À cette demande, Aladdin baissa les yeux et fut déconcerté, Mais sa mère, en prenant la parole: «Aladdin, dit-elle, est un fainéant. Son père a fait tout son possible pendant qu’il vivait pour lui apprendre son métier, et il n’a pu en venir à bout; et depuis qu’il est mort, nonobstant tout ce que j’ai pu lui dire, et ce que je lui répète chaque jour, il ne fait autre métier que de faire le vagabond et passer tout son temps à jouer avec les enfants, comme vous l’avez vu, sans considérer qu’il n’est plus enfant; et si vous ne lui en faites la honte, et qu’il n’en profite pas, je désespère que jamais il puisse rien valoir. Il sait que son père n’a laissé aucun bien, et il voit lui-même qu’à filer du coton pendant tout le jour, comme je fais, j’ai bien de la peine à gagner de quoi nous avoir du pain. Pour moi, je suis résolue de lui fermer la porte un de ces jours, et de l’envoyer en chercher ailleurs.»
Après que la mère d’Aladdin eut achevé ces paroles, en fondant en larmes, le magicien africain dit à Aladdin: «Cela n’est pas bien, mon neveu; il faut songer à vous aider vous-même et à gagner votre vie. Il y a des métiers de plusieurs sortes: voyez s’il n’y en a pas quelqu’un pour lequel vous ayez inclination plutôt que pour un autre. Peut-être que celui de votre père vous déplaît et que vous vous accommoderiez mieux d’un autre; ne me dissimulez point ici vos sentiments, je ne cherche qu’à vous aider.» Comme il vit qu’Aladdin ne répondait rien: «Si vous avez de la répugnance pour apprendre un métier, continua-t-il, et que vous vouliez être honnête homme, je vous lèverai une boutique garnie de riches étoffes et de toiles fines; vous vous mettrez en état de les vendre, et de l’argent que vous en ferez, vous achèterez d’autres marchandises, et de cette manière vous vivrez honorablement. Consultez-vous vous-même, et dites-moi franchement ce que vous en pensez. Vous me trouverez toujours prêt à tenir ma promesse.»
Cette offre flatta fort Aladdin, à qui le travail manuel déplaisait d’autant plus qu’il avait assez de connaissance pour s’être aperçu que les boutiques de ces sortes de marchandises étaient propres et fréquentées, et que les marchands étaient bien habillés et fort considérés. Il marqua au magicien africain, qu’il regardait comme son oncle, que son penchant était plutôt de ce côté-là que d’un autre, et qu’il lui serait obligé toute sa vie du bien qu’il voulait lui faire. «Puisque cette profession vous agrée, reprit le magicien africain, je vous mènerai demain avec moi et je vous ferai habiller proprement et richement, conformément à l’état d’un des plus gros marchands de cette ville, et après-demain nous songerons à vous lever une boutique de la manière que je l’entends.»
La mère d’Aladdin, qui n’avait pas cru jusqu’alors que le magicien africain fût frère de son mari, n’en douta nullement après tout le bien qu’il promettait de faire à son fils. Elle le remercia de ses bonnes intentions; et après avoir exhorté Aladdin à se rendre digne de tous les biens que son oncle lui faisait espérer, elle servit le souper. La conversation roula sur le même sujet pendant tout le repas, et jusqu’à ce que le magicien, qui vit que la nuit était avancée, prît congé de la mère et du fils, et se retirât.
Le lendemain matin, le magicien africain ne manqua pas de revenir chez la veuve de Mustafa le tailleur, comme il l’avait promis. Il prit Aladdin avec lui, et il le mena chez un gros marchand qui ne vendait que des habits tout faits, de toutes sortes d’étoffes, pour les différents âges et conditions. Il s’en fit montrer de convenables à la grandeur d’Aladdin, et après avoir mis à part tous ceux qui lui plaisaient davantage et rejeté les autres qui n’étaient pas de la beauté qu’il entendait, il dit à Aladdin: «Mon neveu, choisissez dans tous ces habits celui que vous aimez le mieux.» Aladdin, charmé des libéralités de son nouvel oncle, en choisit un, et le magicien l’acheta avec tout ce qui devait l’accompagner, et paya tout le monde sans marchander.
