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À peine le calife eut achevé ces dernières paroles, qu’il entendit une voix de dessous le brocart qui couvrait Abou-Hassan, qui lui cria: «Commandeur des croyants, c’est moi qui suis mort le premier, donnez-moi les mille pièces d’or.» Et en même temps il vit Abou-Hassan qui se débarrassait de la pièce de brocart qui le couvrait, et qui se prosterna à ses pieds. Sa femme se développa de même, et alla pour se jeter aux pieds de Zobéide, en se couvrant de sa pièce de brocart par bienséance. Mais Zobéide fit un grand cri, qui augmenta la frayeur de tous ceux qui étaient là présents. La princesse, enfin revenue de sa peur, se trouva dans une joie inexprimable de voir sa chère esclave ressuscitée presque dans le moment qu’elle était inconsolable de l’avoir vue morte. «Ah! méchante, s’écria-t-elle, tu es cause que j’ai bien souffert pour l’amour de toi en plus d’une manière. Je te le pardonne cependant de bon cœur, puisqu’il est vrai que tu n’es pas morte.»

Le calife, de son côté, n’avait pas pris la chose si à cœur. Loin de s’effrayer en entendant la voix d’Abou-Hassan, il pensa au contraire étouffer de rire en les voyant tous deux se débarrasser de tout ce qui les entourait, et en entendant Abou-Hassan demander très-sérieusement les mille pièces d’or qu’il avait promises à celui qui lui dirait qui était mort le premier. «Quoi donc! Abou-Hassan, lui dit le calife en éclatant encore de rire, as-tu donc conspiré à me faire mourir à force de rire? et d’où t’est venue la pensée de nous surprendre ainsi, Zobéide et moi, par un endroit sur lequel nous n’étions nullement en garde contre toi?

«- Commandeur des croyants, répondit Abou-Hassan, je vais le déclarer sans dissimulation. Votre Majesté sait bien que j’ai toujours été fort porté à la bonne chère. La femme qu’elle m’a donnée n’a point ralenti en moi cette passion; au contraire, j’ai trouvé en elle des inclinations toutes favorables à l’augmenter. Avec de telles dispositions, Votre Majesté jugera facilement que quand nous aurions eu un trésor aussi grand que la mer, avec tous ceux de Votre Majesté, nous aurions bientôt trouvé le moyen d’en voir la fin. C’est aussi ce qui nous est arrivé. Depuis que nous sommes ensemble, nous n’avons rien épargné pour nous bien régaler sur les libéralités de Votre Majesté. Ce matin, après avoir compté avec notre traiteur, nous avons trouvé qu’en le satisfaisant et en payant d’ailleurs ce que nous pouvions devoir, il ne nous restait rien de tout l’argent que nous avions. Alors les réflexions sur le passé et les résolutions de mieux faire à l’avenir sont venues en foule occuper notre esprit et nos pensées. Nous avons fait mille projets que nous avons abandonnés ensuite. Enfin la honte de nous voir réduits en un si triste état et de n’oser le déclarer à Votre Majesté nous a fait imaginer ce moyen de suppléer à nos besoins en vous divertissant par cette petite tromperie, que nous prions Votre Majesté de nous pardonner.»

Le calife et Zobéide furent fort contents de la sincérité d’Abou-Hassan; ils ne parurent point fâchés de tout ce qui s’était passé; au contraire, Zobéide, qui avait toujours pris la chose très-sérieusement, ne put s’empêcher de rire à son tour en songeant à tout ce que Abou-Hassan avait imaginé pour réussir dans son dessein. Le calife, qui n’avait presque pas cessé de rire, tant cette imagination lui paraissait singulière: «Suivez-moi l’un et l’autre, dit-il à Abou-Hassan et à sa femme en se levant; je veux vous faire donner les mille pièces d’or que je vous ai promises, pour la joie que j’ai de ce que vous n’êtes pas morts.

«- Commandeur des croyants, reprit Zobéide, contentez-vous, je vous prie, de faire donner ces mille pièces d’or à Abou-Hassan: vous les devez à lui seul. Pour ce qui regarde sa femme, j’en fais mon affaire.» En même temps elle commanda à sa trésorière, qui l’accompagnait, de faire donner aussi mille pièces d’or à Nouzhat-Oulaoudat, pour lui marquer de son côté la joie qu’elle avait aussi de ce qu’elle était encore en vie.

