vivre ensemble dans la même union qu’ils avaient fait jusqu’alors, sans ambition de la part des princes de se produire à la cour dans la vue des premières charges et des dignités, auxquelles il leur eut été aisé de parvenir.

Un jour que les deux princes étaient à la chasse, et que la princesse Parizade était restée, une dévote musulmane, qui était fort âgée, se présenta à la porte et pria qu’on lui permît d’entrer pour faire sa prière, dont il était l’heure. On alla demander la permission à la princesse, et la princesse commanda qu’on la fît entrer et qu’on lui montrât l’oratoire dont l’intendant des jardins du sultan avait eu soin de faire accompagner la maison, au défaut de mosquée dans le voisinage. Elle commanda aussi que quand la dévote aurait fait sa prière, on lui fît voir la maison et le jardin, et qu’ensuite on la lui amenât.

La dévote musulmane entra, elle fit sa prière dans l’oratoire, qu’on lui montra, et quand elle eut fait, deux femmes de la princesse, qui attendaient qu’elle sortît, l’invitèrent à voir la maison et le jardin. Comme elle eut marqué qu’elle était prête à les suivre, elles la menèrent d’appartement en appartement, et dans chacun elle considéra toute chose en femme qui s’entendait en ameublements et dans la belle disposition de chaque pièce; elles la firent entrer aussi dans le jardin, dont elle trouva le dessin si nouveau et si bien entendu, qu’elle l’admira en disant qu’il fallait que celui qui l’avait fait tracer fût un excellent maître dans son art. Elle fut enfin amenée devant la princesse, qui l’attendait dans un grand salon, lequel surpassait en beauté, en propreté et en richesses tout ce qu’elle avait admiré dans les appartements.

Dès que la princesse vit entrer la dévote: «Ma bonne mère, lui dit-elle, approchez-vous et venez vous asseoir près de moi; je suis ravie du bonheur que l’occasion me présente de profiter pendant quelques moments du bon exempte et du bon entretien d’une personne comme vous, qui a pris le bon chemin en se donnant toute à Dieu, et que tout le monde devrait imiter s’il était sage.»

La dévote, au lieu de monter sur le sofa, voulut s’asseoir sur le bord, mais la princesse ne le souffrit pas; elle se leva de sa place, et en s’avançant elle la prit par la main et l’obligea de venir s’asseoir près d’elle à la place d’honneur. La dévote fut sensible à cette civilité. «Madame, dit-elle, il ne m’appartient pas d’être traitée si honorablement, et je ne vous obéis que parce que vous le commandez et que vous êtes maîtresse chez vous.» Quand elle fut assise, avant d’entrer en conversation, une des femmes de la princesse servit devant elle et devant la princesse une petite table basse marquetée de nacre de perle et d’ébène, avec un bassin de porcelaine dessus, garni de gâteaux et de plusieurs porcelaines de fruits de la saison et de confitures sèches et liquides.

La princesse prit un des gâteaux, et en le présentant à la dévote: «Ma bonne mère, dit-elle, prenez, mangez, et choisissez de ces fruits ce qu’il vous plaira; vous avez besoin de manger, après le chemin que vous avez fait pour venir jusqu’ici – Madame, reprit la dévote, je ne suis pas accoutumée à manger des choses si délicates, et si j’en mange, c’est pour ne pas refuser ce que Dieu m’envoie par une main libérale comme la vôtre.»

Pendant que la dévote mangeait, la princesse, qui mangea aussi quelque chose pour l’y exciter par son exemple, lui fit plusieurs questions sur les exercices de dévotion qu’elle pratiquait et sur la manière dont elle vivait, auxquelles elle répondit avec beaucoup de modestie; et, de discours en discours, elle lui demanda ce qu’il lui paraissait de la maison qu’elle voyait et si elle la trouvait à son gré.

«Madame, répondit la dévote, il faudrait être de très-mauvais goût pour y trouver à reprendre; elle est très-belle, riante, meublée magnifiquement sans confusion, bien entendue, et les ornements y sont ménagés on ne peut pas mieux. Quant à la situation, elle est dans un terrain agréable, et l’on ne peut imaginer un jardin qui fasse plus de plaisir à voir que celui dont elle est accompagnée. Si vous me permettez néanmoins de ne rien dissimuler, je prends la liberté de vous dire, madame, que la maison serait incomparable si trois choses qui y manquent, à mon avis, s’y rencontraient. – Ma bonne, reprit la princesse Parizade, quelles sont ces trois choses? Enseignez-les-moi, je vous en conjure au nom de Dieu: je n’épargnerai rien pour les acquérir, s’il est possible.