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La nouvelle de ces merveilles se répandit dans le voisinage, et comme la porte de la maison, non plus que du jardin, n’était fermée à personne, bientôt une grande affluence de peuple des environs vint les admirer.

Au bout de quelques jours, les princes Bahman et Perviz, bien remis de la fatigue de leur voyage, reprirent leur manière de vie; et comme la chasse était leur divertissement ordinaire, ils montèrent à cheval et ils y allèrent pour la première fois depuis leur retour, non pas dans leur parc, mais à deux ou trois lieues de leur maison. Comme ils chassaient, le sultan de Perse survint en chassant au même endroit qu’ils avaient choisi. Dès qu’ils se furent aperçus qu’il allait arriver bientôt, par un grand nombre de cavaliers qu’ils virent paraître en plusieurs endroits, ils prirent le parti de cesser et de se retirer pour éviter sa rencontre; mais ce fut justement par le chemin qu’ils prirent qu’ils le rencontrèrent, dans un endroit si étroit qu’ils ne pouvaient se détourner ni reculer sans être vus. Dans leur surprise, ils n’eurent que le temps de mettre pied à terre et de se prosterner devant le sultan, le front contre terre, sans lever la tête pour le regarder; mais le sultan, qui vit qu’ils étaient bien montés et habillés aussi proprement que s’ils eussent été de sa cour, eut la curiosité de les voir au visage: il s’arrêta et il leur commanda de se lever.

Les princes se levèrent et ils demeurèrent debout devant leur sultan avec un air libre et dégagé, accompagné néanmoins d’une contenance modeste et respectueuse. Le sultan les considéra quelque temps depuis la tête jusqu’aux pieds sans parler, et après avoir admiré leur bon air et leur bonne mine, il leur demanda qui ils étaient et où ils demeuraient.

Le prince Bahman prit la parole. «Sire, dit-il, nous sommes fils de l’intendant des jardins de Votre Majesté, le dernier mort, et nous demeurons dans une maison qu’il fit bâtir peu de temps avant sa mort, afin que nous y demeurassions en attendant que nous fussions en âge de servir Votre Majesté, et de lui aller demander de l’emploi quand l’occasion se présenterait.

«- À ce que je vois, reprit le sultan, vous aimez la chasse? – Sire, repartit le prince Bahman, c’est notre exercice le plus ordinaire, qu’aucun des sujets de Votre Majesté qui se destine à porter les armes dans ses armées ne néglige, en se conformant à l’ancienne coutume de ce royaume.» Le sultan, charmé d’une réponse si sage, leur dit: «Puisque cela est, je serai bien aise de vous voir chasser. Venez, et choisissez telle chasse qu’il vous plaira.»

Les princes remontèrent à cheval, suivirent le sultan, et ils n’avaient pas avancé bien loin, quand ils virent paraître plusieurs bêtes tout à la fois. Le prince Bahman choisit un lion, et le prince Perviz, un ours; ils partirent l’un et l’autre en même temps avec une intrépidité dont le sultan fut surpris. Ils joignirent leur chasse presque aussitôt l’un que l’autre, et ils lancèrent leur javelot avec tant d’adresse, qu’ils percèrent, le prince Bahman le lion, et le prince Perviz l’ours d’outre en outre, et que le sultan les vit tomber en peu de temps l’un après l’autre. Sans s’arrêter, le prince Bahman poursuivit un autre ours, et le prince Perviz un autre lion, et en peu de moments ils les percèrent et les renversèrent sans vie. Ils voulaient continuer, mais le sultan ne le permit pas; il les fit rappeler, et quand ils furent venus se ranger près de lui: «Si je vous laissais faire, dit-il, vous auriez bientôt détruit toute ma chasse. Ce n’est pas tant ma chasse néanmoins que je veux épargner que vos personnes, dont la vie me sera désormais très-chère, persuadé que votre bravoure, dans un temps, me sera beaucoup plus utile qu’elle ne vient de m’être agréable.»

Le sultan Khosrouschah enfin sentit une inclination si forte pour les deux princes, qu’il les invita à venir le voir et à le suivre sur l’heure. «Sire, reprit le prince Bahman, Votre Majesté nous fait un honneur que nous ne méritons pas, et nous la supplions de vouloir bien nous en dispenser.»

