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Les princes Bahman et Perviz retournèrent chez eux le même jour, et quand ils furent arrivés, après avoir raconté à la princesse Parizade l’accueil honorable que le sultan leur avait fait, ils lui annoncèrent qu’ils n’avaient pas oublié de l’inviter à leur faire l’honneur de voir leur maison en passant, et qu’il leur en avait marqué le jour, qui serait celui d’après le jour qui devait suivre.

«Si cela est ainsi, reprit la princesse, il faut donc dès à présent songer à préparer un repas digne de Sa Majesté, et pour cela il est bon que nous consultions l’oiseau qui parle: il nous enseignera peut-être quelque mets qui sera plus du goût de Sa Majesté que d’autres.» Comme les princes se furent rapportés à ce qu’elle jugerait à propos, elle consulta l’oiseau en son particulier après qu’ils se furent retirés. «Oiseau, dit-elle, le sultan nous fera l’honneur de venir voir notre maison, et nous devons le régaler: enseigne-nous comment nous pourrons nous en acquitter de manière qu’il en soit content.

«- Ma bonne maîtresse, reprit l’oiseau, vous avez d’excellents cuisiniers; qu’ils fassent de leur mieux, et, sur toute chose, qu’ils lui fassent un plat de concombres avec une farce de perles que vous ferez servir devant le sultan, préférablement à tout autre mets, dès le premier service.

«- Des concombres avec une farce de perles! se récria la princesse Parizade avec étonnement. Oiseau, tu n’y penses pas, c’est un ragoût inouï. Le sultan pourra bien l’admirer comme une grande magnificence, mais il sera à table pour manger, et non pour admirer des perles. De plus, quand j’y emploierais tout ce que je puis avoir de perles, elles ne suffiraient pas pour la farce.

«- Ma maîtresse, repartit l’oiseau, faites ce que je dis, et ne vous inquiétez pas de ce qui en arrivera; il n’en arrivera que du bien. Quant aux perles, allez demain de bon matin au pied du premier arbre de votre parc, à main droite, et faites-y fouir, vous en trouverez plus que vous n’en aurez besoin.»

Dès le même soir, la princesse Parizade fit avertir un jardinier de se tenir prêt, et le lendemain de grand matin elle le prit avec elle, le mena à l’arbre que l’oiseau lui avait enseigné, et lui commanda de creuser au pied. En creusant, quand le jardinier fut arrivé à une certaine profondeur, il sentit de la résistance, et bientôt il découvrit un coffret d’or d’environ un pied carré, qu’il montra à la princesse. «C’est pour cela que je t’ai amené, lui dit-elle; continuent prends garde de le gâter avec la bêche.»

Le jardinier enfin tira le coffret, et le mit entre les mains de la princesse. Comme le coffret n’était fermé qu’avec de petits crochets fort propres, la princesse l’ouvrit, et elle vit qu’il était plein de perles, toutes d’une grosseur médiocre, mais égales et propres à l’usage qui devait en être fait. Très-contente d’avoir trouvé ce petit trésor, après avoir refermé le coffret, elle le mit sous son bras et reprit le chemin de la maison, pendant que le jardinier remettait la terre du pied de l’arbre au même état qu’auparavant.

Les princes Bahman et Perviz, qui avaient vu, chacun de son appartement, la princesse leur sœur dans le jardin, plus matin qu’elle n’avait de coutume, dans le temps qu’ils s’habillaient, se joignirent dès qu’ils furent en état de sortir, et allèrent au-devant d’elle; ils la rencontrèrent au milieu du jardin, et comme ils avaient aperçu de loin qu’elle portait quelque chose sous le bras, et qu’en approchant ils virent que c’était un coffret d’or, ils en furent surpris, «Ma sœur, lui dit le prince Bahman en l’abordant, vous ne portiez rien quand nous vous avons vue suivie d’un jardinier, et nous vous voyons revenir chargée d’un coffret d’or: est-ce un trésor que le jardinier a trouvé et qu’il était venu vous annoncer?

