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La mère d’Aladdin retourna chez elle avec une joie d’autant plus grande que, par rapport à son état, elle avait d’abord regardé l’accès auprès du sultan comme impossible, et que d’ailleurs elle avait obtenu une réponse si favorable, au lieu qu’elle ne s’était attendue qu’à un rebut qui l’aurait couverte de confusion. Deux choses firent juger à Aladdin, quand il vit rentrer sa mère, qu’elle lui apportait une bonne nouvelle: l’une, qu’elle revenait de meilleure heure qu’à l’ordinaire; et l’autre, qu’elle avait le visage gai et ouvert. «Hé bien! ma mère, lui dit il, dois-je espérer, dois-je mourir de désespoir?» Quand elle eut quitté son voile et qu’elle se fut assise sur le sofa avec lui: «Mon fils, lui dit-elle, pour ne pas vous tenir trop longtemps dans l’incertitude, je commencerai par vous dire que, bien loin de songer à mourir, vous avez tout sujet d’être content.» En poursuivant son discours, elle lui raconta de quelle manière elle avait eu audience avant tout le monde, ce qui était cause qu’elle était revenue de si bonne heure, les précautions qu’elle avait prises pour faire au sultan, sans qu’il s’en offensât, la proposition de mariage de la princesse Badroulboudour avec lui, et la réponse toute favorable que le sultan lui avait faite de sa propre bouche. Elle ajouta qu’autant qu’elle en pouvait juger par les marques que le sultan en avait données, le présent, sur toutes choses, avait fait un puissant effet sur son esprit, pour le déterminer à la réponse favorable qu’elle rapportait. «Je m’y attendais d’autant moins, dit-elle encore, que le grand vizir lui avait parlé à l’oreille avant qu’il me la fît, et que je craignais qu’il ne le détournât de la bonne volonté qu’il pouvait avoir pour vous.»

Aladdin s’estima le plus heureux des mortels en apprenant cette nouvelle. Il remercia sa mère de toutes les peines qu’elle s’était données dans la poursuite de cette affaire, dont l’heureux succès était si important pour son repos. Et quoique, dans l’impatience où il était de jouir de l’objet de sa passion, trois mois lui parussent d’une longueur extrême, il se disposa néanmoins à attendre avec patience, fondé sur la parole du sultan, qu’il regardait comme irrévocable. Pendant qu’il comptait non-seulement les heures, les jours et les semaines, mais même jusqu’aux moments, en attendant que le terme fût passé, environ deux mois s’étaient écoulés quand sa mère, un soir, en voulant allumer la lampe, s’aperçut qu’il n’y avait plus d’huile dans la maison. Elle sortit pour en aller acheter, et en avançant dans la ville, elle vit que tout y était en fête. En effet, les boutiques, au lieu d’être fermées, étaient ouvertes; on les ornait de feuillages, on y préparait des illuminations, chacun s’efforçait à qui les ferait avec plus de pompe et de magnificence pour mieux marquer son zèle. Tout le monde enfin donnait des démonstrations de joie et de réjouissance. Les rues étaient même embarrassées par des officiers en habits de cérémonie, montés sur des chevaux richement harnachés, et environnés d’un grand nombre de valets de pied qui allaient et venaient. Elle demanda au marchand chez qui elle achetait son huile ce que tout cela signifiait. «D’où venez-vous, ma bonne dame? lui dit-il. Ne savez-vous pas que le fils du grand vizir épouse ce soir la princesse Badroulboudour, fille du sultan? Elle va bientôt sortir du bain, et les officiers que vous voyez s’assemblent pour lui faire cortège jusqu’au palais, où se doit faire la cérémonie.»

