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Quand le magicien africain vit ses grandes et belles espérances échouées à n’y revenir jamais, il n’eut pas d’autre parti à prendre que de retourner en Afrique. C’est ce qu’il fit dès le même jour. Il prit sa route par des détours pour ne pas rentrer dans la ville d’où il était sorti avec Aladdin. Il avait à craindre en effet d’être observé par plusieurs personnes qui pouvaient l’avoir vu se promener avec cet enfant et revenir sans lui.

Selon toutes les apparences, on ne devait plus entendre parler d’Aladdin. Mais celui-là même qui avait cru le perdre pour jamais n’avait pas fait attention qu’il lui avait mis au doigt un anneau qui pouvait servir à le sauver. En effet ce fut cet anneau qui fut cause du salut d’Aladdin, qui n’en savait nullement la vertu; et il est étonnant que cette perte, jointe à celle de la lampe, n’ait pas jeté ce magicien dans le dernier désespoir. Mais les magiciens sont si accoutumés aux disgrâces et aux événements contraires à leurs souhaits, qu’ils ne cessent, tant qu’ils vivent, de se repaître de fumée, de chimères et de visions.

Aladdin, qui ne s’attendait pas à la méchanceté de son faux oncle, après les caresses et le bien qu’il avait faits, fut dans un étonnement qu’il est plus aisé d’imaginer que de représenter par des paroles. Quand il se vit enterré tout vif, il appela mille fois son oncle en criant qu’il était prêt à lui donner la lampe; mais ses cris étaient inutiles, et il n’y avait plus moyen d’être entendu. Ainsi il demeura dans les ténèbres et dans l’obscurité. Enfin, après avoir donné quelque relâche à ses larmes, il descendit jusqu’au bas de l’escalier du caveau pour aller chercher la lumière dans le jardin où il avait déjà passé. Mais le mur, qui s’était ouvert par enchantement, s’était refermé et rejoint par un autre enchantement. Il tâtonne devant lui, à droite et à gauche par plusieurs fois, et il ne trouve plus de porte. Il redouble ses cris et ses pleurs, et il s’assied sur les degrés du caveau, sans espoir de revoir jamais la lumière, et avec la triste certitude, au contraire, de passer des ténèbres où il était dans celles d’une mort prochaine.

Aladdin demeura deux jours en cet état, sans manger et sans boire. Le troisième jour enfin, en regardant la mort comme inévitable, il éleva les mains en les joignant, et, avec une résignation entière à la volonté de Dieu, il s’écria: «Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu, le haut, le grand.» Dans cette action de mains jointes, il frotta, sans y penser, l’anneau que le magicien africain lui avait mis au doigt et dont il ne connaissait pas encore la vertu. Aussitôt un génie d’une figure énorme et d’un regard épouvantable s’éleva devant lui comme de dessous terre, jusqu’à ce qu’il atteignit de la tête à la voûte, et dit à Aladdin ces paroles: «Que veux-tu? me voici prêt à t’obéir comme ton esclave et l’esclave de tous ceux qui ont l’anneau au doigt, moi et les autres esclaves de l’anneau.»

En tout autre temps et en toute autre occasion, Aladdin, qui n’était pas accoutumé à de pareilles visions, eût pu être saisi de frayeur et perdre la parole à la vue d’une figure si extraordinaire. Mais, occupé uniquement du danger présent où il était, il répondit sans hésiter; «Qui que tu sois, fais-moi sortir de ce lieu si tu en as le pouvoir.» À peine eut-il prononcé ces paroles que la terre s’ouvrit, et qu’il se trouva hors du caveau et à l’endroit justement où le magicien l’avait amené.

On ne trouvera pas étrange qu’Aladdin, qui était demeuré si longtemps dans les ténèbres les plus épaisses, ait eu d’abord de la peine à soutenir le grand jour. Il y accoutuma ses yeux peu à peu, et en regardant autour de lui, il fut fort surpris de ne pas voir d’ouverture sur la terre; il ne put comprendre de quelle manière il se trouvait si subitement hors de ses entrailles. Il n’y eut que la place où les broussailles avaient été allumées qui lui fit reconnaître à peu près où était le caveau. Ensuite, en se tournant du côté de la ville, il l’aperçut au milieu des jardins qui l’environnaient, et il reconnut le chemin par où le magicien africain l’avait amené. Il le reprit en rendant grâces à Dieu de se revoir une autre fois au monde après avoir désespéré d’y revenir jamais. Il arriva jusqu’à la ville, et se traîna chez lui avec bien de la peine. En entrant chez sa mère, la joie de la revoir, jointe à la faiblesse dans laquelle il était de n’avoir pas mangé depuis près de trois jours, lui causa un évanouissement qui dura quelque temps. Sa mère, qui l’avait déjà pleuré comme perdu ou comme mort, en le voyant en cet état, n’oublia aucun de ses soins pour le faire revenir. Il revint enfin de son évanouissement, et les premières paroles qu’il prononça furent celles-ci: «Ma mère, avant toute chose, je vous prie de me donner à manger; il y a trois jours que je n’ai pris quoi que ce soit.» Sa mère lui apporta ce qu’elle avait, et en le mettant devant lui: «Mon fils, lui dit-elle, ne vous pressez pas, cela est dangereux; mangez peu à peu et à votre aise, et ménagez-vous, dans le grand besoin que vous en avez. Je ne veux pas même que vous me parliez. Vous aurez assez de temps pour me raconter ce qui vous est arrivé quand vous serez bien rétabli. Je suis toute consolée de vous revoir après l’affliction où je me suis trouvée depuis vendredi, et toutes les peines que je me suis données pour apprendre ce que vous étiez devenu, dès que j’eus vu qu’il était nuit et que vous n’étiez pas revenu à la maison.»

