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«- Madame, reprit la dévote, la première de ces trois choses est l’oiseau qui parle: c’est un oiseau singulier, qu’on nomme Bulbulhezar, lequel a encore la propriété d’attirer des environs tous les oiseaux qui chantent, lesquels viennent accompagner son chant. La seconde est l’arbre qui chante, dont les feuilles sont autant de bouches qui font un concert harmonieux de voix différentes, lequel ne cesse jamais. La troisième chose enfin est l’eau jaune couleur d’or, dont une seule goutte, versée dans un bassin préparé exprès en quelque endroit que ce soit d’un jardin, foisonne d’une manière qu’elle le remplit d’abord, et s’élève dans le milieu en gerbe qui ne cesse jamais de s’élever et de retomber dans le bassin, sans que le bassin déborde.

«- Ah! ma bonne mère, s’écria la princesse, que je vous ai d’obligation de la connaissance que vous me donnez de ces choses! Elles sont surprenantes, et je n’avais pas entendu dire qu’il y eût rien au monde de si curieux et d’aussi admirable; mais comme je suis bien persuadée que vous n’ignorez pas le lieu où elles se trouvent, j’attends que vous me fassiez la grâce de me l’enseigner.»

Pour donner la satisfaction à la princesse, la bonne dévote lui dit: «Madame, je me rendrais indigne de l’hospitalité que vous venez d’exercer envers moi avec tant de bonté, si je refusais de satisfaire votre curiosité sur ce que vous souhaitez d’apprendre. J’ai donc l’honneur de vous dire que les trois choses dont je viens de vous parler se trouvent dans un même lieu, aux confins de ce royaume, du côté des Indes. Le chemin qui y conduit passe devant votre maison; celui que vous y enverrez de votre part n’a qu’à le suivre pendant vingt jours, et le vingtième jour, qu’il demande où sont l’oiseau qui parle, l’arbre qui chante et l’eau jaune: le premier auquel il s’adressera le lui enseignera.» En achevant ces paroles, elle se leva, et après avoir pris congé, elle se retira et poursuivit son chemin.

La princesse Parizade avait l’esprit si fort occupé à retenir les enseignes que la dévote musulmane venait de lui donner de l’oiseau qui parlait, de l’arbre qui chantait et de l’eau jaune, qu’elle ne s’aperçut qu’elle était partie que quand elle voulut lui faire quelques demandes pour prendre d’elle un plus grand éclaircissement. Il lui semblait, en effet, que ce qu’elle venait d’entendre de sa bouche n’était pas suffisant pour ne pas s’exposer à entreprendre un voyage inutile. Elle ne voulut pas néanmoins envoyer après elle pour la faire revenir; mais elle fit un effort sur sa mémoire pour se rappeler tout ce qu’elle avait entendu et n’en rien oublier. Quand elle crut que rien ne lui était échappé, elle se fit un grand plaisir de penser à la satisfaction qu’elle aurait si elle pouvait venir à bout de posséder des choses si merveilleuses; mais la difficulté qu’elle y trouvait et la crainte de ne pas y réussir la plongeaient dans une grande inquiétude.

La princesse Parizade était abîmée dans ces pensées quand les princes ses frères arrivèrent de la chasse; ils entrèrent dans le salon, et au lieu de la trouver le visage ouvert et l’esprit gai, selon sa coutume, ils furent étonnés de la voir recueillie en elle-même et comme affligée, sans lever la tête pour marquer au moins qu’elle s’apercevait de leur présence.

Le prince Bahman prit la parole: «Ma sœur, dit-il, où sont la joie et la gaieté qui ont été inséparables d’avec vous jusqu’à présent? Êtes-vous incommodée? vous est-il arrivé quelque malheur? vous a-t-on donné quelque sujet de chagrin? Apprenez-le-nous, afin que nous y prenions la part que nous devons et que nous y apportions remède, ou que nous vous vengions si quelqu’un a eu la témérité d’offenser une personne comme vous, à laquelle tout respect est dû.»

La princesse Parizade demeura quelque temps sans rien répondre et dans la même situation. Elle leva les yeux enfin en regardant les princes ses frères, et les baissa presque aussitôt après leur avoir dit que ce n’était rien.

