Выбрать главу

Les joailliers et les orfèvres examinèrent les vingt-trois autres jalousies avec une grande attention, et après qu’ils eurent consulté ensemble et qu’ils furent convenus de ce qu’ils pouvaient contribuer chacun de son côté, ils revinrent se présenter devant le sultan; et le joaillier ordinaire du palais, qui prit la parole, lui dit: «Sire, nous sommes prêts à employer nos soins et notre industrie pour obéir à Votre Majesté; mais entre nous tant que nous sommes de notre profession, nous n’avons pas de pierreries aussi précieuses ni en assez grand nombre pour fournir à un si grand travail. – J’en ai, dit le sultan, et au-delà de ce qu’il en faudra: venez à mon palais, je vous mettrai à même, et vous choisirez.»

Quand le sultan fut de retour à son palais, il fit apporter toutes ses pierreries; ils en prirent une très-grande quantité, particulièrement de celles qui venaient du présent d’Aladdin. Ils les employèrent sans qu’il parût qu’ils eussent beaucoup avancé. Ils revinrent en prendre d’autres à plusieurs reprises, et en un mois ils n’avaient pas achevé la moitié de l’ouvrage. Ils employèrent toutes celles du sultan, avec ce que le grand vizir lui prêta des siennes, et tout ce qu’ils purent faire avec tout cela lui au plus d’achever la moitié de la croisée.

Aladdin, qui connut que le sultan s’efforçait inutilement de rendre la jalousie semblable aux autres, et que jamais il n’en viendrait à son honneur, fit venir les orfèvres et leur dit non-seulement de cesser leur travail, mais même de défaire tout ce qu’ils avaient fait, et de reporter au sultan toutes ses pierreries avec celles qu’il avait empruntées du grand vizir.

L’ouvrage que les joailliers et les orfèvres avaient mis plus de six semaines à faire fut détruit en peu d’heures. Ils se retirèrent et laissèrent Aladdin seul dans le salon. Il tira la lampe, qu’il avait sur lui, et il la frotta. Aussitôt le génie se présenta. «Génie, lui dit Aladdin, je t’avais ordonné de laisser une des vingt-quatre jalousies de ce salon imparfaite, et tu avais exécuté mon ordre: présentement je t’ai fait venir pour te dire que je souhaite que tu la rendes pareille aux autres.» Le génie disparut, et Aladdin descendit du salon. Peu de moments après, comme il y fut remonté, il trouva la jalousie dans l’état qu’il avait souhaité et pareille aux autres.

Les joailliers et les orfèvres cependant arrivèrent au palais et furent introduits et présentés au sultan dans son appartement. Le premier joaillier, en lui présentant les pierreries qu’ils lui rapportaient, dit au sultan au nom de tous: «Sire, Votre Majesté sait combien il y a de temps que nous travaillons de toute notre industrie à finir l’ouvrage dont elle nous a chargés. Il était déjà fort avancé lorsque Aladdin nous a obligés non-seulement de cesser, mais même de défaire tout ce que nous avions fait, et de lui rapporter ses pierreries et celles du grand vizir.» Le sultan leur demanda si Aladdin ne leur en avait pas dit la raison, et comme ils lui eurent marqué qu’il ne leur en avait rien témoigné, il donna ordre sur-le-champ qu’on lui amenât un cheval. On le lui amène, il le monte, et part sans autre suite que de ses gens, qui l’accompagnèrent à pied. Il arrive au palais d’Aladdin, il va mettre pied à terre au bas de l’escalier qui conduisait au salon à vingt-quatre croisées. Il y monte sans faire avertir Aladdin; mais Aladdin s’y trouva fort à propos, et il n’eut que le temps de recevoir le sultan à la porte.

Le sultan, sans donner à Aladdin le temps de se plaindre obligeamment de ce que Sa Majesté ne l’avait pas fait avertir et qu’elle l’avait mis dans la nécessité de manquer à son devoir, lui dit: «Mon fils, je viens moi-même vous demander quelle raison vous avez de vouloir laisser imparfait un salon aussi magnifique et aussi singulier que celui de votre palais.»

Aladdin dissimula la véritable raison, qui était que le sultan n’était pas riche en pierreries pour faire une dépense si grande. Mais afin de lui faire connaître combien le palais, tel qu’il était, surpassait non-seulement le sien, mais même tout autre palais qui fût au monde, puisqu’il n’avait pu le parachever dans la moindre de ses parties, il lui répondit: «Sire, il est vrai que Votre Majesté a vu ce salon imparfait; mais je la supplie de voir présentement si quelque chose y manque.»