Aladdin suivit le conseil de sa mère, il mangea tranquillement et peu à peu, et il but à proportion. Quand il eut achevé: «Ma mère, dit-il, j’aurais de grandes plaintes à vous faire sur ce que vous m’avez abandonné avec tant de facilité à la discrétion d’un homme qui avait dessein de me perdre, et qui tient, à l’heure que je vous parle, ma mort si certaine, qu’il ne doute pas ou que je ne sois plus en vie, ou que je ne doive la perdre au premier jour. Mais vous avez cru qu’il était mon oncle, et je l’ai cru comme vous. Eh! pouvions-nous avoir d’autre pensée d’un homme qui m’accablait de caresses et de biens, et qui me faisait tant d’autres promesses avantageuses? Sachez, ma mère, que ce n’est qu’un traître, un méchant, un fourbe. Il ne m’a fait tant de bien et tant de promesses qu’afin d’arriver au but qu’il s’était proposé de me perdre comme je l’ai dit, sans que ni vous ni moi nous puissions en deviner la cause. De mon côté, je puis assurer que je ne lui ai donné aucun sujet qui méritât le moindre mauvais traitement. Vous le comprendrez vous-même par le récit fidèle que vous allez entendre de tout ce qui s’est passé depuis que je me suis séparé de vous jusqu’à l’exécution de son pernicieux dessein.

Aladdin commença à raconter à sa mère tout ce qui lui était arrivé avec le magicien depuis le vendredi qu’il était venu le prendre pour le mener avec lui voir les palais et les jardins qui étaient hors de la ville; ce qui lui arriva dans le chemin jusqu’à l’endroit des deux montagnes où se devait opérer le grand prodige du magicien; comment, par un parfum jeté dans du feu et quelques paroles magiques, la terre s’était ouverte en un instant et avait fait voir l’entrée d’un caveau qui conduisait à un trésor inestimable. Il n’oublia pas le soufflet qu’il avait reçu du magicien, et de quelle manière, après s’être un peu radouci, il l’avait engagé, par de grandes promesses et en lui mettant son anneau au doigt, à descendre dans le caveau. Il n’omit aucune circonstance de tout ce qu’il avait vu en passant et en repassant dans les trois salles, dans le jardin et sur la terrasse, où il avait pris la lampe merveilleuse, qu’il montra à sa mère en la tirant de son sein, aussi bien que les fruits transparents et de différentes couleurs qu’il avait cueillis dans le jardin en s’en retournant, auxquels il joignit deux bourses pleines qu’il donna à sa mère, et dont elle fit peu de cas. Ces fruits étaient cependant des pierres précieuses dont l’éclat brillant comme le soleil, qu’ils rendaient à la faveur d’une lampe qui éclairait la chambre, devait faire juger de leur grand prix. Mais la mère d’Aladdin n’avait pas sur cela plus de connaissance que son fils; elle avait été élevée dans une condition très-médiocre, et son mari n’avait pas eu assez de biens pour lui donner de ces sortes de pierreries; d’ailleurs elle n’en avait jamais vu à aucune de ses parentes ni de ses voisines: ainsi il ne faut pas s’étonner si elle ne les regarda que comme des choses de peu de valeur, et bonnes tout au plus à récréer la vue par la variété de leurs couleurs, ce qui fit qu’Aladdin les mit derrière un des coussins du sofa sur lequel il était assis. Il acheva le récit de son aventure en lui disant que, comme il fut revenu et qu’il se fut présenté à l’entrée du caveau prêt à en sortir, sur le refus qu’il avait fait au magicien de lui donner la lampe qu’il voulait avoir, l’entrée du caveau s’était refermée en un instant par la force du parfum que le magicien avait jeté sur le feu, qu’il n’avait pas laissé éteindre, et des paroles qu’il avait prononcées. Mais il n’en put dire davantage sans verser des larmes en lui représentant l’état malheureux où il s’était trouvé lorsqu’il s’était vu enterré tout vivant dans le fatal caveau, jusqu’au moment qu’il en était sorti, et que, pour ainsi dire, il était revenu au monde par l’attouchement de son anneau, dont il ne connaissait pas encore la vertu. Quand il eut fini ce récit: «Il n’est pas nécessaire de vous en dire davantage, dit-il à sa mère, le reste vous est connu. Voilà enfin quelle a été mon aventure et quel est le danger que j’ai couru depuis que vous ne m’avez vu.»