Выбрать главу
Renfoncez dans vos culottes Le bout d’chemis’ qui vous pend. Qu’on n’dis’pas qu’les patriotes Ont arboré l’drapeau blanc!

On s’y amusait à des calembours qu’on croyait terribles, à des jeux de mots innocents qu’on supposait venimeux, à des quatrains, même à des distiques; ainsi sur le ministère Dessolles, cabinet modéré dont faisaient partie MM. Decazes et Deserre:

Pour raffermir le trône ébranlé sur sa base, Il faut changer de sol, et de serre et de case.

Ou bien on y façonnait la liste de la chambre des pairs, «chambre abominablement jacobine», et l’on combinait sur cette liste des alliances de noms, de manière à faire, par exemple, des phrases comme celle-ci: Damas, Sabran, Gouvion Saint-Cyr. Le tout gaîment.

Dans ce monde-là on parodiait la Révolution. On avait je ne sais quelles velléités d’aiguiser les mêmes colères en sens inverse. On chantait son petit Ça ira:

Ah! ça ira! ça ira! ça ira Les buonapartist’à la lanterne!

Les chansons sont comme la guillotine; elles coupent indifféremment, aujourd’hui cette tête-ci, demain celle-là. Ce n’est qu’une variante.

Dans l’affaire Fualdès, qui est de cette époque, 1816, on prenait parti pour Bastide et Jausion, parce que Fualdès était «buonapartiste». On qualifiait les libéraux, les frères et amis ; c’était le dernier degré de l’injure.

Comme certains clochers d’église, le salon de madame la baronne de T. avait deux coqs. L’un était M. Gillenormand, l’autre était le comte de Lamothe-Valois, duquel on se disait à l’oreille avec une sorte de considération: Vous savez? C’est le Lamothe de l’affaire du collier. Les partis ont de ces amnisties singulières.

Ajoutons ceci: dans la bourgeoisie, les situations honorées s’amoindrissent par des relations trop faciles; il faut prendre garde à qui l’on admet; de même qu’il y a perte de calorique dans le voisinage de ceux qui ont froid, il y a diminution de considération dans l’approche des gens méprisés. L’ancien monde d’en haut se tenait au-dessus de cette loi-là comme de toutes les autres. Marigny, frère de la Pompadour, a ses entrées chez M. le prince de Soubise. Quoique? non, parce que. Du Barry, parrain de la Vaubernier, est le très bien venu chez M. le maréchal de Richelieu. Ce monde-là, c’est l’olympe. Mercure et le prince de Guéménée y sont chez eux. Un voleur y est admis, pourvu qu’il soit dieu.

Le comte de Lamothe qui, en 1815, était un vieillard de soixante-quinze ans, n’avait de remarquable que son air silencieux et sentencieux, sa figure anguleuse et froide, ses manières parfaitement polies, son habit boutonné jusqu’à la cravate, et ses grandes jambes toujours croisées dans un long pantalon flasque couleur de terre de Sienne brûlée. Son visage était de la couleur de son pantalon.

Ce M. de Lamothe était «compté» dans ce salon, à cause de sa «célébrité», et, chose étrange à dire, mais exacte, à cause du nom de Valois.

Quant à M. Gillenormand, sa considération était absolument de bon aloi. Il faisait autorité. Il avait, tout léger qu’il était et sans que cela coûtât rien à sa gaîté, une certaine façon d’être, imposante, digne, honnête et bourgeoisement altière; et son grand âge s’y ajoutait. On n’est pas impunément un siècle. Les années finissent par faire autour d’une tête un échevellement vénérable.

Il avait en outre de ces mots qui sont tout à fait l’étincelle de la vieille roche. Ainsi quand le roi de Prusse, après avoir restauré Louis XVIII, vint lui faire visite sous le nom de comte de Ruppin, il fut reçu par le descendant de Louis XIV un peu comme marquis de Brandebourg et avec l’impertinence la plus délicate. M. Gillenormand approuva. – Tous les rois qui ne sont pas le roi de France, dit-il, sont des rois de province. On fit un jour devant lui cette demande et cette réponse: – À quoi donc a été condamné le rédacteur du Courrier français? – À être suspendu. – Sus est de trop, observa Gillenormand. Des paroles de ce genre fondent une situation.

À un te deum anniversaire du retour des Bourbons, voyant passer M. de Talleyrand, il dit: Voilà son excellence le Mal.

M. Gillenormand venait habituellement accompagné de sa fille, cette longue mademoiselle qui avait alors passé quarante ans et en semblait cinquante, et d’un beau petit garçon de sept ans, blanc, rose, frais, avec des yeux heureux et confiants, lequel n’apparaissait jamais dans ce salon sans entendre toutes les voix bourdonner autour de lui: Qu’il est joli! quel dommage! pauvre enfant! Cet enfant était celui dont nous avons dit un mot tout à l’heure. On l’appelait – pauvre enfant – parce qu’il avait pour père «un brigand de la Loire [37]».

