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Le discours de l’oiseau éclaira l’entendement du sultan en un instant. «Oiseau, s’écria-t-il, je n’ai pas de peine à ajouter foi à la vérité que tu me découvres et que tu m’annonces. L’inclination qui m’entraînait de leur côté et la tendresse que je sentais déjà pour eux ne me disaient que trop qu’ils étaient de mon sang. Venez donc, mes enfants, venez, ma fille, que je vous embrasse et que je vous donne les premières marques de mon amour et de ma tendresse de père.» Il se leva, et après avoir embrassé les deux princes et la princesse l’un après l’autre en mêlant ses larmes avec les leurs: «Ce n’est pas assez, mes enfants, dit-il, il faut aussi que vous vous embrassiez les uns les autres, non comme enfants de l’intendant de mes jardins, auquel j’aurai l’obligation éternelle de vous avoir conservé la vie, mais comme les miens, sortis du sang des rois de Perse, dont je suis persuadé que vous soutiendrez bien la gloire.»

Après que les deux princes et la princesse se furent embrassés mutuellement avec une satisfaction toute nouvelle, comme le sultan le souhaitait, le sultan se remit à table avec eux et se pressa de manger. Quand il eut achevé: «Mes enfants, dit-il, vous connaissez votre père en ma personne; demain je vous amènerai la sultane votre mère, préparez-vous à la recevoir.»

Le sultan monta à cheval et retourna à sa capitale en toute diligence. La première chose qu’il fit dès qu’il eut mis pied à terre, en entrant dans son palais, fut de commander à son grand vizir d’apporter toute la diligence possible à faire faire le procès aux deux sœurs de la sultane. Les deux sœurs furent enlevées de chez elles, interrogées séparément, appliquées à la question, confrontées, convaincues, et condamnées à être écartelées, et le tout fut exécuté en moins d’une heure de temps.

Cependant le sultan Khosrouschah, suivi de tous les seigneurs de sa cour qui se trouvèrent présents, alla à pied jusqu’à la porte de la grande mosquée, et après avoir lui-même tiré la sultane hors de la prison étroite où elle languissait et souffrait depuis tant d’années: «Madame, dit-il en l’embrassant les larmes aux yeux, dans l’état pitoyable où elle était, je viens vous demander pardon de l’injustice que je vous ai faite et vous en faire la réparation que je vous dois. Je l’ai déjà commencée par la punition de celles qui m’avaient séduit par une imposture abominable, et j’espère que vous la regarderez comme entière quand je vous aurai fait présent de deux princes accomplis et d’une princesse aimable et toute charmante, vos enfants et les miens. Venez, et reprenez le rang qui vous appartient avec tous les honneurs qui vous sont dus.»

Cette réparation se fit devant une multitude de peuple innombrable qui était accourue en foule de toutes parts dès la première nouvelle de ce qui se passait, laquelle fut répandue dans toute la ville en peu de moments.

Le lendemain de grand matin, le sultan et la sultane, laquelle avait changé l’habit d’humiliation et d’affliction, qu’elle portait le jour de devant, en un habit magnifique, tel qu’il lui convenait, suivis de toute leur cour, qui en avait eu l’ordre, se transportèrent à la maison des deux princes et de la princesse. Ils arrivèrent, et dès qu’ils eurent mis pied à terre, le sultan présenta à la sultane les princes Bahman et Perviz et la princesse Parizade, et lui dit: «Madame, voilà les deux princes vos fils, et voici la princesse votre fille; embrassez-les avec la même tendresse que je les ai déjà embrassés, ils sont dignes de moi et dignes de vous.» Les larmes furent répandues en abondance dans ces embrassements si touchants, et particulièrement de la part de la sultane, par la consolation et par la joie d’embrasser deux princes ses fils et une princesse sa fille, qui lui en avaient causé de si affligeantes, et si longtemps.

Les deux princes et la princesse avaient fait préparer un repas magnifique pour le sultan, pour la sultane et pour toute la cour: on se mit à table, et, après le repas, le sultan mena la sultane dans le jardin, où il lui fit observer l’arbre harmonieux et le bel effet de l’eau jaune. Pour ce qui est de l’oiseau, elle l’avait vu dans sa cage, et le sultan lui en avait fait l’éloge pendant le repas.

Quand il n’y eut plus rien qui obligeât le sultan à rester davantage, il remonta à cheval; le prince Bahman l’accompagna à la droite et le prince Perviz à la gauche; la sultane, avec la princesse à la gauche, marcha après le sultan, dans cet ordre, précédés et suivis des officiers de la cour, chacun selon leur rang, ils reprirent le chemin de la capitale. Comme ils approchaient, le peuple, qui était venu au-devant, bien loin hors des portes, se présenta en foule, et ils n’avaient pas moins les yeux attachés sur la sultane, en prenant part à sa joie, après une si longue souffrance, que sur les deux princes et sur la princesse, qu’ils accompagnaient de leurs acclamations. Leur attention était attirée aussi par l’oiseau dans sa cage, que la princesse Parizade portait devant elle, dont ils admirèrent le chant, qui attirait tous les autres oiseaux: ils suivaient en se posant sur les arbres dans la campagne, et sur les toits des maisons, dans les rues de la ville.

Les princes Bahman et Perviz, avec la princesse Parizade, furent enfin amenés au palais avec cette pompe; et, le soir, la pompe fut suivie de grandes illuminations et de grandes réjouissances, tant au palais que dans toute la ville, lesquelles furent continuées plusieurs jours.

Le sultan des Indes ne pouvait s’empêcher d’admirer la mémoire prodigieuse de la sultane son épouse, qui ne s’épuisait point, et qui lui fournissait toutes les nuits de nouveaux divertissements, par tant d’histoires différentes.

Mille et une nuits s’étaient écoulées dans ces innocents amusements; ils avaient même beaucoup aidé à diminuer les préventions fâcheuses du sultan contre la fidélité des femmes; son esprit était adouci; il était convaincu du mérite et de la grande sagesse de Scheherazade; il se souvenait du courage avec lequel elle s’était exposée volontairement à devenir son épouse, sans appréhender la mort à laquelle elle savait qu’elle était destinée le lendemain, comme les autres qui l’avaient précédée.

Ces considérations et les autres qualités qu’il connaissait en elle, le portèrent enfin à lui faire grâce. «Je vois bien, lui dit-il, aimable Scheherazade, que vous êtes inépuisable dans vos petits contes: il y a assez longtemps que vous me divertissez; vous avez apaisé ma colère, et je renonce volontiers en votre faveur à la loi cruelle que je m’étais imposée; je vous remets entièrement dans mes bonnes grâces, et je veux que vous soyez regardée comme la libératrice de toutes les filles qui devaient être immolées à mon juste ressentiment.»

La princesse se jeta à ses pieds, les embrassa tendrement en lui donnant toutes les marques de la reconnaissance la plus vive et la plus parfaite.