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C’est ainsi que les doctrinaires critiquaient et protégeaient le royalisme, mécontent d’être critiqué et furieux d’être protégé.

Les ultras marquèrent la première époque du royalisme; la congrégation caractérisa la seconde. À la fougue succéda l’habileté. Bornons ici cette esquisse.

Dans le cours de ce récit, l’auteur de ce livre a trouvé sur son chemin ce moment curieux de l’histoire contemporaine; il a dû y jeter en passant un coup d’œil et retracer quelques-uns des linéaments singuliers de cette société aujourd’hui inconnue. Mais il le fait rapidement et sans aucune idée amère ou dérisoire. Des souvenirs, affectueux et respectueux, car ils touchent à sa mère, l’attachent à ce passé [49]. D’ailleurs, disons-le, ce même petit monde avait sa grandeur. On en peut sourire, mais on ne peut ni le mépriser ni le haïr. C’était la France d’autrefois.

Marius Pontmercy fit comme tous les enfants des études quelconques. Quand il sortit des mains de la tante Gillenormand, son grand-père le confia à un digne professeur de la plus pure innocence classique. Cette jeune âme qui s’ouvrait passa d’une prude à un cuistre. Marius eut ses années de collège, puis il entra à l’école de droit. Il était royaliste, fanatique et austère. Il aimait peu son grand-père dont la gaîté et le cynisme le froissaient, et il était sombre à l’endroit de son père.

C’était du reste un garçon ardent et froid, noble, généreux, fier, religieux, exalté; digne jusqu’à la dureté, pur jusqu’à la sauvagerie.

Chapitre IV Fin du brigand

L’achèvement des études classiques de Marius coïncida avec la sortie du monde de M. Gillenormand. Le vieillard dit adieu au faubourg Saint-Germain et au salon de madame de T., et vint s’établir au Marais dans sa maison de la rue des Filles-du-Calvaire. Il avait là pour domestiques, outre le portier, cette femme de chambre Nicolette qui avait succédé à la Magnon, et ce Basque essoufflé et poussif dont il a été parlé plus haut.

En 1827 [50], Marius venait d’atteindre ses dix-sept ans. Comme il rentrait un soir, il vit son grand-père qui tenait une lettre à la main.

– Marius, dit M. Gillenormand, tu partiras demain pour Vernon.

– Pourquoi? dit Marius.

– Pour voir ton père.

Marius eut un tremblement. Il avait songé à tout, excepté à ceci, qu’il pourrait un jour se faire qu’il eût à voir son père. Rien ne pouvait être pour lui plus inattendu, plus surprenant, et, disons-le, plus désagréable. C’était l’éloignement contraint au rapprochement. Ce n’était pas un chagrin, non, c’était une corvée.

Marius, outre ses motifs d’antipathie politique, était convaincu que son père, le sabreur, comme l’appelait M. Gillenormand dans ses jours de douceur, ne l’aimait pas; cela était évident, puisqu’il l’avait abandonné ainsi et laissé à d’autres. Ne se sentant point aimé, il n’aimait point. Rien de plus simple, se disait-il.

Il fut si stupéfait qu’il ne questionna pas M. Gillenormand. Le grand-père reprit:

– Il paraît qu’il est malade. Il te demande.

Et après un silence il ajouta:

– Pars demain matin. Je crois qu’il y a cour des Fontaines une voiture qui part à six heures et qui arrive le soir. Prends la. Il dit que c’est pressé.

Puis il froissa la lettre et la mit dans sa poche. Marius aurait pu partir le soir même et être près de son père le lendemain matin. Une diligence de la rue du Bouloi faisait à cette époque le voyage de Rouen la nuit et passait par Vernon. Ni M. Gillenormand ni Marius ne songèrent à s’informer.

Le lendemain, à la brune, Marius arrivait à Vernon. Les chandelles commençaient à s’allumer. Il demanda au premier passant venu: la maison de monsieur Pontmercy. Car dans sa pensée il était de l’avis de la Restauration, et, lui non plus, ne reconnaissait son père ni baron ni colonel.

On lui indiqua le logis. Il sonna; une femme vint lui ouvrir, une petite lampe à la main.

– Monsieur Pontmercy? dit Marius.

La femme resta immobile.

– Est-ce ici? demanda Marius.

La femme fit de la tête un signe affirmatif.

– Pourrais-je lui parler?

La femme fit un signe négatif.

– Mais je suis son fils, reprit Marius. Il m’attend.

– Il ne vous attend plus, dit la femme.

Alors il s’aperçut qu’elle pleurait.

Elle lui désigna du doigt la porte d’une salle basse. Il entra.

Dans cette salle qu’éclairait une chandelle de suif posée sur la cheminée, il y avait trois hommes, un qui était debout, un qui était à genoux, et un qui était à terre et en chemise couché tout de son long sur le carreau. Celui qui était à terre était le colonel.

Les deux autres étaient un médecin et un prêtre, qui priait.

Le colonel était depuis trois jours atteint d’une fièvre cérébrale. Au début de la maladie, ayant un mauvais pressentiment, il avait écrit à M. Gillenormand pour demander son fils. La maladie avait empiré. Le soir même de l’arrivée de Marius à Vernon, le colonel avait eu un accès de délire; il s’était levé de son lit malgré la servante, en criant: – Mon fils n’arrive pas! je vais au-devant de lui! – Puis il était sorti de sa chambre et était tombé sur le carreau de l’antichambre. Il venait d’expirer.

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[49] Ce souvenir maternel avoue le caractère autobiographique du texte, et confirme que le portrait de Marius qui suit est bien un autoportrait.

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[50] C'est en 1827 que les relations devinrent tout à fait intimes entre V. Hugo et son père à qui il dédie, en décembre, Cromwell. Le Victor Hugo raconté… (ouv. cit., p. 423) précise: «Il [Léopold] était descendu avec sa femme me Plumet, dans le même quartier que ses fils. Le jeune homme [Victor] n'était guère de soir sans aller chez son père.» La mort du général, le 29 janvier 1828, mit brutalement fin à ces retrouvailles qui n'avaient duré que quelques mois: de juin 1827 à janvier 1828.