Par ce moyen, Abou-Hassan et Nouzhat-Oulaoudat, sa chère femme, conservèrent longtemps les bonnes grâces du calife Haroun Alraschid et de Zobéide, son épouse, et acquirent de leurs libéralités de quoi pourvoir abondamment à tous leurs besoins pour le reste de leurs jours.

La sultane Scheherazade, en achevant l’histoire d’Abou-Hassan, avait promis au sultan Schariar de lui en raconter une autre le lendemain, qui ne le divertirait pas moins. Dinarzade, sa sœur, ne manqua pas de la faire souvenir avant le jour de tenir sa parole, et que le sultan lui avait témoigné qu’il était prêt à l’entendre. Aussitôt Scheherazade, sans se faire attendre, lui raconta l’histoire qui suit en ces termes:

HISTOIRE D’ALADDIN, OU LA LAMPE MERVEILLEUSE.

Sire, dans la capitale d’un royaume de la Chine, très-riche et d’une vaste étendue, dont le nom ne me vient pas présentement à la mémoire, il y avait un tailleur nommé Mustafa, sans autre distinction que celle que sa profession lui donnait. Mustafa le tailleur était fort pauvre, et son travail lui produisait à peine de quoi le faire subsister, lui, sa femme et un fils, que Dieu leur avait donné.

Le fils, qui se nommait Aladdin, avait été élevé d’une manière très-négligée et qui lui avait fait contracter des inclinations vicieuses. Il était méchant, opiniâtre, désobéissant à son père et à sa mère. Sitôt qu’il fut un peu plus grand, ses parents ne le purent retenir à la maison. Il sortait dès le matin et il passait les journées à jouer dans les rues et dans les places publiques avec de petits vagabonds qui étaient même au-dessous de son âge.

Dès qu’il fut en âge d’apprendre un métier, son père, qui n’était pas en état de lui en faire apprendre un autre que le sien, le prit en sa boutique et commença à lui montrer de quelle manière il devait manier l’aiguille. Mais, ni par douceur, ni par crainte d’aucun châtiment, il ne fut pas possible au père de fixer l’esprit volage de son fils. Il ne put le contraindre à se contenir et à demeurer assidu et attaché au travail, comme il le souhaitait. Sitôt que Mustafa avait le dos tourné, Aladdin s’échappait et il ne revenait plus de tout le jour. Le père le châtiait; mais Aladdin était incorrigible, et, à son grand regret, Mustafa fut obligé de l’abandonner à son libertinage. Cela lui fit beaucoup de peine, et le chagrin de ne pouvoir faire rentrer ce fils dans son devoir lui causa une maladie si opiniâtre qu’il en mourut au bout de quelques mois.

La mère d’Aladdin, qui vit que son fils ne prenait pas le chemin d’apprendre le métier de son père, ferma la boutique et fit de l’argent de tous les ustensiles de son métier pour l’aider à subsister, elle et son fils, avec le peu qu’elle pourrait gagner à filer du coton.

Aladdin, qui n’était plus retenu par la crainte d’un père, et qui se souciait si peu de sa mère qu’il avait même la hardiesse de la menacer à la moindre remontrance qu’elle lui faisait, s’abandonna alors à un plein libertinage. Il fréquentait de plus en plus les enfants de son âge, et ne cessait de jouer avec eux avec plus de passion qu’auparavant. Il continua ce train de vie jusqu’à l’âge de quinze ans, sans aucune ouverture d’esprit pour quoi que ce soit, et sans faire réflexion à ce qu’il pourrait devenir un jour. Il était dans cette situation, lorsqu’un jour qu’il jouait au milieu d’une place avec une troupe de vagabonds, selon sa coutume, un étranger qui passait par cette place s’arrêta à le regarder.

Cet étranger était un magicien insigne, que les auteurs qui ont écrit cette histoire nous font connaître sous le nom de magicien africain. C’est ainsi que nous l’appellerons, d’autant plus volontiers qu’il était véritablement d’Afrique, et qu’il n’était arrivé que depuis deux jours.