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En ce moment, une goutte de cire tomba sur le doigt de Gavroche et le rappela aux réalités de la vie.

– Bigre! dit-il, v’là la mèche qui s’use. Attention! je ne peux pas mettre plus d’un sou par mois à mon éclairage. Quand on se couche, il faut dormir. Nous n’avons pas le temps de lire des romans de monsieur Paul de Kock. Avec ça que la lumière pourrait passer par les fentes de la porte cochère, et les cognes n’auraient qu’à voir.

– Et puis, observa timidement l’aîné qui seul osait causer avec Gavroche et lui donner la réplique, un fumeron pourrait tomber dans la paille, il faut prendre garde de brûler la maison.

– On ne dit pas brûler la maison, fit Gavroche, on dit riffauder le bocard.

L’orage redoublait. On entendait, à travers des roulements de tonnerre, l’averse battre le dos du colosse.

– Enfoncé, la pluie! dit Gavroche. Ça m’amuse d’entendre couler la carafe le long des jambes de la maison. L’hiver est une bête; il perd sa marchandise, il perd sa peine, il ne peut pas nous mouiller, et ça le fait bougonner, ce vieux porteur d’eau-là.

Cette allusion au tonnerre, dont Gavroche, en sa qualité de philosophe du dix-neuvième siècle, acceptait toutes les conséquences, fut suivie d’un large éclair, si éblouissant que quelque chose en entra par la crevasse dans le ventre de l’éléphant. Presque en même temps la foudre gronda, et très furieusement. Les deux petits poussèrent un cri, et se soulevèrent si vivement que le treillage en fut presque écarté; mais Gavroche tourna vers eux sa face hardie et profita du coup de tonnerre pour éclater de rire.

– Du calme, enfants. Ne bousculons pas l’édifice. Voilà du beau tonnerre, à la bonne heure! Ce n’est pas là de la gnognotte d’éclair. Bravo le bon Dieu! nom d’unch! c’est presque aussi bien qu’à l’Ambigu.

Cela dit, il refit l’ordre dans le treillage, poussa doucement les deux enfants sur le chevet du lit, pressa leurs genoux pour les bien étendre tout de leur long et s’écria:

– Puisque le bon Dieu allume sa chandelle, je peux souffler la mienne. Les enfants, il faut dormir, mes jeunes humains. C’est très mauvais de ne pas dormir. Ça vous ferait schlinguer du couloir, ou, comme on dit dans le grand monde, puer de la gueule. Entortillez-vous bien de la pelure! je vas éteindre. Y êtes-vous?

– Oui, murmura l’aîné, je suis bien. J’ai comme de la plume sous la tête.

– On ne dit pas la tête, cria Gavroche, on dit la tronche.

Les deux enfants se serrèrent l’un contre l’autre. Gavroche acheva de les arranger sur la natte et leur monta la couverture jusqu’aux oreilles, puis répéta pour la troisième fois l’injonction en langue hiératique:

– Pioncez!

Et il souffla le lumignon.

À peine la lumière était-elle éteinte qu’un tremblement singulier commença à ébranler le treillage sous lequel les trois enfants étaient couchés. C’était une multitude de frottements sourds qui rendaient un son métallique, comme si des griffes et des dents grinçaient sur le fil de cuivre. Cela était accompagné de toutes sortes de petits cris aigus.

Le petit garçon de cinq ans, entendant ce vacarme au-dessus de sa tête et glacé d’épouvante, poussa du coude son frère aîné, mais le frère aîné «pionçait» déjà, comme Gavroche le lui avait ordonné. Alors le petit, n’en pouvant plus de peur, osa interpeller Gavroche, mais tout bas, en retenant son haleine:

– Monsieur?

– Hein? fit Gavroche qui venait de fermer les paupières.

– Qu’est-ce que c’est donc que ça?

– C’est les rats, répondit Gavroche.

Et il remit sa tête sur la natte.

Les rats en effet, qui pullulaient par milliers dans la carcasse de l’éléphant et qui étaient ces taches noires vivantes dont nous avons parlé, avaient été tenus en respect par la flamme de la bougie tant qu’elle avait brillé, mais dès que cette caverne, qui était comme leur cité, avait été rendue à la nuit, sentant là ce que le bon conteur Perrault appelle «de la chair fraîche», ils s’étaient rués en foule sur la tente de Gavroche, avaient grimpé jusqu’au sommet, et en mordaient les mailles comme s’ils cherchaient à percer cette zinzelière [73] d’un nouveau genre.

Cependant le petit ne s’endormait pas.

– Monsieur! reprit-il.

– Hein? fit Gavroche.

– Qu’est-ce que c’est donc que les rats?

– C’est des souris.

Cette explication rassura un peu l’enfant. Il avait vu dans sa vie des souris blanches et il n’en avait pas eu peur. Pourtant il éleva encore la voix:

– Monsieur?

– Hein? refit Gavroche.

– Pourquoi n’avez-vous pas un chat?

– J’en ai eu un, répondit Gavroche, j’en ai apporté un, mais ils me l’ont mangé.

Cette seconde explication défit l’œuvre de la première, et le petit recommença à trembler. Le dialogue entre lui et Gavroche reprit pour la quatrième fois.

– Monsieur!

– Hein?

– Qui ça qui a été mangé?

– Le chat.

– Qui ça qui a mangé le chat?

– Les rats.

– Les souris?

– Oui, les rats.

L’enfant, consterné de ces souris qui mangent les chats, poursuivit:

– Monsieur, est-ce qu’elles nous mangeraient, ces souris-là?

– Pardi! fit Gavroche.

La terreur de l’enfant était au comble. Mais Gavroche ajouta:

– N’eïlle pas peur! ils ne peuvent pas entrer. Et puis je suis là! Tiens, prends ma main. Tais-toi, et pionce!

Gavroche en même temps prit la main du petit par-dessus son frère. L’enfant serra cette main contre lui et se sentit rassuré. Le courage et la force ont de ces communications mystérieuses. Le silence s’était refait autour d’eux, le bruit des voix avait effrayé et éloigné les rats; au bout de quelques minutes ils eurent beau revenir et faire rage, les trois mômes, plongés dans le sommeil, n’entendaient plus rien.

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[73] Moustiquaire.