Le sultan alla droit à la fenêtre dont il avait vu la jalousie imparfaite, et quand il eut remarqué qu’elle était semblable aux autres, il crut s’être trompé. Il examina non-seulement les deux croisées qui étaient aux deux côtés, il les regarda même toutes l’une après l’autre, et quand il fut convaincu que la jalousie à laquelle il avait fait employer tant de temps et qui avait coûté tant de journées d’ouvriers, venait d’être achevée dans le peu de temps qui lui était connu, il embrassa Aladdin et le baisa au front entre les deux yeux. «Mon fils, lui dit-il, rempli d’étonnement, quel homme êtes-vous, qui faites des choses si surprenantes et presque en un clin d’œil? Vous n’avez pas votre semblable au monde, et plus je vous connais, plus je vous trouve admirable.»

Aladdin reçut les louanges du sultan avec beaucoup de modestie, et il lui répondit en ces termes: «Sire, c’est une grande gloire pour moi de mériter la bienveillance et l’approbation de Votre Majesté; ce que je puis lui assurer, c’est que je n’oublierai rien pour mériter l’une et l’autre de plus en plus.»

Le sultan retourna à son palais de la manière qu’il y était venu, sans permettre à Aladdin de l’y accompagner. En arrivant il trouva le grand vizir qui l’attendait. Le sultan, encore tout rempli d’admiration de la merveille dont il venait d’être témoin, lui en fit le récit en des termes qui ne firent pas douter à ce ministre que la chose ne fût comme le sultan la racontait, mais qui confirmèrent le vizir dans la croyance où il était déjà que le palais d’Aladdin était l’effet d’un enchantement, dont il s’était ouvert au sultan presque dans le moment que ce palais venait de paraître. Il voulut lui répéter la même chose. «Vizir, lui dit le sultan en l’interrompant, vous m’avez déjà dit la même chose, mais je vois bien que vous n’avez pas encore mis en oubli le mariage de ma fille avec votre fils.»

Le grand vizir vit bien que le sultan était prévenu. Il ne voulut pas entrer en contestation avec lui et il le laissa dans son opinion. Tous les jours réglément, dès que le sultan était levé, il ne manquait pas de se rendre dans un cabinet d’où l’on découvrait tout le palais d’Aladdin, et il y allait pendant la journée pour le contempler et l’admirer.

Aladdin cependant ne demeurait pas renfermé dans son palais; il avait soin de se faire voir par la ville plus d’une fois chaque semaine, soit qu’il allât faire sa prière tantôt dans une mosquée, tantôt dans une autre, ou que de temps en temps il allât rendre visite au grand vizir, qui affectait d’aller lui faire la cour à certains jours réglés, ou qu’il fît l’honneur aux principaux seigneurs, qu’il régalait souvent dans son palais, d’aller les voir chez eux. Chaque fois qu’il sortait, il faisait jeter par deux de ses esclaves, qui marchaient en troupe autour de son cheval, des pièces d’or à poignées dans les rues et dans les places par où il passait et où le peuple se rendait toujours en grande foule. D’ailleurs, pas un pauvre ne se présentait à la porte de son palais qu’il ne s’en retournât content de la libéralité qu’on y faisait par ses ordres.

Comme Aladdin avait partagé son temps de manière qu’il n’y avait pas de semaine qu’il n’allât à la chasse au moins une fois, tantôt aux environs de la ville, quelquefois plus loin, il exerçait la même libéralité par les chemins et par les villages. Cette inclination généreuse lui fit donner par tout le peuple mille bénédictions, et il était ordinaire de ne jurer que par sa tête. Enfin, sans donner ombrage au sultan, à qui il faisait fort régulièrement sa cour, on peut dire qu’Aladdin s’était attiré par ses manières affables et libérales toute l’affection du peuple, et que, généralement parlant, il était plus aimé que le sultan même. Il joignit à toutes ces belles qualités une valeur et un zèle pour le bien de l’état qu’on ne saurait assez louer. Il en donna même des marques à l’occasion d’une révolte vers les confins du royaume. Il n’eut pas plutôt appris que le sultan levait une armée pour la dissiper, qu’il le supplia de lui en donner le commandement. Il n’eut pas de peine à l’obtenir. Sitôt qu’il fut à la tête de l’armée, il se conduisit en toute cette expédition avec tant de diligence, que le sultan apprit plus tôt que les révoltés avaient été défaits, châtiés ou dissipés, que son arrivée à l’armée. Cette action, qui rendit son nom célèbre dans toute l’étendue du royaume, ne changea point son cœur; il revint victorieux, mais aussi doux et aussi affable qu’il avait toujours été.