«- Mes frères, reprit la princesse, c’est tout le contraire: c’est moi qui ai mené le jardinier où était le coffret, qui lui ai montré l’endroit, et qui l’ai fait déterrer. Vous serez plus étonnés de ma trouvaille quand vous verrez ce qu’il contient.»

La princesse ouvrit le coffret, et les princes, émerveillés quand ils virent qu’il était rempli de perles, peu considérables par leur grosseur, à les regarder chacune en particulier, mais d’un très-grand prix par rapport à leur perfection et leur quantité, lui demandèrent par quelle aventure elle avait eu connaissance de ce trésor. «Mes frères, répondit-elle, à moins qu’une affaire plus pressante ne vous appelle ailleurs, venez avec moi, je vous le dirai.» Le prince Perviz reprit: «Quelle affaire plus pressante pourrions-nous avoir que d’être informés de celle-ci, qui nous intéresse si fort? Nous n’en avions pas d’autre que de venir à votre rencontre.»

Alors la princesse Parizade, au milieu des deux princes, en reprenant son chemin vers la maison, leur fit le récit de la consultation qu’elle avait faite avec l’oiseau, comme ils en étaient convenus avec elle, de la demande, de la réponse, et de ce qu’elle lui avait opposé au sujet du mets de concombres farcis de perles, et du moyen qu’il lui avait donné d’en avoir, en lui enseignant et indiquant le lieu où elle venait de trouver le coffret. Les princes et la princesse firent plusieurs raisonnements pour pénétrer à quel dessein l’oiseau voulait qu’on préparât un mets de la sorte pour le sultan, jusqu’à faire trouver les moyens d’y réussir. Mais enfin, après avoir bien discouru pour et contre sur cette matière, ils conclurent qu’ils n’y comprenaient rien, et cependant qu’il fallait exécuter le conseil de point en point, et n’y pas manquer.

En rentrant dans la maison, la princesse fit appeler le chef de cuisine, qui vint la trouver dans son appartement. Après qu’elle lui eut ordonné le repas pour régaler le sultan de la manière qu’elle l’entendait: «Outre tout ce que je viens de vous dire, ajouta-t-elle, il faut que vous me fassiez un mets exprès pour la bouche du sultan, et ainsi, que personne que vous n’y mette la main. Ce mets est un plat de concombres farcis, dont vous ferez la farce des perles que voici.» Et en même temps elle ouvrit le coffret et lui montra les perles.

Le chef de cuisine, qui jamais n’avait entendu parler d’une farce pareille, recula deux pas en arrière, avec un visage qui marquait assez sa pensée. La princesse pénétra cette pensée: «Je vois bien, dit-elle, que tu me prends pour une folle, de t’ordonner un ragoût dont tu n’as jamais entendu parler, et dont on peut dire certainement que jamais il n’a été fait. Cela est vrai, je le sais comme toi; mais je ne suis pas folle, et c’est avec tout mon bon sens que je t’ordonne de le faire. Va, invente, fais de ton mieux, et emporte le coffret; tu me le rapporteras avec les perles qui resteront, s’il y en a plus qu’il n’en est besoin.» Le chef de cuisine n’eut rien à répliquer; il prit le coffret et l’emporta. Le même jour enfin la princesse Parizade donna ses ordres pour faire en sorte que tout fût net, propre et arrangé, tant dans la maison que dans le jardin, pour recevoir le sultan plus dignement.

Le lendemain, les deux princes étaient sur le lieu de la chasse lorsque le sultan de Perse y arriva. Le sultan commença la chasse, et il la continua jusqu’à ce que la vive ardeur du soleil, qui s’approchait du plus haut de l’horizon, l’obligeât de finir. Alors, pendant que le prince Bahman demeura auprès du sultan pour l’accompagner, le prince Perviz se mit à en tête de la marche pour montrer le chemin, et quand il fut à la vue de la maison, il donna un coup d’éperon pour aller avertir la princesse Parizade que le sultan arrivait; mais des gens de la princesse, qui s’étaient mis sur les avenues par son ordre, l’avaient déjà avertie, et le prince la trouva qui attendait, prête à le recevoir.