Quand ils furent assis, le magicien africain tira d’un linge attaché à sa ceinture des gâteaux et plusieurs sortes de fruits dont il avait fait provision, et il l’étendit sur le bord du bassin. Il partagea un gâteau entre lui et Aladdin, et, à l’égard des fruits, il lui laissa la liberté de choisir ceux qui seraient le plus à son goût. Pendant ce petit repas, il entretint son prétendu neveu de plusieurs enseignements qui tendaient à l’exhorter de se détacher de la fréquentation des enfants, et de s’approcher plutôt des hommes sages et prudents, de les écouter et de profiter de leurs entretiens: «Bientôt, lui disait-il, vous serez homme comme eux, et vous ne pouvez vous accoutumer de trop bonne heure à dire de bonnes choses à leur exemple.» Quand ils eurent achevé ce petit repas, ils se levèrent et ils poursuivirent leur chemin à travers des jardins qui n’étaient séparés les uns des autres que par de petits fossés qui en marquaient les limites, mais qui n’en empêchaient pas la communication: la bonne foi faisait que les citoyens de cette capitale n’apportaient pas plus de précaution pour s’empêcher les uns les autres de se nuire. Insensiblement, le magicien africain mena Aladdin assez loin au-delà des jardins, et lui fit traverser des campagnes qui le conduisirent jusques assez près des montagnes.
Aladdin, qui de sa vie n’avait fait tant de chemin, se sentit fort fatigué d’une si longue marche: «Mon oncle, dit-il au magicien africain, où allons-nous? Nous avons laissé les jardins bien loin derrière nous, et je ne vois plus que des montagnes. Si nous avançons plus loin, je ne sais si j’aurai assez de force pour retourner jusqu’à la ville. – Prenez courage, mon neveu, lui dit le faux oncle, je veux vous faire voir un autre jardin qui surpasse tous ceux que vous venez de voir; il n’est pas loin d’ici, il n’y a qu’un pas, et quand nous y serons arrivés, vous me direz vous-même si vous ne seriez pas fâché de ne l’avoir pas vu après vous en être approché si près.» Aladdin se laissa persuader, et le magicien le mena encore fort loin en l’entretenant de différentes histoires amusantes pour lui rendre le chemin moins ennuyeux et la fatigue plus supportable.
Ils arrivèrent enfin entre deux montagnes, d’une hauteur médiocre et à peu près égales, séparées par un vallon de très-peu de largeur. C’était là cet endroit remarquable où le magicien africain avait voulu amener Aladdin pour l’exécution d’un grand dessein qui l’avait fait venir de l’extrémité de l’Afrique jusqu’à la Chine. «Nous n’allons pas plus loin, dit-il à Aladdin; je veux vous faire voir ici des choses extraordinaires et inconnues à tous les mortels, et quand vous les aurez vues, vous me remercierez d’avoir été témoin de tant de merveilles que personne au monde n’aura vues que vous. Pendant que je vais battre le fusil, amassez, de toutes les broussailles que vous voyez, celles qui seront les plus sèches, afin d’allumer du feu.»
Il y avait une si grande quantité de ces broussailles, qu’Aladdin en eut bientôt fait un amas plus que suffisant dans le temps que le magicien allumait l’allumette. Il y mit le feu, et dans le moment que les broussailles s’enflammèrent, le magicien africain y jeta d’un parfum qu’il avait tout prêt. Il s’éleva une fumée fort épaisse qu’il détourna de côté et d’autre en prononçant des paroles magiques auxquelles Aladdin ne comprit rien.