Lorsque Aladdin se vit ainsi habillé magnifiquement, depuis les pieds jusqu’à la tête, il fit à son oncle tous les remerciements imaginables, et le magicien lui promit encore de ne le point abandonner et de l’avoir toujours avec lui. En effet, il le mena dans les lieux les plus fréquentés de la ville, particulièrement dans ceux où étaient les boutiques des riches marchands; et quand il fut dans la rue où étaient les boutiques des plus riches étoffes et des toiles fines, il dit à Aladdin: «Comme vous serez bientôt marchand comme ceux que vous voyez, il est bon que vous les fréquentiez et qu’ils vous connaissent.» Il lui fit voir aussi les mosquées les plus belles et les plus grandes, et il le conduisit dans le khan où logeaient les marchands étrangers et dans tous les endroits du palais du sultan où il était libre d’entrer. Enfin, après avoir parcouru ensemble tous les beaux endroits de la ville, ils arrivèrent dans le khan où le magicien avait pris un appartement. Il s’y trouva quelques marchands avec lesquels il avait commencé de faire connaissance depuis son arrivée, et qu’il avait assemblés exprès pour les bien régaler et leur donner en même temps la connaissance de son prétendu neveu.
Ce régal ne finit que sur le soir. Aladdin voulut prendre congé de son oncle pour s’en retourner, mais le magicien africain ne voulut pas le laisser aller seul et le reconduisit lui-même chez sa mère. Dès qu’elle eut aperçu son fils si bien habillé, elle fut transportée de joie, et elle ne cessait de donner mille bénédictions au magicien qui avait fait une si grande dépense pour son enfant. «Généreux parent, lui dit-elle, je ne sais comment vous remercier de votre libéralité; je sais que mon fils ne mérite pas le bien que vous lui faites, et qu’il en serait indigne s’il n’en était reconnaissant et s’il négligeait de répondre à la bonne intention que vous avez de lui donner un établissement si distingué. En mon particulier, ajouta-t-elle, je vous en remercie encore de toute mon âme, et je vous souhaite une vie assez longue pour être témoin de la reconnaissance de mon fils, qui ne peut mieux vous la témoigner qu’en se gouvernant selon vos bons conseils.
«- Aladdin, reprit le magicien africain, est un bon enfant, il m’écoute assez, et je crois que nous en ferons quelque chose de bon. Je suis fâché d’une chose: de ne pouvoir exécuter demain ce que je lui ai promis. C’est jour de vendredi, les boutiques seront fermées, et il n’y a pas lieu de songer à en louer une et à la garnir pendant que les marchands ne penseront qu’à se divertir; ainsi, nous remettrons l’affaire à samedi. Mais je viendrai demain le prendre et je le mènerai promener dans les jardins où le beau monde a coutume de se trouver. Il n’a peut-être encore rien vu des divertissements qu’on y prend; il n’a été jusqu’à présent qu’avec des enfants, il faut qu’il voie des hommes.» Le magicien africain prit enfin congé de la mère et du fils et se retira. Aladdin, cependant, qui était déjà dans une grande joie de se voir si bien habillé, se fit encore un plaisir par avance de la promenade des environs de la ville. En effet, jamais il n’était sorti hors des portes et jamais il n’avait vu les environs, qui étaient d’une grande beauté et très-agréables.
Aladdin se leva et s’habilla le lendemain de grand matin, pour être prêt à partir quand son oncle viendrait le prendre. Après avoir attendu longtemps, à ce qu’il lui semblait, l’impatience lui fit ouvrir la porte et se tenir sur le pas pour voir s’il ne le verrait point. Dès qu’il l’aperçut, il en avertit sa mère, et, en prenant congé d’elle, il ferma la porte et courut à lui pour le joindre.
Le magicien africain fit beaucoup de caresses à Aladdin quand il le vit. «Allons, mon cher enfant, lui dit-il d’un air riant, je veux vous faire voir aujourd’hui de belles choses.» Il le mena par une grande porte qui conduisait à de grandes et belles maisons, ou plutôt à des palais magnifiques qui avaient chacun de très-beaux jardins dont les entrées étaient libres. À chaque palais qu’il rencontrait, il demandait à Aladdin s’il le trouvait beau, et Aladdin, en le prévenant quand un autre se présentait: «Mon oncle, disait-il, en voici un plus beau que ceux que nous venons de voir.» Cependant ils avançaient toujours plus avant dans la campagne, et le rusé magicien, qui avait envie d’aller plus loin pour exécuter le dessein qu’il avait dans la tête, prit occasion d’entrer dans un de ces jardins. Il s’assit près d’un grand bassin, qui recevait une très-belle eau par un mufle de lion de bronze, et feignit qu’il était las, afin de faire reposer Aladdin: «Mon neveu, lui dit-il, vous devez être aussi fatigué que moi; reposons-nous ici pour reprendre des forces; nous aurons plus de courage à poursuivre notre promenade.»