Ce brigand de la Loire était ce gendre de M. Gillenormand dont il a déjà été fait mention, et que M. Gillenormand qualifiait la honte de sa famille.

Chapitre II Un des spectres rouges [38] de ce temps-là

Quelqu’un qui aurait passé à cette époque dans la petite ville de Vernon et qui s’y serait promené sur ce beau pont monumental auquel succédera bientôt, espérons-le, quelque affreux pont en fil de fer, aurait pu remarquer, en laissant tomber ses yeux du haut du parapet, un homme d’une cinquantaine d’années coiffé d’une casquette de cuir, vêtu d’un pantalon et d’une veste de gros drap gris, à laquelle était cousu quelque chose de jaune qui avait été un ruban rouge, chaussé de sabots, hâlé par le soleil, la face presque noire et les cheveux presque blancs, une large cicatrice sur le front se continuant sur la joue, courbé, voûté, vieilli avant l’âge, se promenant à peu près tous les jours, une bêche et une serpe à la main, dans un de ces compartiments entourés de murs qui avoisinent le pont et qui bordent comme une chaîne de terrasses la rive gauche de la Seine, charmants enclos pleins de fleurs desquels on dirait, s’ils étaient beaucoup plus grands: ce sont des jardins, et, s’ils étaient un peu plus petits: ce sont des bouquets. Tous ces enclos aboutissent par un bout à la rivière et par l’autre à une maison. L’homme en veste et en sabots dont nous venons de parler habitait vers 1817 le plus étroit de ces enclos et la plus humble de ces maisons. Il vivait là seul, et solitaire, silencieusement et pauvrement, avec une femme ni jeune, ni vieille, ni belle, ni laide, ni paysanne, ni bourgeoise, qui le servait. Le carré de terre qu’il appelait son jardin était célèbre dans la ville pour la beauté des fleurs qu’il y cultivait. Les fleurs étaient son occupation.

À force de travail, de persévérance, d’attention et de seaux d’eau, il avait réussi à créer après le créateur, et il avait inventé de certaines tulipes et de certains dahlias qui semblaient avoir été oubliés par la nature. Il était ingénieux; il avait devancé Soulange Bodin dans la formation des petits massifs de terre de bruyère pour la culture des rares et précieux arbustes d’Amérique et de Chine. Dès le point du jour, en été, il était dans ses allées, piquant, taillant, sarclant, arrosant, marchant au milieu de ses fleurs avec un air de bonté, de tristesse et de douceur, quelquefois rêveur et immobile des heures entières, écoutant le chant d’un oiseau dans un arbre, le gazouillement d’un enfant dans une maison, ou bien les yeux fixés au bout d’un brin d’herbe sur quelque goutte de rosée dont le soleil faisait une escarboucle. Il avait une table fort maigre, et buvait plus de lait que de vin. Un marmot le faisait céder, sa servante le grondait. Il était timide jusqu’à sembler farouche, sortait rarement, et ne voyait personne que les pauvres qui frappaient à sa porte et son curé, l’abbé Mabeuf, bon vieux homme. Pourtant si des habitants de la ville ou des étrangers, les premiers venus, curieux de voir ses tulipes et ses roses, venaient sonner à sa petite maison, il ouvrait sa porte en souriant. C’était le brigand de la Loire.