«Ma sœur, reprit le prince Bahman, vous nous dissimulez la vérité. Il faut bien que ce soit quelque chose, et même quelque chose de grave, il n’est pas possible que, pendant le peu de temps que nous avons été éloignés de vous, un changement aussi grand et aussi peu attendu que celui que nous remarquons en vous vous soit arrivé pour rien. Vous voudrez bien que nous ne vous en tenions pas quitte pour une réponse qui ne nous satisfait pas. Ne nous cachez donc pas ce que c’est, à moins que vous ne vouliez nous faire croire que vous renoncez à l’amitié et à l’union ferme et constante qui ont subsisté entre nous jusqu’aujourd’hui, dès notre plus tendre jeunesse.»

La princesse, qui était bien éloignée de rompre avec les princes ses frères, ne voulut pas les laisser dans cette pensée. «Quand je vous ai dit, reprit-elle, que ce qui me faisait de la peine n’était rien, je l’ai dit par rapport à vous, et non pas par rapport à moi, qui le trouve de quelque importance. Et puisque vous me pressez par le droit de notre amitié et de notre union, qui me sont si chères, je vais vous dire ce que c’est. Vous avez cru, et je l’ai cru comme vous, continua-t-elle, que cette maison, que feu notre père nous a fait bâtir, était complète en toute manière, et que rien n’y manquait. Aujourd’hui, cependant, j’ai appris qu’il y manque trois choses, qui la mettraient hors de comparaison d’avec toutes les maisons de campagne qui sont au monde. Ces trois choses sont l’oiseau qui parle, l’arbre qui chante et l’eau jaune de couleur d’or.» Après leur avoir expliqué en quoi consistait l’excellence de ces choses: «C’est une dévote musulmane, ajouta-t-elle, qui m’a fait faire cette remarque, et qui m’a enseigné le lieu où elles sont, et le chemin par où l’on peut s’y rendre. Vous trouverez peut-être que ce sont des choses de peu de conséquence, pour faire que notre maison soit accomplie, et qu’elle peut toujours passer pour une très-belle maison, indépendamment de cet accroissement à ce qu’elle contient, et ainsi que nous pouvons nous en passer. Vous en penserez ce qu’il vous plaira; mais je ne puis m’empêcher de vous témoigner qu’en mon particulier je suis persuadée qu’elles y sont nécessaires, et que je ne serai pas contente que je ne les y voie placées. Ainsi, que vous y preniez intérêt, que vous n’en preniez pas, je vous prie de m’aider de vos conseils, et de voir qui je pourrais envoyer à cette conquête.

«- Ma sœur, reprit le prince Bahman, rien ne peut vous intéresser qui ne nous intéresse également. Il suffit de votre empressement pour la conquête des choses que vous nous dites, pour nous obliger d’y prendre le même intérêt; mais, indépendamment de ce qui vous regarde, nous nous y sentons portés de notre propre mouvement et pour notre satisfaction particulière, car je suis bien persuadé que mon frère n’est pas d’un autre sentiment que moi, et nous devons tout entreprendre pour faire cette conquête, comme vous l’appelez. L’importance et la singularité dont il s’agit méritent bien ce nom. Je me charge de la faire; dites-moi seulement le chemin que je dois tenir et le lieu, je ne différerai pas le voyage plus longtemps que jusqu’à demain.

«- Mon frère, reprit le prince Perviz, il ne convient pas que vous vous absentiez de la maison pour un si long temps, vous qui en êtes le chef et l’appui, et je prie ma sœur de se joindre à moi pour vous obliger à abandonner votre dessein, et à trouver bon que je fasse le voyage. Je ne m’en acquitterai pas moins bien que vous, et la chose sera plus dans l’ordre. – Mon frère, repartit le prince Bahman, je suis bien persuadé de votre bonne volonté, et que vous ne vous acquitteriez pas du voyage moins bien que moi; mais c’est une chose résolue, je le veux faire, et je le ferai. Vous resterez avec notre sœur, qu’il n’est pas besoin que je vous recommande.» Il passa le reste de la journée à pourvoir aux préparatifs du voyage, et à se faire bien instruire par la princesse des enseignes que la dévote lui avait données, pour ne pas s’écarter du chemin.