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Ce jour-là enfin, après la levée du conseil, quand le sultan fut rentré dans son appartement, il dit à son grand vizir: «Il y a déjà quelque temps que je remarque une certaine femme qui vient réglément chaque jour que je tiens mon conseil, et qui porte quelque chose d’enveloppé dans un linge; elle se tient debout depuis le commencement de l’audience jusqu’à la fin, et affecte de se mettre toujours devant moi. Savez-vous ce qu’elle demande?»

Le grand vizir, qui n’en savait pas plus que le sultan, ne voulut pas néanmoins demeurer court. «Sire, répondit-il, Votre Majesté n’ignore pas que les femmes forment souvent des plaintes sur des sujets de rien. Celle-ci apparemment vient porter sa plainte devant Votre Majesté sur ce qu’on lui a vendu de la méchante farine ou sur quelque autre tort d’aussi peu de conséquence.» Le sultan ne se satisfit pas de cette réponse. «Au premier jour de conseil, reprit-il, si cette femme revient, ne manquez pas de la faire appeler, afin que je l’entende.» Le grand vizir ne lui répondit qu’en baisant la main et en la portant au-dessus de sa tête pour marquer qu’il était prêt à la perdre s’il y manquait.

La mère d’Aladdin s’était déjà fait une habitude si grande de paraître au conseil devant le sultan, qu’elle comptait sa peine pour rien, pourvu qu’elle fît connaître à son fils qu’elle n’oubliait rien de tout ce qui dépendait d’elle pour lui complaire. Elle retourna donc au palais le jour du conseil, et se plaça à l’entrée du divan vis-à-vis le sultan, à son ordinaire.

Le grand vizir n’avait pas encore commencé à rapporter aucune affaire quand le sultan aperçut la mère d’Aladdin. Touché de compassion de la longue patience dont il avait été témoin: «Avant toutes choses, de crainte que vous ne l’oubliiez, dit-il au grand vizir, voilà la femme dont je vous parlais dernièrement: faites-la venir et commençons par l’entendre et par expédier l’affaire qui l’amène.» Aussitôt le grand vizir montra cette femme au chef des huissiers, qui était debout prêt à recevoir ses ordres, et lui commanda d’aller la prendre et de la faire avancer.

Le chef des huissiers vint jusqu’à la mère d’Aladdin, et au signe qu’il lui fit, elle le suivit jusqu’au pied du trône du sultan, où il la laissa pour aller se ranger à sa place près du grand vizir.

La mère d’Aladdin, instruite par l’exemple de tant d’autres qu’elle avait vus aborder le sultan, se prosterna le front contre le tapis qui couvrait les marches du trône, et elle demeura en cet état jusqu’à ce que le sultan lui commandât de se lever. Elle se leva, et alors: «Bonne femme, lui dit le sultan, il y a longtemps que je vous vois venir à mon divan et demeurer à l’entrée depuis le commencement jusqu’à la fin. Quelle affaire vous amène ici?»

La mère d’Aladdin se prosterna une seconde fois après avoir entendu ces paroles, et quand elle fut relevée: «Monarque au-dessus des monarques du monde, dit-elle, avant d’exposer à Votre Majesté le sujet extraordinaire et même presque incroyable qui me fait paraître devant son trône sublime, je la supplie de me pardonner la hardiesse, pour ne pas dire l’impudence de la demande que je viens lui faire. Elle est si peu commune que je tremble et que j’ai honte de la proposer à mon sultan.» Pour lui donner la liberté entière de s’expliquer, le sultan commanda que tout le monde sortît du divan et qu’on le laissât seul avec son grand vizir, et alors il lui dit qu’elle pouvait s’expliquer sans crainte.

La mère d’Aladdin ne se contenta pas de la bonté du sultan, qui venait de lui épargner la peine qu’elle eût pu souffrir en parlant devant tant de monde: elle voulut encore se mettre à couvert de l’indignation qu’elle avait à craindre de la proposition qu’elle devait lui faire et à laquelle il ne s’attendait pas. «Sire, dit-elle en reprenant la parole, j’ose encore supplier Votre Majesté, au cas qu’elle trouve la demande que j’ai à lui faire offensante ou injurieuse en la moindre chose, de m’assurer auparavant de son pardon et de m’en accorder la grâce. – Quoi que ce puisse être, repartit le sultan, je vous le pardonne dès à présent, et il ne vous en arrivera pas le moindre mal. Parlez hardiment.»