Le sultan, qui ne comprenait pas quelle raison les princes pouvaient avoir pour ne pas accepter la marque de considération qu’il leur témoignait, la leur demanda, et les pressa de l’en éclaircir. «Sire, dit le prince Bahman, nous avons une sœur, notre cadette, avec laquelle nous vivons dans une union si grande, que nous n’entreprenons ni ne faisons rien qu’auparavant nous n’ayons pris son avis, de même que, de son côté, elle ne fait rien qu’elle ne nous ait demandé le nôtre. – Je loue fort votre union fraternelle, reprit le sultan; consultez donc votre sœur, et demain, en revenant chasser avec moi, vous me rendrez réponse.»

Les deux princes retournèrent chez eux, mais ils ne se souvinrent ni l’un ni l’autre, non-seulement de l’aventure qui leur était arrivée de rencontrer le sultan, et d’avoir eu l’honneur de chasser avec lui, mais même de parler à la princesse de celui qu’il leur avait fait de vouloir les emmener avec lui. Le lendemain, comme ils se furent rendus auprès du sultan au lieu de la chasse: «Eh bien! leur demanda le sultan, avez-vous parlé à votre sœur? a-t-elle bien voulu consentir au plaisir que j’attends de vous voir plus particulièrement?» Les princes se regardèrent, et la rougeur leur monta au visage, «Sire, répondit le prince Bahman, nous supplions Votre Majesté de nous excuser; ni mon frère ni moi, nous ne nous en sommes pas souvenus. – Souvenez-vous-en donc aujourd’hui, reprit le sultan, et demain n’oubliez pas de m’en rendre la réponse.»

Les princes tombèrent une seconde fois dans le même oubli, et le sultan ne se scandalisa pas de leur négligence; au contraire, il tira trois petites boules d’or qu’il avait dans une bourse, et les mettant dans le sein du prince Bahman: «Ces boules, dit-il avec un souris, empêcheront que vous n’oubliiez une troisième fois ce que je souhaite que vous fassiez pour l’amour de moi: le bruit qu’elles feront ce soir en tombant de votre ceinture vous en fera souvenir, au cas que vous ne vous en soyez pas souvenu auparavant.»

La chose arriva comme le sultan l’avait prévue. Sans les trois boules d’or, les princes eussent encore oublié de parler à la princesse Parizade, leur sœur. Elles tombèrent du sein du prince Bahman, comme il eut ôté sa ceinture en se préparant à se mettre au lit. Aussitôt il alla trouver le prince Perviz, et ils allèrent ensemble à l’appartement de la princesse, qui n’était pas encore couchée; ils lui demandèrent pardon de ce qu’ils venaient l’importuner à une heure indue, et ils lui exposèrent le sujet avec toutes les circonstances de leur rencontre avec le sultan.

La princesse Parizade fut alarmée de cette nouvelle. «Votre rencontre avec le sultan, dit-elle, vous est heureuse et honorable, et dans la suite elle peut l’être davantage, mais elle est fâcheuse et bien triste pour moi. C’est à ma considération, je le vois bien, que vous avez résisté à ce que le sultan souhaitait; je vous en suis infiniment obligée; je connais en cela que votre amitié correspond parfaitement à la mienne. Vous avez mieux aimé, pour ainsi dire, commettre une incivilité envers le sultan en lui faisant un refus honnête, à ce que vous avez cru, que de préjudicier à l’union fraternelle que nous nous sommes jurée, et vous avez bien jugé que, si vous aviez commencé à le voir, vous seriez obligés insensiblement à m’abandonner, pour vous donner tout à lui. Mais croyez-vous qu’il soit aisé de refuser absolument au sultan ce qu’il souhaite avec tant d’empressement, comme il le paraît? Les souhaits des sultans sont des volontés auxquelles il est dangereux de résister. Ainsi, quand en suivant mon inclination, je vous dissuaderais d’avoir pour lui la complaisance qu’il exige de vous, je ne ferais que vous exposer à son ressentiment, et que risquer d’être malheureuse avec vous. Vous voyez quel est mon sentiment; avant néanmoins de rien conclure, consultons l’oiseau qui parle, et voyons ce qu’il nous conseillera: il est pénétrant et prévoyant, et il nous a promis son secours dans les difficultés qui nous embarrasseraient.»