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Veut-on de l’espagnol? le vieil argot gothique en fourmille. Voici boffette, soufflet, qui vient de bofeton; vantane, fenêtre (plus tard vanterne), qui vient de vantana; gat, chat, qui vient de gato; acite, huile, qui vient de aceyte. Veut-on de l’italien? Voici spade, épée, qui vient de spada; carvel, bateau, qui vient de caravella. Veut-on de l’anglais? Voici le bichot, l’évêque, qui vient de bishop; raille, espion, qui vient de rascal, rascalion, coquin; pilcker, étui, qui vient de pilcher, fourreau. Veut-on de l’allemand? Voici le caleur, le garçon, kellner ; le hers, le maître, herzog (duc). Veut-on du latin? Voici frangir, casser, frangere; affurer, voler, fur; cadène, chaîne, catena. Il y a un mot qui reparaît dans toutes les langues du continent avec une sorte de puissance et d’autorité mystérieuse, c’est le mot magnus; l’Écosse en fait son mac, qui désigne le chef du clan, Mac-Farlane, Mac-Callummore [104], le grand Farlane, le grand Callummore; l’argot en fait le meck, et plus tard, le meg, c’est-à-dire Dieu. Veut-on du basque? Voici gahisto, le diable, qui vient de gaïztoa, mauvais; sorgabon, bonne nuit, qui vient de gabon, bonsoir. Veut-on du celte? Voici blavin, mouchoir, qui vient de blavet, eau jaillissante; ménesse, femme (en mauvaise part), qui vient de meinec, plein de pierres; barant, ruisseau, de baranton, fontaine; goffeur, serrurier, de goff, forgeron; la guédouze, la mort, qui vient de guenn-du, blanche-noire. Veut-on de l’histoire enfin? L’argot appelle les écus les maltèses, souvenir de la monnaie qui avait cours sur les galères de Malte.

Outre les origines philologiques qui viennent d’être indiquées, l’argot a d’autres racines plus naturelles encore et qui sortent pour ainsi dire de l’esprit même de l’homme:

Premièrement, la création directe des mots. Là est le mystère des langues. Peindre par des mots qui ont, on ne sait comment ni pourquoi, des figures. Ceci est le fond primitif de tout langage humain, ce qu’on en pourrait nommer le granit. L’argot pullule de mots de ce genre, mots immédiats, créés de toute pièce on ne sait où ni par qui, sans étymologies, sans analogies, sans dérivés, mots solitaires, barbares, quelquefois hideux, qui ont une singulière puissance d’expression et qui vivent. – Le bourreau, le taule ; – la forêt, le sabri ; la peur, la fuite, taf ; – le laquais, le larbin ; – le général, le préfet, le ministre, pharos ; – le diable, le rabouin. Rien n’est plus étrange que ces mots qui masquent et qui montrent. Quelques-uns, le rabouin, par exemple, sont en même temps grotesques et terribles, et vous font l’effet d’une grimace cyclopéenne.

Deuxièmement, la métaphore. Le propre d’une langue qui veut tout dire et tout cacher, c’est d’abonder en figures. La métaphore est une énigme où se réfugie le voleur qui complote un coup, le prisonnier qui combine une évasion. Aucun idiome n’est plus métaphorique que l’argot. – Dévisser le coco, tordre le cou, – tortiller, manger; – être gerbé, être jugé; – un rat, un voleur de pain; – il lansquine, il pleut, vieille figure frappante, qui porte en quelque sorte sa date avec elle, qui assimile les longues lignes obliques de la pluie aux piques épaisses et penchées des lansquenets, et qui fait tenir dans un seul mot la métonymie populaire: il pleut des hallebardes. Quelquefois, à mesure que l’argot va de la première époque à la seconde, des mots passent de l’état sauvage et primitif au sens métaphorique. Le diable cesse d’être le rabouin et devient le boulanger [105], celui qui enfourne. C’est plus spirituel, mais moins grand; quelque chose comme Racine après Corneille, comme Euripide après Eschyle. Certaines phrases d’argot, qui participent des deux époques et ont à la fois le caractère barbare et le caractère métaphorique, ressemblent à des fantasmagories. – Les sorgueurs vont sollicer des gails à la lune (les rôdeurs vont voler des chevaux la nuit). – Cela passe devant l’esprit comme un groupe de spectres. On ne sait ce qu’on voit.

Troisièmement, l’expédient. L’argot vit sur la langue. Il en use à sa fantaisie, il y puise au hasard, et il se borne souvent, quand le besoin surgit, à la dénaturer sommairement et grossièrement. Parfois, avec les mots usuels ainsi déformés, et compliqués de mots d’argot pur, il compose des locutions pittoresques où l’on sent le mélange des deux éléments précédents, la création directe et la métaphore: – Le cab jaspine, je marronne que la roulotte de Pantin trime dans le sabri; le chien aboie, je soupçonne que la diligence de Paris passe dans le bois. – Le dab est sinve, la dabuge est merloussière, la fée est bative; le bourgeois est bête, la bourgeoise est rusée, la fille est jolie. – Le plus souvent, afin de dérouter les écouteurs, l’argot se borne à ajouter indistinctement à tous les mots de la langue une sorte de queue ignoble, une terminaison en aille, en orgue, en iergue, ou en uche. Ainsi Vousiergue trouvaille bonorgue ce gigotmuche? Trouvez-vous ce gigot bon? Phrase adressée par Cartouche à un guichetier, afin de savoir si la somme offerte pour l’évasion lui convenait. – La terminaison en mar a été ajoutée assez récemment.

L’argot, étant l’idiome de la corruption, se corrompt vite. En outre, comme il cherche toujours à se dérober, sitôt qu’il se sent compris, il se transforme. Au rebours de toute autre végétation, tout rayon de jour y tue ce qu’il touche. Aussi l’argot va-t-il se décomposant et se recomposant sans cesse; travail obscur et rapide qui ne s’arrête jamais. Il fait plus de chemin en dix ans que la langue en dix siècles. Ainsi le larton [106] devient le lartif; le gail [107] devient le gaye; la fertanche [108], la fertille; le momignard, le momacque; les siques [109], les frusques; la chique [110], l’égrugeoir; le colabre [111], le colas. Le diable est d’abord gahisto, puis le rabouin, puis le boulanger; le prêtre est le ratichon, puis le sanglier; le poignard est le vingt-deux, puis le surin, puis le lingre; les gens de police sont des railles, puis des roussins, puis des rousses, puis des marchands de lacets, puis des coqueurs, puis des cognes; le bourreau est le taule, puis Charlot, puis l’atigeur, puis le becquillard. Au dix-septième siècle, se battre, c’était se donner du tabac ; au dix-neuvième, c’est se chiquer la gueule. Vingt locutions différentes ont passé entre ces deux extrêmes. Cartouche parlerait hébreu pour Lacenaire. Tous les mots de cette langue sont perpétuellement en fuite comme les hommes qui les prononcent.

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[104] Il faut observer pourtant que mac en celte veut dire fils.

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[105] On peut se demander si ce n'est pas pour cette signification argotique que Hugo a situé l'auberge Thénardier ruelle du Boulanger, à Montfermeil (I, 4, 1). «Enfourner», dans le récit déjà cité (note 103 plus haut) de la visite de la Conciergerie, signifie aussi dans l'argot du bourreau «attacher le condamné sur la planche de la guillotine».