Quand la mère d’Aladdin eut pris toutes ces précautions, en femme qui redoutait toute la colère du sultan sur une proposition aussi délicate que celle qu’elle avait à lui faire, elle lui raconta fidèlement dans quelle occasion Aladdin avait vu la princesse Badroulboudour, l’amour violent que cette vue fatale lui avait inspiré, la déclaration qu’il lui en avait faite, tout ce qu’elle lui avait représenté pour le détourner d’une passion non moins injurieuse à Votre Majesté, dit-elle au sultan, qu’à la princesse votre fille. «Mais, continua-t-elle, mon fils, bien loin d’en profiter et de reconnaître sa hardiesse, s’était obstiné à y persévérer jusqu’au point de me menacer de quelque action de désespoir si je refusais de venir demander la princesse en mariage à Votre Majesté, et ce n’a été qu’après m’être fait une violence extrême que j’ai été contrainte d’avoir cette complaisance pour lui, de quoi je supplie encore une fois Votre Majesté de m’accorder le pardon, non-seulement à moi, mais même à Aladdin mon fils, d’avoir eu la pensée téméraire d’aspirer à une si haute alliance.»

Le sultan écouta tout ce discours avec beaucoup de douceur et de bonté, sans donner aucune marque de colère ou d’indignation, et même sans prendre la demande en raillerie. Mais avant de donner réponse à cette bonne femme, il lui demanda ce que c’était que ce qu’elle avait apporté enveloppé dans un linge. Aussitôt elle prit le vase de porcelaine, qu’elle avait mis au pied du trône avant de se prosterner, elle le découvrit et le présenta au sultan.

On ne saurait exprimer la surprise et l’étonnement du sultan lorsqu’il vit rassemblées dans ce vase tant de pierreries si considérables, si précieuses, si parfaites, si éclatantes, et d’une grosseur dont il n’avait point encore vu de pareilles. Il resta quelque temps dans une si grande admiration qu’il en était immobile. Après être enfin revenu à lui, il reçut le présent des mains de la mère d’Aladdin, en s’écriant avec un transport de joie: «Ah! que cela est beau! que cela est riche!» Après avoir admiré et manié presque toutes les pierreries l’une après l’autre, en les prisant chacune par l’endroit qui les distinguait, il se tourna du côté de son grand vizir, et, en lui montrant le vase: «Vois, dit-il, et conviens qu’on ne peut rien voir au monde de plus riche et de plus parfait.» Le vizir en fut charmé. «Eh bien! continua le sultan, que dis-tu d’un tel présent? N’est-il pas digne de la princesse ma fille, et ne puis-je pas la donner, à ce prix-là, à celui qui me la fait demander?»

Ces paroles mirent le grand vizir dans une étrange agitation. Il y avait quelque temps que le sultan lui avait l’ait entendre que son intention était de donner la princesse sa fille en mariage à un fils qu’il avait. Il craignit, et ce n’était pas sans fondement, que le sultan, ébloui par un présent si riche et si extraordinaire, ne changeât de sentiment. Il s’approcha du sultan, et en lui parlant à l’oreille: «Sire, dit-il, on ne peut disconvenir que le présent ne soit digne de la princesse. Mais je supplie Votre Majesté de m’accorder trois mois avant de se déterminer. J’espère qu’avant ce temps-là, mon fils, sur qui elle a eu la bonté de me témoigner qu’elle avait jeté les yeux, aura de quoi lui en faire un d’un plus grand prix que celui d’Aladdin, que Votre Majesté ne connaît pas.» Le sultan, quoique bien persuadé qu’il n’était pas possible que son grand vizir pût trouver à son fils de quoi faire un présent d’une aussi grande conséquence à la princesse sa fille, ne laissa pas néanmoins de l’écouter et de lui accorder cette grâce. Ainsi, en se retournant du côté de la mère d’Aladdin, il lui dit: «Allez, bonne femme, retournez chez vous, et dites à votre fils que j’agrée la proposition que vous m’avez faite de sa part, mais que je ne puis marier la princesse ma fille que je ne lui aie fait faire un ameublement, qui ne sera prêt que dans trois mois. Ainsi revenez en ce temps-là.»