Quelqu’un qui, dans le même temps, aurait lu les mémoires militaires, les biographies, le Moniteur et les bulletins de la grande Armée, aurait pu être frappé d’un nom qui y revient assez souvent, le nom de Georges Pontmercy. Tout jeune, ce Georges Pontmercy était soldat au régiment de Saintonge. La Révolution éclata. Le régiment de Saintonge fit partie de l’armée du Rhin. Car les anciens régiments de la monarchie gardèrent leurs noms de province, même après la chute de la monarchie, et ne furent embrigadés qu’en 1794. Pontmercy se battit à Spire, à Worms, à Neustadt, à Turkheim, à Alzey, à Mayence [39] où il était des deux cents qui formaient l’arrière-garde de Houchard. Il tint, lui douzième, contre le corps du prince de Hesse, derrière le vieux rempart d’Andernach, et ne se replia sur le gros de l’armée que lorsque le canon ennemi eut ouvert la brèche depuis le cordon du parapet jusqu’au talus de plongée. Il était sous Kléber à Marchiennes et au combat du Mont-Palissel où il eut le bras cassé d’un biscaïen. Puis il passa à la frontière d’Italie, et il fut un des trente grenadiers qui défendirent le col de Tende avec Joubert. Joubert en fut nommé adjudant-général et Pontmercy sous-lieutenant. Pontmercy était à côté de Berthier au milieu de la mitraille dans cette journée de Lodi qui fit dire à Bonaparte: Berthier a été canonnier, cavalier et grenadier. Il vit son ancien général Joubert tomber à Novi, au moment où, le sabre levé, il criait: «En avant!» Ayant été embarqué avec sa compagnie pour les besoins de la campagne dans une péniche qui allait de Gênes à je ne sais plus quel petit port de la côte, il tomba dans un guêpier de sept ou huit voiles anglaises. Le commandant génois voulait jeter les canons à la mer, cacher les soldats dans l’entre-pont et se glisser dans l’ombre comme navire marchand. Pontmercy fit frapper les couleurs à la drisse du mât de pavillon, et passa fièrement sous le canon des frégates britanniques. À vingt lieues de là, son audace croissant, avec sa péniche il attaqua et captura un gros transport anglais qui portait des troupes en Sicile, si chargé d’hommes et de chevaux que le bâtiment était bondé jusqu’aux hiloires. En 1805, il était de cette division Malher qui enleva Günzbourg à l’archiduc Ferdinand. À Weltingen, il reçut dans ses bras, sous une grêle de balles, le colonel Maupetit blessé mortellement à la tête du 9ème dragons. Il se distingua à Austerlitz dans cette admirable marche en échelons faite sous le feu de l’ennemi. Lorsque la cavalerie de la garde impériale russe écrasa un bataillon du 4ème de ligne, Pontmercy fut de ceux qui prirent la revanche et qui culbutèrent cette garde. L’empereur lui donna la croix. Pontmercy vit successivement faire prisonniers Wurmser dans Mantoue, Mélas dans Alexandrie, Mack dans Ulm. Il fit partie du huitième corps de la grande Armée que Mortier commandait et qui s’empara de Hambourg. Puis il passa dans le 55ème de ligne qui était l’ancien régiment de Flandre. À Eylau, il était dans le cimetière où l’héroïque capitaine Louis Hugo [40], oncle de l’auteur de ce livre, soutint seul avec sa compagnie de quatrevingt-trois hommes, pendant deux heures, tout l’effort de l’armée ennemie. Pontmercy fut un des trois qui sortirent de ce cimetière vivants. Il fut de Friedland. Puis il vit Moscou, puis la Bérésina, puis Lutzen, Bautzen, Dresde, Wachau, Leipsick, et les défilés de Gelenhausen; puis Montmirail, Château-Thierry, Craon, les bords de la Marne, les bords de l’Aisne et la redoutable position de Laon. À Arnay-le-Duc, étant capitaine, il sabra dix cosaques, et sauva, non son général, mais son caporal. Il fut haché à cette occasion, et on lui tira vingt-sept esquilles rien que du bras gauche. Huit jours avant la capitulation de Paris, il venait de permuter avec un camarade et d’entrer dans la cavalerie. Il avait ce qu’on appelait dans l’ancien régime la double-main, c’est-à-dire une aptitude égale à manier, soldat, le sabre ou le fusil, officier, un escadron ou un bataillon. C’est de cette aptitude, perfectionnée par l’éducation militaire, que sont nées certaines armes spéciales, les dragons, par exemple, qui sont tout ensemble cavaliers et fantassins. Il accompagna Napoléon à l’île d’Elbe. À Waterloo, il était chef d’escadron de cuirassiers dans la brigade Dubois. Ce fut lui qui prit le drapeau du bataillon de Lunebourg. Il vint jeter le drapeau aux pieds de l’empereur. Il était couvert de sang. Il avait reçu, en arrachant le drapeau, un coup de sabre à travers le visage. L’empereur, content, lui cria: Tu es colonel, tu es baron, tu es officier de la légion d’honneur! Pontmercy répondit: Sire, je vous remercie pour ma veuve. Une heure après, il tombait dans le ravin d’Ohain. Maintenant qu’était-ce que ce Georges Pontmercy? C’était ce même brigand de la Loire.

вернуться

[37] En 1815 l 'armée de Davout se retira derrière la Loire. Devant l'ordre d'arborer la cocarde blanche, la moitié des effectifs déserta. De là l'expression employée par les ultras de «brigand de la Loire», étendue à l'ensemble des soldats fidèles à Napoléon. Pour Hugo, dont le père s'était installé à Blois, en pays de Loire, cette appellation devait avoir une tonalité toute particulière.

вернуться

[38] Auguste Romieu fit paraître, en 1851, un pamphlet Le Spectre rouge de 1852 destiné à accroître la peur du socialisme et à faire accepter le coup d'État. Châtiments déjà n'épargnait guère ce petit plumitif et nous retrouverons, chez les «amis de l'A.B.C.», cette dérision de la peur du rouge. L'expression désigne ici le père de Marius, le baron Pontmercy et avec lui Léopold Hugo, mais d'abord son fils Victor.

вернуться

[39] Les carrières de Léopold Hugo et de G. Pontmercy sont donc identiques à leurs début et fin (engagement avant 1789, armée du Rhin, campagne d'Allemagne, mise en demi-solde). Mais Pontmercy concentre tous les hauts faits des armées impériales: voir plus loin Eylau, Waterloo où Léopold n'était pas.

вернуться

[40] Louis avait fait aux Hugo le récit de ce combat reproduit dans le Victor Hugo raconté… (ouv. cit., p. 155-165) et repris dans le célèbre Cimetière d'Eylau de La Légende des siècles (Nouvelle série, XXI, 4 – volume Poésie III).