La mère d’Aladdin ne voulut pas en apprendre davantage. Elle revint en si grande diligence, qu’elle rentra chez elle presque dors d’haleine. Elle trouva son fils, qui ne s’attendait à rien moins qu’à la fâcheuse nouvelle qu’elle lui apportait. «Mon fils, s’écria-t-elle, tout est perdu pour vous. Vous comptiez sur la belle promesse du sultan, il n’en sera rien.» Aladdin, alarmé de ces paroles: «Ma mère, reprit-il, par quel endroit le sultan ne me tiendrait-il pas sa promesse? Comment le savez-vous? – Ce soir, repartit la mère, le fils du grand vizir épouse la princesse Badroulboudour dans le palais.» Elle lui raconta de quelle manière elle venait de l’apprendre par tant de circonstances qu’il n’eut pas lieu d’en douter.

À cette nouvelle, Aladdin demeura immobile comme s’il eût été frappé d’un coup de foudre. Tout autre que lui en eût été accablé; mais une jalousie secrète l’empêcha d’y demeurer longtemps. Dans le moment, il se souvint de la lampe qui lui avait été si utile jusqu’alors, et, sans aucun emportement en vaines paroles contre le sultan, contre le grand vizir ou contre le fils de ce ministre, il dit seulement: «Ma mère, le fils du grand vizir ne sera peut-être pas cette nuit aussi heureux qu’il se le promet. Pendant que je vais dans ma chambre pour un moment, préparez-nous à souper.»

La mère d’Aladdin comprit bien que son fils voulait faire usage de la lampe pour empêcher, s’il était possible, que le mariage du fils du grand vizir avec la princesse ne vînt jusqu’à la consommation, et elle ne se trompait pas. En effet, quand Aladdin fut dans sa chambre, il prit la lampe merveilleuse qu’il y avait portée, en l’ôtant de devant les yeux de sa mère, après que l’apparition du génie lui eut fait une si grande peur. Il prit, dis-je, la lampe, et il la frotta au même endroit que les autres fois. À l’instant le génie parut devant lui. «Que veux-tu? dit-il à Aladdin; me voici prêt à t’obéir comme ton esclave et de tous ceux qui ont la lampe à la main, moi et les autres esclaves de la lampe. – Écoute, lui dit Aladdin; tu m’as apporté jusqu’à présent de quoi me nourrir quand j’en ai eu besoin: il s’agit présentement d’une affaire de tout autre importance. J’ai fait demander en mariage au sultan la princesse Badroulboudour sa fille; il me l’a promise, et il m’a demandé un délai de trois mois. Au lieu de tenir sa promesse, ce soir, avant le terme échu, il la marie au fils du grand vizir: je viens de l’apprendre, et la chose est certaine. Ce que je te demande, c’est que dès que le nouvel époux et la nouvelle épouse seront couchés, tu les enlèves et que tu les apportes ici tous deux dans leur lit. – Mon maître, reprit le génie, je vais t’obéir. As-tu autre chose à me commander? – Rien autre chose pour le présent, repartit Aladdin.» En même temps le génie disparut.

Aladdin revint trouver sa mère, il soupa avec elle avec la même tranquillité qu’il avait de coutume. Après le souper, il s’entretint quelque temps avec elle du mariage de la princesse comme d’une chose qui ne l’embarrassait plus. Il retourna à sa chambre, et il laissa sa mère en liberté de se coucher. Pour lui il ne se coucha pas, mais il attendit le retour du génie et l’exécution du commandement qu’il lui avait fait.

Pendant ce temps-là tout avait été préparé avec bien de la magnificence dans le palais du sultan pour la célébration des noces de la princesse, et la soirée se passa en cérémonies et en réjouissances jusque bien avant dans la nuit. Quand tout fut achevé, le fils du grand vizir, au signal que lui fit le chef des eunuques de la princesse, s’échappa adroitement, et cet officier l’introduisit dans l’appartement de la princesse son épouse, jusqu’à la chambre où le lit nuptial était préparé. Il se coucha le premier. Peu de temps après, la sultane, accompagnée de ses femmes et de celles de la princesse sa fille, amena la nouvelle épouse. Elle faisait de grandes résistances selon la coutume des nouvelles mariées. La sultane aida à la déshabiller, la mit dans le lit comme par force, et après l’avoir embrassée en lui souhaitant la bonne nuit, elle se retira avec toutes ses femmes, et la dernière qui sortit ferma la porte de la chambre.