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La princesse Parizade se fit apporter la cage, et, après qu’elle eut proposé la difficulté à l’oiseau, en présence des princes, elle lui demanda ce qu’il était à propos qu’ils fissent dans cette perplexité. L’oiseau répondit: «Il faut que les princes vos frères correspondent à la volonté du sultan, et même qu’à leur tour ils l’invitent à venir voir votre maison.

«- Mais, oiseau, reprit la princesse, nous nous aimons, mes frères et moi, d’une amitié sans égale; cette amitié ne souffrira-t-elle pas de dommage par cette démarche? – Point du tout, repartit l’oiseau, elle en deviendra plus forte. – De la sorte, répliqua la princesse, le sultan me verra.» L’oiseau lui dit qu’il était nécessaire qu’il la vît, et que le tout n’en irait que mieux.

Le lendemain, les princes Bahman et Perviz retournèrent à la chasse, et le sultan, d’aussi loin qu’il put se faire entendre, leur demanda s’ils s’étaient souvenus de parler à leur sœur. Le prince Bahman s’approcha, et lui dit: «Sire, Votre Majesté peut disposer de nous, et nous sommes prêts à lui obéir: non-seulement nous n’avons pas eu de peine à obtenir le consentement de notre sœur, elle a même trouvé mauvais que nous ayons eu cette déférence pour elle dans une chose qui était de notre devoir à l’égard de Votre Majesté. Mais, sire, elle s’en est rendue si digne que, si nous avons péché, nous espérons que Votre Majesté nous le pardonnera. – Que cela ne vous inquiète pas, reprit le sultan; bien loin de trouver mauvais ce que vous avez fait, je l’approuve si fort, que j’espère que vous aurez pour ma personne la même déférence et le même attachement, pour peu que j’aie de part dans votre amitié.» Les princes, confus de l’excès de bonté du sultan, ne répondirent que par une profonde inclination, pour lui marquer le grand respect avec lequel ils le recevaient.

Le sultan, contre son ordinaire, ne chassa pas longtemps ce jour-là. Comme il avait jugé que les princes n’avaient pas moins d’esprit que de valeur et de bravoure, l’impatience de s’entretenir avec plus de liberté fit qu’il avança son retour. Il voulut qu’ils fussent à ses côtés dans la marche, honneur qui, sans parler des principaux courtisans qui l’accompagnaient, donna de la jalousie même au grand vizir, qui fut mortifié de les voir marcher avant lui.

Quand le sultan fut entré dans sa capitale, le peuple dont les rues étaient bordées n’eut les yeux attachés que sur les deux princes Bahman et Perviz, en cherchant qui ils pouvaient être, s’ils étaient étrangers ou du royaume. «Quoi qu’il en soit, disaient la plupart, plût à Dieu que le sultan nous eût donné deux princes aussi bien faits et d’aussi bonne mine! Il pourrait en avoir à peu près du même âge, si les couches de la sultane, qui en souffre la peine depuis si longtemps, eussent été heureuses.»

La première chose que fit le sultan en arrivant dans son palais fut de mener les princes dans les principaux appartements, dont ils louèrent la beauté, les richesses, les meubles, les ornements et la symétrie sans affectation et en gens qui s’y entendaient. On servit enfin un repas magnifique, et le sultan les fit mettre à table avec lui. Ils voulurent s’en excuser, mais ils obéirent dès que le sultan leur eut dit que c’était sa volonté.

Le sultan, qui avait infiniment d’esprit, qui avait fait de grands progrès dans les sciences, et particulièrement dans l’histoire, avait bien prévu que, par modestie et par respect, les princes ne se donneraient pas la liberté de commencer la conversation. Pour leur donner lieu de parler, il la commença et il y fournit pendant tout le repas; mais sur quelque matière qu’il ait pu les mettre, ils y satisfirent avec tant de connaissance, d’esprit, de jugement et de discernement, qu’il en fut dans l’admiration. «Quand ils seraient mes enfants, disait-il en lui-même, et qu’avec l’esprit qu’ils ont, je leur eusse donné l’éducation, ils n’en sauraient pas davantage, ni ne seraient plus habiles ni mieux instruits.» Il prit enfin un si grand plaisir dans leur entretien, qu’après avoir demeuré à table plus que de coutume, il passa dans son cabinet, après être sorti, où il s’entretint encore avec eux un très-longtemps. Le sultan enfin leur dit: «Jamais je n’eusse cru qu’il y eût à la campagne des jeunes seigneurs, mes sujets, si bien élevés, si spirituels et aussi capables: de ma vie je n’ai eu entretien qui m’ait fait plus de plaisir que le vôtre. Mais en voilà assez, il est temps que vous vous délassiez l’esprit par quelque divertissement de ma cour, et comme aucun n’est plus capable d’en dissiper les nuages que la musique, vous allez entendre un concert de voix et d’instruments qui ne sera pas désagréable.»

Comme le sultan eut achevé de parler, les musiciens, qui avaient eu l’ordre, entrèrent et répondirent fort bien à l’attente qu’on avait de leur habileté. Des farceurs excellents succédèrent au concert, et des danseurs et des danseuses terminèrent le divertissement.

Les deux princes, qui virent que la fin du jour approchait, se prosternèrent aux pieds du sultan et lui demandèrent la permission de se retirer, après l’avoir remercié de ses bontés et des honneurs dont il les avait comblés; et le sultan, en les congédiant, leur dit: «Je vous laisse aller, et souvenez-vous que je ne vous ai amenés à mon palais moi-même que pour vous en montrer le chemin, afin que vous y veniez de vous-mêmes: vous serez les bienvenus, et plus souvent vous y viendrez, plus vous me ferez de plaisir.»

Avant de s’éloigner de la présence du sultan, le prince Bahman lui dit: «Sire, oserions-nous prendre la liberté de supplier Votre Majesté de nous faire la grâce, à nous et à notre sœur, de passer par notre maison et de s’y reposer quelques moments, la première fois que le divertissement de la chasse l’amènera aux environs: elle n’est pas digne de votre présence, mais des monarques quelquefois ne dédaignent pas de se mettre à couvert sous une chaumière.» Le sultan reprit: «Une maison de seigneurs comme vous l’êtes ne peut être que belle et digne de vous; je la verrai avec un grand plaisir, et avec un plus grand de vous y avoir pour hôtes, vous et votre sœur, qui m’est déjà chère, sans l’avoir vue, par le seul récit de ses belles qualités; et je ne différerai pas de me donner cette satisfaction plus longtemps que jusqu’après-demain. Je me trouverai de grand matin au même lieu où je n’ai pas oublié que je vous ai rencontrés la première fois: trouvez-vous-y, vous me servirez de guides.»