La mère d’Aladdin eut la patience d’entendre ce récit merveilleux et surprenant, et en même temps si affligeant pour une mère qui aimait son fils tendrement, malgré ses défauts, sans l’interrompre. Dans les endroits néanmoins les plus touchants, et qui faisaient connaître davantage la perfidie du magicien africain, elle ne put s’empêcher de faire paraître combien elle le détestait par les marques de son indignation. Mais dès qu’Aladdin eut achevé, elle se déchaîna en mille injures contre cet imposteur; elle l’appela traître, perfide, barbare, assassin, trompeur, magicien, ennemi et destructeur du genre humain. «Oui, mon fils, ajouta-t-elle, c’est un magicien, et les magiciens sont des pestes publiques: ils ont commerce avec les démons par leurs enchantements et par leurs sorcelleries. Béni soit Dieu, qui n’a pas voulu que sa méchanceté insigne eût son effet entier contre vous! Vous devez bien le remercier de la grâce qu’il vous a faite. La mort vous était inévitable si vous ne vous fussiez souvenu de lui et que vous n’eussiez imploré son secours.» Elle dit encore beaucoup de choses en détestant toujours la trahison que le magicien avait faite à son fils, mais en parlant elle s’aperçut qu’Aladdin, qui n’avait pas dormi depuis trois jours, avait besoin de repos. Elle le fit coucher, et peu de temps après elle se coucha aussi.
Aladdin, qui n’avait pris aucun repos dans le lieu souterrain où il avait été enseveli à dessein qu’il y perdît la vie, dormit toute la nuit d’un profond sommeil et ne se réveilla le lendemain que fort tard. Il se leva, et la première chose qu’il dit à sa mère, ce fut qu’il avait besoin de manger, et qu’elle ne pouvait lui faire un plus grand plaisir que de lui donner à déjeuner. «Hélas! mon fils, lui répondit sa mère, je n’ai pas seulement un morceau de pain à vous donner; vous mangeâtes hier au soir le peu de provisions qu’il y avait dans la maison. Mais donnez-vous un peu de patience, je ne serai pas longtemps à vous en apporter. J’ai un peu de fil de coton de mon travail, je vais le vendre, afin de vous acheter du pain et quelque chose pour notre dîner. – Ma mère, reprit Aladdin, réservez votre fil de coton pour une autre fois, et donnez moi la lampe que j’apportai hier; j’irai la vendre, et l’argent que j’en aurai servira à nous avoir de quoi déjeuner et dîner, et peut-être de quoi souper.»
La mère d’Aladdin prit la lampe où elle l’avait mise. «La voilà, dit-elle à son fils; mais elle est bien sale; pour peu qu’elle soit nettoyée, je crois qu’elle en vaudra quelque chose davantage.» Elle prit de l’eau et un peu de sable fin pour la nettoyer. Mais à peine eut-elle commencé à frotter cette lampe, qu’en un instant, en présence de son fils, un génie hideux, et d’une grandeur gigantesque, s’éleva et parut devant elle, et lui dit d’une voix tonnante: «Que veux-tu? me voici prêt à t’obéir comme ton esclave et de tous ceux qui ont la lampe à la main, moi avec les autres esclaves de la lampe.»
La mère d’Aladdin n’était pas en état de répondre. Sa vue n’avait pu soutenir la figure hideuse et épouvantable du génie, et sa frayeur avait été si grande dès les premières paroles qu’il avait prononcées, qu’elle était tombée évanouie.
Aladdin, qui avait déjà eu une apparition à peu près semblable dans le caveau, sans perdre de temps ni le jugement, se saisit promptement de la lampe, et en suppléant au défaut de sa mère, il répondit pour elle d’un ton ferme: «J’ai faim, apporte-moi de quoi manger.» Le génie disparut, et un instant après il revint chargé d’un grand bassin d’argent, qu’il portait sur sa tête, avec douze plats couverts, de même métal, pleins d’excellents mets arrangés dessus, avec six grands pains blancs comme neige sur les plats, deux bouteilles de vin exquis et deux tasses d’argent à la main. Il posa le tout sur le sofa, et aussitôt il disparut.
Cela se fit en si peu de temps, que la mère d’Aladdin n’était pas encore revenue de son évanouissement quand le génie disparut pour la seconde fois. Aladdin, qui avait déjà commencé à lui jeter de l’eau sur le visage sans effet, se mit en devoir de recommencer pour la faire revenir; mais soit que les esprits qui s’étaient dissipés se fussent enfin réunis, ou que l’odeur des mets que le génie venait d’apporter y eût contribué pour quelque chose, elle revint dans le moment, «Ma mère, lui dit Aladdin, cela n’est rien, levez-vous et venez manger: voici de quoi vous remettre le cœur et en même temps de quoi satisfaire au grand besoin que j’ai de manger. Ne laissons pas refroidir de si bons mets, et mangeons.»
La mère d’Aladdin fut extrêmement surprise quand elle vit le grand bassin, les douze plats, les six pains, les deux bouteilles et les deux tasses, et qu’elle sentit l’odeur délicieuse qui s’exhalait de tous ces plats. «Mon fils, demanda-t-elle à Aladdin, d’où nous vient cette abondance, et à qui sommes-nous redevables d’une si grande libéralité? Le sultan aurait-il eu connaissance de notre pauvreté et aurait-il eu compassion de nous? – Ma mère, reprit Aladdin, mettons-nous à table et mangeons, vous en avez besoin aussi bien que moi; je vous le dirai quand nous aurons déjeuné.» Ils se mirent à table, et ils mangèrent avec d’autant plus d’appétit que la mère et le fils ne s’étaient jamais trouvés à une table si bien fournie.
Pendant le repas, la mère d’Aladdin ne pouvait se lasser de regarder et d’admirer le bassin et les plats, quoiqu’elle ne sût pas trop distinctement s’ils étaient d’argent ou d’une autre matière, tant elle était peu accoutumée à en voir de pareils; et, à proprement parler, sans avoir égard à leur valeur, qui lui était inconnue, il n’y avait que la nouveauté qui la tenait en admiration, et son fils Aladdin n’en avait pas plus de connaissance qu’elle.