Dans le même moment, la terre trembla un peu et s’ouvrit en cet endroit, devant le magicien et Aladdin, et fit voir à découvert une pierre d’environ un pied et demi en carré et d’environ un pied de profondeur, posée horizontalement, avec un anneau de bronze scellé dans le milieu pour s’en servir à la lever. Aladdin, effrayé de tout ce qui se passait à ses yeux, eut peur, et il voulut prendre la fuite. Mais il était nécessaire à ce mystère, et le magicien le retint et le gronda fort en lui donnant un soufflet si fortement appliqué qu’il le jeta par terre, et que peu s’en fallut qu’il ne lui enfonçât les dents de devant dans la bouche, comme il parut par le sang qui en sortit. Le pauvre Aladdin, tout tremblant et les larmes aux yeux: «Mon oncle, s’écria-t-il en pleurant, qu’ai-je donc fait pour avoir mérité que vous me frappiez si rudement? – J’ai mes raisons pour le faire, lui répondit le magicien. Je suis votre oncle, qui vous tiens présentement lieu de père, et vous ne devez pas me répliquer. Mais, mon enfant, ajouta-t-il en se radoucissant, ne craignez rien, je ne demande autre chose de vous que vous m’obéissiez exactement, si vous voulez bien profiter et vous rendre digne des grands avantages que je veux vous faire.» Ces belles promesses du magicien calmèrent un peu la crainte et le ressentiment d’Aladdin, et lorsque le magicien le vit entièrement rassuré: «Vous avez vu, continua-t-il, ce que j’ai fait par la vertu de mon parfum et des paroles que j’ai prononcées; apprenez donc présentement que sous cette pierre que vous voyez, il y a un trésor caché qui vous est destiné, et qui doit vous rendre un jour plus riche que tous les plus grands rois du monde. Cela est si vrai qu’il n’y a personne au monde que vous à qui il soit permis de toucher cette pierre et de la lever pour y entrer. Il m’est même défendu d’y toucher et de mettre le pied dans le trésor quand il sera ouvert. Pour cela, il faut que vous exécutiez de point en point ce que je vous dirai, sans y manquer: la chose est de grande conséquence, et pour vous et pour moi.»
Aladdin, toujours dans l’étonnement de ce qu’il voyait et de tout ce qu’il venait d’entendre dire au magicien de ce trésor qui devait le rendre heureux à jamais, oublia tout ce qui s’était passé. «Hé bien! mon oncle, dit-il au magicien en se levant, de quoi s’agit-il? Commandez, je suis tout prêt à obéir. – Je suis ravi, mon enfant, lui dit le magicien africain en l’embrassant, que vous ayez pris ce parti; venez, approchez-vous, prenez cet anneau et levez la pierre. – Mais, mon oncle, reprit Aladdin, je ne suis pas assez fort pour la lever; il faut donc que vous m’aidiez. – Non, repartit le magicien africain, vous n’avez pas besoin de mon aide, et nous ne ferions rien, vous et moi, si je vous aidais: il faut que vous la leviez vous seul. Prononcez seulement le nom de votre père et de votre grand-père en tenant l’anneau, et levez, vous verrez qu’il viendra à vous sans peine.» Aladdin fit comme le magicien lui avait dit, il leva la pierre avec facilité, et il la posa à côté.
Quand la pierre fut ôtée, un caveau de trois à quatre pieds de profondeur se fit voir avec une petite porte et des degrés pour descendre plus bas. «Mon fils, dit alors le magicien africain à Aladdin, observez exactement tout ce que je vais vous dire. Descendez dans ce caveau; quand vous serez au bas des degrés que vous voyez, vous trouverez une porte ouverte qui vous conduira dans un grand lieu voûté et partagé en trois grandes salles l’une après l’autre. Dans chacune, vous verrez à droite et à gauche quatre vases de bronze, grands comme des cuves, pleins d’or et d’argent; mais gardez-vous bien d’y toucher. Avant d’entrer dans la première salle, levez votre robe et serrez-la bien autour de vous; quand vous y serez entré, passez à la seconde sans vous arrêter, et de là à la troisième, aussi sans vous arrêter. Sur toutes choses, gardez-vous bien d’approcher des murs et d’y toucher, même avec votre robe: car si vous y touchiez, vous mourriez sur-le-champ. C’est pour cela que je vous ai dit de la tenir serrée autour de vous. Au bout de la troisième salle, il y a une porte qui vous donnera entrée dans un jardin planté de beaux arbres, tous chargés de fruits. Marchez tout droit et traversez ce jardin par un chemin qui vous mènera à un escalier de cinquante marches pour monter sur une terrasse. Quand vous serez sur la terrasse, vous verrez devant vous une niche, et dans la niche une lampe allumée. Prenez la lampe et éteignez-la, et quand vous aurez jeté le lumignon et versé la liqueur, mettez-la dans votre sein et apportez-la-moi. Ne craignez pas de gâter votre habit, la liqueur n’est pas de l’huile, et la lampe sera sèche dès qu’il n’y en aura plus. Si les fruits du jardin vous font envie, vous pouvez en cueillir autant que vous voudrez, cela ne vous est pas défendu.»